Le décubitus ventral a largement été adopté comme pratique standard chez les patients atteints d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë sévère ventilés mécaniquement sur la base de données probantes de grande qualité.
Le décubitus ventral chez les patients présentant une insuffisance respiratoire hypoxémique qui sont éveillés, qui respirent spontanément et qui ne sont pas intubés est possible dans les unités de soins; des données sur son utilisation pour la prise en charge des patients atteints de pneumonie causée par la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) ont émergé et montrent sa capacité d’améliorer l’oxygénation et de réduire la dyspnée.
Les études n’ont pas encore fourni aux cliniciens des outils pour prédire quels patients atteints de COVID-19 sont les plus susceptibles de voir leur état s’améliorer avec le décubitus ventral, et elles n’ont pas encore démontré si ce dernier permet de retarder ou d’éviter la ventilation effractive; elles n’ont pas non plus montré un avantage au plan de la mortalité.
Le décubitus ventral chez le patient ventilé mécaniquement s’accompagne du risque de débranchement de son tube endotrachéal et de ses divers cathéters; ce risque est moindre chez le patient éveillé et non ventilé, tout comme le risque de pression indue chez le patient éveillé qui peut changer de position seul.
Il faudra réaliser des essais randomisés et contrôlés pour mieux comprendre les effets positifs et négatifs du décubitus ventral chez les patients atteints de COVID-19 qui respirent spontanément.
La pneumonie est la plus fréquente cause d’hospitalisation chez les patients qui contractent la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), et beaucoup de ces patients auront besoin d’oxygénothérapie1. La pneumonie grave peut entraîner une insuffisance respiratoire hypoxémique aiguë nécessitant une oxygénothérapie ou un soutien respiratoire par ventilation mécanique. L’insuffisance respiratoire aiguë sévère peut entraîner un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), une forme non cardiogénique d’œdème pulmonaire déclenchée par une atteinte directe (p. ex., pneumonie) ou indirecte (p. ex., pancréatite). Le traitement du SDRA repose principalement sur la correction du facteur étiologique et des soins de soutien, ce qui inclut la ventilation mécanique, tout en veillant à prévenir une lésion pulmonaire induite par la ventilation. La ventilation en décubitus ventral est une technique qui est employée et évaluée depuis une trentaine d’années chez des patients ventilés mécaniquement pour des SDRA de diverses intensités; les bienfaits les plus marqués ayant été observés chez ceux qui avaient un SDRA de modéré à grave, pour lesquels on considère désormais qu’il s’agit d’une norme thérapeutique2.
Pendant la pandémie de COVID-19, alors que les systèmes de santé peinaient à accommoder une clientèle en hausse atteinte d’insuffisance respiratoire aiguë, des rapports ont émergé au sujet de l’avantage potentiel du décubitus ventral chez les patients atteints de COVID-19 qui étaient hypoxémiques et non intubés1. Les conclusions de plusieurs études d’observation ont laissé entendre que le décubitus ventral pouvait améliorer l’oxygénation des patients munis de dispositifs à bas débit (p. ex., canule nasale) et à plus haut débit (p. ex., canule nasale à haut débit) qui n’étaient pas sous ventilation mécanique1,3–7. Nous abordons ici le décubitus ventral, ses mécanismes physiologiques, ses candidats potentiels, les données probantes qui s’accumulent au sujet de son efficacité chez les patients présentant une insuffisance respiratoire hypoxémique liée à une pneumonie causée par la COVID-19 et les inconvénients potentiels de la manœuvre. En résumant les articles disponibles pour guider les médecins dans l’utilisation du décubitus ventral chez cette population (encadré no 1), nous attirons aussi leur attention sur d’importants secteurs à explorer pour la recherche.
Données utilisées pour la présente revue
Nous avons procédé à une interrogation du réseau Medline pour tous les articles publiés en langue anglaise entre le 1er et le 14 septembre 2020, à partir des mots ou expressions clés « prone position » ou « prone positioning » dans le contexte du traitement de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19).
Qu’est-ce que le décubitus ventral et quelle est son influence sur la fonction pulmonaire?
Dans le contexte d’un SDRA grave, la ventilation en décubitus dorsal exerce des forces gravitationnelles qui pourraient exacerber l’œdème pulmonaire et l’atélectasie dans les zones pulmonaires dépendantes (postérieures). Les organes abdominaux déplacent le diaphragme postérieur vers le haut, ce qui aggrave le collapsus pulmonaire postérieur8. Une vasoconstriction pulmonaire hypoxémique anormale peut aussi contribuer à un déséquilibre du rapport ventilation/perfusion (V/Q)9.
Le décubitus ventral consiste à placer le patient face vers le bas sur son thorax antérieur et son abdomen pour profiter des changements physiologiques susceptibles d’améliorer l’oxygénation en réduisant le déséquilibre V/Q et potentiellement, en atténuant l’atteinte pulmonaire. En décubitus ventral, l’expansion de la paroi thoracique antérieure se trouve limitée; cela provoque une compliance thoraco-pulmonaire plus homogène (figure 1) et les forces gravitationnelles exercées sur le parenchyme pulmonaire entraînent un meilleur recrutement des zones postérieures et permettent à une plus grande proportion d’alvéoles de participer aux échanges gazeux. Une distribution plus égale des forces de stress exercées sur les poumons par le diaphragme s’observe aussi en décubitus ventral, ce qui pourrait atténuer l’atteinte pulmonaire, tant durant la ventilation mécanique que lors de la respiration spontanéee8,10. La position améliore aussi le mouvement inférieur du diaphragme, qui atténue la compression sur les zones pulmonaires postérieures atélectasiques, augmentant ainsi la recrutabilité pulmonaire10,11. Le décubitus ventral exerce toutefois relativement peu d’effet sur la perfusion pulmonaire, car la majeure partie du débit sanguin est orientée vers les zones pulmonaires postérieures, tant en décubitus dorsal qu’en décubitus ventral9. Le résultat est une amélioration de l’équilibre V/Q, une baisse de la fraction du shunt pulmonaire et une amélioration de l’oxygénation.
Comment s’y prend-on pour placer les patients en décubitus ventral?
Faire passer un patient intubé et muni de plusieurs tubulures du décubitus dorsal au décubitus ventral est une manœuvre très délicate. Étant donné que la plupart des patients sont lourdement « sédationnés » et habituellement curarisés pour faciliter la ventilation, il faut au moins 3 employés d’expérience pour bien coordonner la manœuvre12.
Pendant la pandémie de COVID-19, certains établissements ont tenté le décubitus ventral chez des patients hypoxémiques éveillés et non intubés, soit aux urgences, soit dans des unités ambulatoires. Pour les patients non intubés, plusieurs des risques associés au décubitus ventral sont atténués (p. ex., risque d’extubation). Le processus est plus facile si les patients peuvent se tourner sans aide physique; toutefois, surtout durant la période initiale du décubitus ventral, un membre du personnel doit être présent pour vérifier que le changement de position n’a pas entraîné la déconnexion du tube d’oxygène, des lignes intraveineuses ou de tout autre cathéter (p. ex., sonde Foley). L’oxymétrie de pouls en continu et une surveillance étroite de la fréquence respiratoire sont souhaitables pour s’assurer que l’état clinique du patient ne se détériore pas et pour faciliter la surveillance respiratoire chez les patients inscrits à des études cliniques.
On peut placer des oreillers ou des couvertures roulées de la façon appropriée sous les points de pression, par exemple au niveau du thorax supérieur et du bassin, pour rendre le décubitus ventral plus confortable et tolérable et pour réduire la pression intraabdominale qui peut se transférer vers les poumons. Les patients qui respirent spontanément peuvent changer leur tête et leurs bras de position au moins toutes les 2 heures pour éviter les ulcères de pression12.
Quels patients sont candidats au décubitus ventral?
Avant la pandémie de COVID-19, le décubitus ventral servait principalement aux patients atteints d’un SDRA grave qui étaient sous ventilation mécanique13. Chez les patients atteints de COVID-19 qui respirent spontanément et qui ne sont pas intubés, les données d’observation suggèrent que le décubitus ventral améliore l’oxygénation chez ceux qui tolèrent cette position. Plusieurs essais randomisés et contrôlés (ERC) sont en cours pour étudier l’efficacité du décubitus ventral chez les patients qui ont besoin d’un supplément d’oxygène à bas débit dans une unité de soins (essais cliniques nos NCT04383613, NCT04402879, NCT04517123) et les patients présentant une insuffisance respiratoire plus grave, qui requièrent de l’oxygène à plus haut débit (essais cliniques nos NCT04350723, NCT04543760).
Le décubitus ventral est à éviter chez les patients qui respirent spontanément, mais qui sont susceptibles de nécessiter rapidement une intubation (p. ex., altération du niveau de conscience, aggravation de l’hypoxie malgré un apport maximal en oxygène) ou chez ceux qui présentent des contre-indications anatomiques décrites dans la littérature reconnue sur le SDRA (p. ex., traumatisme au visage; chirurgie récente à l’abdomen, au thorax ou à la colonne, pose récente d’un stimulateur cardiaque ou fracture instable de la colonne ou du bassin)1,4,12,14.
On en sait peu sur les effets du décubitus ventral sur le fœtus durant la grossesse, étant donné que les patientes enceintes sont souvent exclues des essais (une pratique récemment remise en question durant la pandémie de COVID-1915), même si un rapport de cas a déjà décrit la réussite du décubitus ventral chez une patiente enceinte atteinte d’une grave pneumonie virale16. Un protocole et un guide sur le décubitus ventral établi par des experts ont récemment été préparés à l’intention des médecins qui suivent des cas obstétricaux17, et l’utilisation réussie du décubitus ventral chez une patiente enceinte atteinte de COVID-19 a récemment été documentée sous forme de rapport de cas18.
Pour qui le décubitus ventral est-il efficace?
Patients atteints de SDRA
Le décubitus ventral est évalué depuis les années 1970 pour la prise en charge des patients atteints de SDRA13. Chez les patients atteints d’un SDRA de modéré à grave, le décubitus ventral prolongé (au moins à 12 h/j) a effectivement réduit la mortalité et constitue la norme thérapeutique pour leur prise en charge2,13. La ventilation en décubitus ventral réduirait l’atteinte pulmonaire induite par le respirateur grâce à une distribution plus uniforme du volume courant, ce qui réduit le stress non physiologique exercé sur les poumons. Un grand ERC multicentrique publié en 2013 et regroupant 474 participants en France a révélé que la ventilation chez les patients atteints de SDRA de modéré à grave (rapport pression partielle de l’oxygène/fraction inspirée en oxygène [PaO2/FiO2] < 150 mm Hg) placés en décubitus ventral pendant 16 heures par jour a été a associée à une amélioration de la mortalité à 28 jours comparativement au décubitus dorsal (risque relatif [RR] 0,39, intervalle de confiance [IC] à 95 % 0,25–0,63)12. Une méta-analyse de 8 ERC ayant regroupé les données concernant 2129 patients atteints de SDRA ventilés mécaniquement a par la suite montré que les patients qui avaient un SDRA de modéré à grave assignés aléatoirement au décubitus ventral pendant au moins 12 heures par jour présentaient un taux de mortalité moindre ([RR] 0,74, IC à 95 % 0,56–0,99) comparativement à ceux ventilés en décubitus dorsal13.
Le décubitus ventral a été tenté chez des patients atteints de SDRA lié à la COVID-19 et même si on ne s’entend pas sur les possibles attributs physiologiques particuliers du SDRA lié à la COVID-1919,20, certaines lignes directrices (p. ex., Surviving Sepsis Campaign) recommandent d’envisager le décubitus ventral chez les patients atteints de SDRA grave lié à la COVID-19 parce qu’il s’est révélé bénéfique dans le contexte du SDRA grave21–23.
Patients non intubés
Avant la pandémie de COVID-19, le décubitus ventral était peu utilisé pour la prise en charge des patients non intubés présentant une insuffisance respiratoire hypoxémique. Une étude de cohorte rétrospective menée dans un seul centre en 2015 a évalué la réponse de 15 patients ayant fait l’objet en tout de 43 manœuvres de décubitus ventral. La plupart des participants (n = 13) avaient un diagnostic de pneumonie et lors de 42 % des manœuvres, une ventilation non effractive était utilisée. L’hypoxémie des participants s’est significativement améliorée en décubitus ventral (PaO2/FiO2 moyenne en décubitus dorsal 127 [écart-type (É.-T.) 49] mm Hg, PaO2/FiO2 moyenne en décubitus ventral 186 [É.-T. 72] mm Hg; p < 0,05), même si l’amélioration n’a pas semblé persister lorsque les patients revenaient en décubitus dorsal7.
Une étude de cohorte prospective multicentrique s’est penchée sur l’effet d’une combinaison décubitus ventral et soit ventilation non effractive, soit canule nasale à haut débit chez 20 participants éveillés, dont 11 souffraient de pneumonie virale4. Une approche séquentielle a été utilisée pour ajouter le décubitus ventral soit à un système d’administration de l’oxygène basé sur la réponse clinique du patient, soit à une alternance entre ventilation non effractive et canule nasale à haut débit. L’hypoxémie des patients au départ n’a pas été rapportée, même si tous les patients répondaient aux critères de SDRA. Les auteurs ont noté des améliorations de l’oxygénation quand le décubitus ventral était ajouté à la canule nasale à haut débit, mais non à la ventilation non effractive et, même si 11 participants ont évité l’intubation, l’étude a révélé une augmentation non significative chez les patients atteints de SDRA grave ayant nécessité une intubation et une ventilation mécanique4.
La littérature servant à orienter l’utilisation du décubitus ventral chez les patients atteints d’insuffisance respiratoire liée à la COVID-19 non intubés qui respirent spontanément comprend des rapports de cas, des séries de cas et des études d’observation1,3,4,6,7,14. Le nombre important de patients atteints de COVID-19 à l’échelle mondiale a permis l’évaluation du décubitus ventral à l’extérieur des unités de soins intensifs (USI) : urgences, unités médicales et unités chirurgicales reconverties.
Sur la base des données observationnelles disponibles (résumées au tableau 1), le décubitus ventral chez cette population de patients semble améliorer l’oxygénation de nombreux patients1,3,6,7,28–32. Par exemple, une étude prospective non randomisée regroupant 50 patients placés en décubitus ventral aux urgences a montré une amélioration de l’oxygénation en l’espace de 5 minutes même si 36 % ont eu besoin d’une intubation en l’espace d’environ 72 heures6. La ventilation non effractive et le décubitus ventral ont été utilisés concomitamment dans une petite étude transversale sur 15 participants atteints de COVID-19 et ont amélioré l’oxygénation, y compris chez 80 % des participants qui ont connu une amélioration après être revenus en décubitus dorsal3. Une étude de cohorte rétrospective a passé en revue les paramètres de 24 patients d’une unité de pneumologie placés sous ventilation à pression positive continue (CPAP) en conjonction avec le décubitus ventral, et a noté que même si l’ajout du CPAP n’a pas amélioré significativement la saturation artérielle en oxygène, la combinaison CPAP et décubitus ventral y est arrivée (saturation moyenne en oxygène au départ 94 % (É.-T. 3 %) et postdécubitus ventral 96 % (écart-type 2 %; p < 0,05)25. Cette amélioration se maintenait 1 heure après le retour des participants au décubitus dorsal25. Une étude de cohorte prospective regroupant 56 patients qu’on avait placés en décubitus ventral soit à l’urgence, soit à l’unité de médecine ou l’unité d’observation24 a révélé que le décubitus ventral était faisable chez 84 % des participants et améliorait significativement l’oxygénation, même si cela ne persistait pas lorsque les patients revenaient en décubitus dorsal. Dans une petite étude prospective menée dans un seul centre en France, l’utilisation d’un seul épisode de décubitus ventral a été bien tolérée, mais n’a amélioré l’oxygénation que chez 25 % des participants, la moitié de ceux qui ont répondu ayant connu une amélioration persistante1. Toutefois, l’absence de randomisation dans ces études signifie que les bienfaits observés pourraient être dus au décubitus ventral, à un biais de sélection ou à un facteur de confusion lié à l’indication.
Les données selon lesquelles le décubitus ventral réduit le recours à l’intubation sont manquantes. Certaines études d’observation ont montré que le décubitus ventral ralentit la fréquence respiratoire3,28, ce qui pourrait réduire le risque de lésions pulmonaires auto-infligées chez les patients3,10, même si l’extrapolation à partir de ce paramètre-substitut doit se faire avec prudence1,3,6,7. Chez les patients atteints d’un SDRA de léger à modéré qui ont été intubés ou qui ont été placés pendant de courtes périodes (< 12 h/j) en décubitus ventral, l’amélioration de l’oxygénation n’a pas été en corrélation avec un avantage au plan de la mortalité13. En outre, les données sur la persistance de l’amélioration de l’oxygénation une fois les patients respirant spontanément revenus en décubitus dorsal ne sont cohérentes1,3,6,11,24,25,28; on en déduit que des ERC portant sur les paramètres cliniques chez des patients atteints de COVID-19 placés en décubitus ventral s’imposent. Malgré ces données lacunaires, l’Intensive Care Society du Royaume-Uni. a publié des directives basées sur l’opinion d’experts; elles encouragent l’utilisation du décubitus ventral chez les patients non intubés en raison de sa facilité d’application et de ses bienfaits potentiels33.
Quels sont les effets négatifs potentiels du décubitus ventral?
Chez les patients présentant un SDRA ventilés mécaniquement, les effets négatifs potentiels du décubitus ventral surviennent surtout au moment de la manœuvre pour les installer en décubitus ventral (en raison des risques de débranchement des tubes et cathéters) ou sous forme de séquelles d’une immobilité prolongée chez les patients qui sont incapables de bouger (incluant ulcères de pression, neurapraxie et œdème facial)13. En majorité, ces risques sont substantiellement moindres chez les patients qui respirent spontanément et ne sont pas intubés parce qu’ils sont capables de changer de position pour leur confort.
Même si l’inconfort des patients peut limiter le recours au décubitus ventral ou en abréger l’utilisation, un positionnement adéquat et l’utilisation de coussins au niveau des points d’appui le rendent plus tolérable1,4,7,11,31. Une étude de cohorte prospective canadienne regroupant 4 hôpitaux de Calgary a évalué l’innocuité et la tolérabilité du décubitus ventral chez des patients non intubés dans des unités de médecine et des USI26. L’étude a fait état de 17 participants ayant reçu un nombre médian de 2 séances de décubitus ventral (entre 1 et 6) d’une durée médiane de 75 minutes (entre 30 et 480). Le temps passé en décubitus ventral a été limité par des douleurs au dos ou à l’épaule (n = 2, 12 %), un inconfort général (n = 6, 35 %) et le délire (n = 1, 6 %). Huit patients (47 %) n’ont éprouvé aucun problème au plan de la tolérabilité. Aucun autre effet indésirable grave n’est survenu26.
Il est important de vérifier si le décubitus ventral prolongé chez les patients atteints de COVID-19 éveillés et non intubés accroît le risque de thromboembolie veineuse parce que des études d’observation ont montré que la COVID-19 est associée à un risque accru de thrombose veineuse34. Les études publiées sur le décubitus ventral chez des patients non intubés ont peu mentionné ces effets négatifs.
Si le décubitus ventral retarde plutôt que de prévenir l’intubation, il pourrait accroître les taux d’intubation urgente, qui comporte ses propres risques. Une étude de cohorte multicentrique de 2020 regroupant 36 hôpitaux en Espagne et à Andorre a révélé que l’utilisation du décubitus ventral avec une canule nasale à haut débit n’a pas réduit le risque d’intubation (RR 1,002, IC à 95 % 0,531–1,890; p = 0,99)27. Cette étude a aussi montré une tendance non significative à l’allongement de l’intervalle avant l’intubation (2,0 c. 4,1 j, p = 0,054), ce qui fait craindre d’un préjudice potentiel dû au retard de l’intubation27.
Quelles questions restent en suspens?
Aucune étude n’a encore fourni aux médecins des outils leur permettant de prédire quels patients sont les plus susceptibles de voir leur état s’améliorer; n’a caractérisé les bienfaits relatifs du décubitus ventral, de la canule nasale à haut débit et de la ventilation non effractive (seuls et ensemble); n’a déterminé la « dose » optimale de décubitus ventral; ni, ce qui est plus déterminant, n’a prouvé que le décubitus ventral permet de retarder ou d’éviter le recours à la ventilation effractive. On ignore si le décubitus ventral peut réduire les coûts de santé parce que les études sur son rapport coût–efficacité sont inexistantes. Même s’il semble que le décubitus ventral puisse être utilisé à l’extérieur des soins intensifs à un coût minime, il pourrait être associé à une plus grande utilisation d’équipement de protection individuelle (EPI) quand plusieurs travailleurs de la santé doivent participer à la manœuvre. Toutefois, si de futures études confirment que l’intervention réduit les admissions aux soins intensifs, cela pourrait se traduire par des économies substantielles. Même si la ventilation mécanique est retardée ou évitée, cela n’entraînera pas forcément une amélioration des résultats chez les patients; il sera donc crucial d’identifier les patients non intubés qui sont peu susceptibles de bénéficier d’un essai du décubitus ventral. En outre, il faudra mener des ERC rigoureux pour répondre à ces questions.
Quels sont les enjeux logistiques de l’utilisation du décubitus ventral durant la pandémie de COVID-19?
L’utilisation du décubitus ventral chez les patients atteints de COVID-19 hospitalisés dans des unités de médecine pourrait se répandre afin de prévenir la ventilation mécanique si les ressources des soins intensifs sont trop sollicitées. Comme les études de modélisation ont évoqué une telle possibilité pour les hôpitaux canadiens si les mesures demandées par la santé publique ne sont pas respectées35,36, les hôpitaux devraient par conséquent préparer ou adopter des lignes de conduite concernant le décubitus ventral, promouvoir un transfert rapide des connaissances et la formation du personnel clinique. À titre d’exemple, Doussot et ses collègues ont décrit la création d’une équipe spécialisée pour le décubitus ventral dans un hôpital régional en France37. Chirurgiens, personnel infirmier, physiothérapeutes et autres professionnels de la santé ont accepté de recevoir la formation, qui incluait une liste de vérification, une simulation et une formation sur l’utilisation appropriée de l’EPI37.
Conclusion
Le décubitus ventral a largement été adopté dans la pratique standard pour les patients atteints de SDRA grave ventilés mécaniquement sur la base de solides données probantes tirées d’ERC. Or, depuis que la pandémie de COVID-19 a surchargé certains systèmes de santé dans le monde et épuisé les ressources des unités de soins intensifs, le décubitus ventral chez les patients non intubés qui respirent spontanément est devenu une intervention attrayante parce qu’il est facile à mettre en œuvre dans différents contextes de soins et qu’il repose sur des principes physiologiques éprouvés. Même si les données probantes actuelles appuyant le recours au décubitus ventral sont de faible qualité, plusieurs ERC sont en cours et devraient répondre aux questions concernant ses bienfaits cliniques, son profil d’innocuité et son rapport coût–efficacité. Nous avons besoin de solides données probantes pour guider la sélection des patients et le moment du début et de l’arrêt du décubitus ventral.
Remerciements
Les auteurs remercient Saba Manzoor qui a aidé à créer la figure 1.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.201201
Intérêts concurrents: Michael Fralick est co-investigateur principal de l’étude COVID-PRONE (ClinicalTrials.gov no NCT04383613). Il est également consultant pour Pine Trees Health, une entreprise en démarrage qui développe un test diagnostique basé sur la technique CRISPR pour la maladie à coronavirus 2019. Kevin Venus et Laveena Munshi sont membres du comité de direction de l’étude COVID-PRONE. Aucun autre intérêt concurrent déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Kevin Venus et Michael Fralick ont contribué à l’acquisition, à l’analyse et à l’interprétation des données. Tous les auteurs ont participé à la rédaction du manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée, et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Aucun financement externe n’a été reçu pour ces travaux.
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