C’est 1–0 pour le Canada et nous venons de commencer la réanimation cardiorespiratoire (RCR).
Nous sommes à l’étroit et la chaleur est accablante dans la pièce. L’équipement tourne à plein régime. Des alarmes retentissent. Ça grouille d’activité. Des personnes se tiennent dans l’embrasure de la porte et regardent le spectacle; d’autres s’entassent à proximité. Un téléviseur, dans le coin, jacasse bruyamment. À l’écran, un homme fait les cent pas, la tête entre les mains, visiblement furieux.
C’est la première fois que je gère un code. Je suis au pied du lit. Est-ce que je respire encore?
Les électrodes sont en place. Des mains affairées manipulent le patient, inerte. Les voies respiratoires sont sécurisées. J’annonce une dissociation électromécanique, les infirmières acquiescent. Le pouls se ranime, plus soutenu cette fois, au moment où le téléviseur montre un partisan peint de rouge et de bleu, tapant sur un gros tambour pour encourager son équipe. Il semble dire: Allez y!
Je demande si on a établi un accès intraosseux.
« On s’apprête à essayer dans le tibia droit, Kacper. »
Je croise les bras — c’est la seule chose à faire. Mon uniforme est trempé de sueur. À la télé, on voit un homme — probablement l’entraîneur de l’équipe anglaise. Il est debout, les bras croisés, lui aussi. Je décroise les miens.
De l’épinéphrine est administrée. Deux minutes s’écoulent. Même résultat: dissociation électromécanique — l’espoir s’étiole. Je demande des analyses de labo, un examen physique complet, une échographie, une anamnèse.
« Homme de 49 ans admis pour une exacerbation de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) à qui l’on a diagnostiqué ensuite de multiples tumeurs probablement cancéreuses des poumons — stade à confirmer. »
« Autre chose? »
« Non. »
Comment peut-il n’y avoir rien d’autre? Pas de tamponnement? Pas de pneumothorax sous tension ou une autre cause réversible? Les pressions continuent. La lésion intraosseuse suinte. Toujours aucun signe de fonction électrique.
J’entends soupirer un autre patient dans la chambre partagée. L’équipe adverse a marqué.
« Il faut continuer la RCR », dis-je en marmonnant. Je fais de mon mieux pour avoir l’air en contrôle de la situation. Il fait de plus en plus chaud, même si le corps devant moi est froid. La chaleur étouffe ma voix. On me demande de répéter. Je bafouille: « RCR de haute qualité, s’il vous plaît ».
On continue de marteler la poitrine du patient. Je demande aux personnes présentes si elles ont d’autres idées. Les avis diffèrent largement. Je suis d’accord avec chacun. Un joueur rate un tir de pénalité. Les spectateurs secouent la tête, exaspérés et désabusés.
Le cycle se poursuit sans grand changement. On administre du bicarbonate. Autre tir au but. On administre de l’épinéphrine. Autre tir, du joueur étoile, celuilà. Médicaments, RCR, tir de pénalité, médicaments, RCR, tir de pénalité, médicaments. On me montre une échographie. Le cœur inanimé sur le petit écran pourrait être utilisé dans un livre d’anatomie. Dans d’autres circonstances.
Qu’est-ce qui m’échappe? Qu’est-ce qui m’échappe? J’ai dû faire une terrible erreur!
La médecin membre du personnel me tapote l’épaule. Elle me dit qu’il est temps de lancer le code.
Je veux exprimer mon désaccord: nous pouvons le réanimer, il y a encore une chance — j’en suis sûr! J’ai juste besoin de quelques minutes. Nous avons besoin de quelques minutes. Quelques minutes pour faire cesser l’effusion de sang, qui coule inéluctablement. Quelques minutes pour traiter l’acidose aiguë. Quelques minutes pour ramener le cœur à la vie. Quelques minutes d’arrêt de jeu pour blessure, quelques minutes pour nous hydrater et allumer la clim, juste ciel! Ce n’est pas ainsi que va se solder mon premier code bleu — dans la chaleur mortelle d’un gouffre sans fond.
Les minutes passent, comme les vies. Je ne fais rien. Je croise les bras. Encore. J’adresse un signe de tête à mes collègues. Je reste sans voix.
C’est la fin du match.
La médecin membre du personnel remercie tout le monde alors que le nettoyage commence. On éponge le sang sur le sol. J’entends des applaudissements au loin. Le téléviseur est éteint ici.
Mon patron me félicite pour mon calme et me dit que j’ai géré cette situation difficile avec sang-froid.
Plus tard, chez moi, dans l’obscurité, j’essaie de regarder les temps forts du match sur l’écran fissuré de mon téléphone. La réception Wi-Fi est mauvaise dans mon immeuble. Il y a une panne dans mon secteur. On ne sait pas quand le service sera rétabli — ni s’il le sera, d’ailleurs.
Footnotes
Cet article a été évalué par des pairs. Tous les renseignements risquant de permettre d’identifier le patient ont été modifiés.
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