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L'indépendance de la rédaction est devenue un enjeu au Croatian Medical Journal après une confrontation entre le journal et le plus puissant de ses 4 propriétaires, la Faculté de médecine de l'Université de Zagreb. La faculté a proposé récemment une refonte de la structure de gouvernance du journal qui lui enlèverait toute indépendance1, ce qui contrevient à presque tous les aspects de la définition de l'indépendance de la rédaction reconnue par le Comité international des rédacteurs de revue médicale2.
Il s'agit là d'un incident extrême, mais qui n'est malheureusement pas isolé dans le monde de l'édition biomédicale. Au cours de la dernière décennie, le JAMA3, le New England Journal of Medicine4 et le JAMC5 ont tous vécu des confrontations avec leurs éditeurs au sujet de l'indépendance de la rédaction. La complexité de chacun de ces cas pâlit toutefois lorsqu'on la compare aux péripéties du Croatian Medical Journal.
Le cheminement qui a abouti à cette situation regrettable est tordu et d'une longueur périlleuse. Nous ne connaissons pas directement tous les événements décrits dans 2 éditoriaux récents du Croatian Medical Journal6,7, mais plusieurs faits ont émergé. Le problème actuel date de 16 ans, lorsque Iain Chalmers, de la bibliothèque James Lind, à Oxford, en Angleterre, a découvert un cas de plagiat important dans une communication dont Assim Kurjak, professeur à l'Université de Zagreb, était coauteur. M. Chalmers a signalé le plagiat à la Faculté de médecine de l'Université de Zagreb, qui a demandé à M. Chalmers de «traiter l'affaire avec tact»8. M. Chalmers a acquiescé, mais il a découvert en 2002 que Prof. Kurjak avait aussi plagié des documents d'une thèse de doctorat et les avait publiés dans un chapitre de livre.
À cause des révélations de M. Chalmers, le Croatian Medical Journal a été obligé, en vertu des normes internationales régissant la conduite scientifique et l'édition, d'examiner tous les articles dont Prof. Kurjak était l'auteur et qu'il avait publiés. Le Croatian Medical Journal a demandé à l'Association mondiale des rédacteurs médicaux et au Comité d'éthique de la publication de mener une enquête indépendante. Ces organismes ont découvert 5 autres transgressions possibles. Le Croatian Medical Journal a rétracté par la suite 2 articles que Prof. Kurjak avait publiés auparavant ailleurs.
La Faculté de médecine de l'Université de Zagreb a confirmé à la fois le plagiat et la publication en double et sa Cour d'honneur a reconnu en novembre 2007 que Prof. Kurjak s'était conduit de façon contraire à l'éthique. Elle a toutefois décidé que puisque Prof. Kurjak avait pris sa retraite, les excuses présentées aux personnes en cause suffisaient, et elle a rejeté l'affaire, sanctionnant ainsi implicitement le comportement de Prof. Kurjak. M. Chalmers écrivait : «C'est un triste jour pour les scientifiques de Croatie qui veulent promouvoir l'honnêteté et bannir l'inconduite et le copinage dans les milieux universitaires»9.
Certains pourraient soutenir que la responsabilité d'un journal prend fin avec la déclaration des cas de plagiat et le retrait des articles en cause10. Les journaux, comme agents de changement qui visent globalement à s'améliorer et, par conséquent, à améliorer les données probantes sur lesquelles s'appuie la pratique de la médecine, ont toutefois une responsabilité supplémentaire : ils doivent donner suite aux cas tranchés de façon insatisfaisante. Si les journaux médicaux ne prennent pas position sur ces questions, nous risquons de voir notre intégrité compromise. Un article récent publié dans Nature affirme de fait que les journaux doivent prendre les allégations de plagiat plus au sérieux11.
Comme cette affaire n'a pas été traitée rapidement et de façon appropriée, le Prof. Matko Marusic, 1 des 2 rédacteurs en chef du Croatian Medical Journal, s'est adressé aux médias généraux12. Dans un article publié le 28 oct. 2007, le principal journal catholique de Croatie l'a cité alors qu'il parlait de la «crise morale et intellectuelle qui sévit dans les milieux universitaires de Croatie».
Prof. Marusic est un dénonciateur : témoin de ce qu'il considérait comme une erreur judiciaire, il s'est adressé aux médias, risquant gros pour son gagne-pain. La Faculté de médecine de l'Université de Zagreb a les règlements nécessaires pour l'empêcher de communiquer publiquement au sujet d'une affaire en cours et elle a parfaitement le droit de lancer une enquête sur ses actes. La faculté est toutefois allée plus loin.
Elle a attaqué le Croatian Medical Journal en remettant en question son parcours et la performance de Matko Marusic. En mars 2008, on a demandé un avis psychiatrique sur Prof. Marusic comme étape préliminaire de mesures disciplinaires. Au début de mai 2008, Prof. Marusic s'est excusé auprès de la faculté pour s'être fait entendre et avoir ainsi enfreint ses règlements. Le 14 mai 2008, la Faculté l'a réprimandé officiellement et a fermé le dossier. Il reste néanmoins que la faculté n'a pas suivi le processus régulier établi dans l'entente de gouvernance du journal13, selon laquelle il revient au comité de rédaction du journal d'élire et de congédier le rédacteur en chef. Toute décision doit être confirmée par le conseil de gestion mixte du journal, dont les membres sont choisis par ses propriétaires, les 4 facultés de médecine de Croatie. Le comité de rédaction et le conseil de gestion mixte doivent s'entendre sur ces décisions en matière de ressources humaines. Les rédacteurs et traducteurs de la Méditerranée considèrent ces structures de gouvernance comme «l'étalon-or pour les petits journaux»14.
La controverse porte maintenant sur les changements proposés à la structure de gouvernance du journal. Le 25 mars 2008, la doyenne de la Faculté de médecine de l'Université de Zagreb, Dr Nada Cikes, proposait officiellement une refonte de la structure de gouvernance du journal qui lui enlèverait son indépendance. Le mot «indépendant» a en fait été omis de la clause III de la révision proposée15. On demande aussi dans la proposition aux doyens des 3 autres facultés de médecine de nommer ou de renvoyer les membres du comité de rédaction du journal, ce qui fait effectivement de celui-ci un organe interne des universités. Les rédacteurs se chargent actuellement de ces nominations. Quatre des 8 membres du conseil de gestion mixte du Croatian Medical Journal ont rejeté les modifications proposées de l'entente de gouvernance et conseillé à leur doyen respectif de ne pas les accepter1. Les doyens ont maintenant renvoyé la question au conseil de leurs facultés.
Le Croatian Medical Journal a fait appel au Dr John Hoey, ancien rédacteur en chef du JAMC congédié en février 2006, pour qu'il présente un avis d'expert au sujet des changements proposés16. Le Dr Hoey, qui qualifie la proposition de «castration de l'indépendance rédactionnelle du Croatian Medical Journal» écrit que si les 4 propriétaires acceptent les changements, le journal «ne sera plus le JMC et ne respectera plus les normes reconnues à l'échelle internationale pour l'indépendance de la recherche et de la publication»16. Autrement dit, le journal cessera d'exister.
Dans une entrevue accordée à Science, Dr Cikes a déclaré : «Toute cette affaire immobilise des secteurs de l'établissement.» Elle a ajouté ensuite : «Je suis heureuse et fière que nous ayons un si bon journal»17.
La Croatie devrait en effet être fière de ce journal de calibre mondial. Fondé il y a 17 ans à peine, le journal a une solide réputation dans les milieux internationaux et est un exemple par sa façon de soutenir les auteurs18 et d'améliorer la qualité de la recherche, de la pratique et de l'éducation en médecine en Croatie. Il est un ardent participant sur la scène internationale depuis des années. La corédactrice du journal, Dr Ana Marusic, par exemple, préside actuellement le Conseil des rédacteurs scientifiques. Avec cette affaire et la fureur qu'elle a suscitée sur la scène internationale, le pays risque de marginaliser ses propres milieux de la médecine et de la recherche et fait passer le mauvais message à l'Union européenne, à laquelle il essaie d'adhérer. Toutes les personnes en cause dans cette affaire doivent s'élever au-dessus du tourbillon et se concentrer sur le principe de l'indépendance de la rédaction. L'Association mondiale des rédacteurs médicaux «appuie fermement l'effort déployé par les Marusic pour s'attaquer aux violations de l'éthique commises par les auteurs dans les pages du journal»19. Nous, au JAMC, sommes du même avis. Il faut féliciter les rédacteurs du Croatian Medical Journal d'avoir traité en profondeur ces cas de plagiat et de publication en double et d'avoir pris résolument position en faveur de l'indépendance de la rédaction.
Comme nous le savons très bien au JAMC, les relations entre rédacteurs et éditeurs ne sont jamais simples. Les 2 parties y perdent chaque fois qu'un éditeur s'attaque à l'indépendance de la rédaction : la réputation de l'éditeur est ternie et l'intégrité du journal est compromise. À la suite des événements de février 2006 survenus au JAMC, les principaux auteurs de cet éditorial ont pris la décision réfléchie de demeurer au journal pour le guider au cours d'un examen indépendant. Cet examen20 a débouché sur une structure de gouvernance plus solide qui garantit l'indépendance de la rédaction.
En nous fondant sur cette expérience, nous exhortons la Faculté de médecine de l'Université de Zagreb à demander une évaluation indépendante par un groupe international ou une personne impartiale qui étudiera la structure de gouvernance du Croatian Medical Journal et proposera une solution garantissant l'autonomie de la rédaction.
En bout de ligne, il ne s'agit pas seulement du Croatian Medical Journal : c'est une question d'intégrité de tous les journaux biomédicaux. Sans l'indépendance de la rédaction, l'intégrité des journaux et, par conséquent, le savoir médical, flétriront.
Footnotes
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Publié sur www.cmaj.ca le 12 mai 2008. Révisé le 15 mai 2008.
Traduit par le Service de traduction de l'AMC.
Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Rajendra Kale MD, Matthew B. Stanbrook MD PhD et Noni MacDonald MD MSc)
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.