Rien n'aurait pu être plus évident que la déception des 3 premiers ministres des territoires à l'issue des discussions des premiers ministres sur la réforme de la santé qui se sont terminées le 5 février. Rencontrant les médias avant que le premier ministre Chrétien présente sa déclaration, ils ont expliqué à tour de rôle pourquoi ils refusaient d'appuyer l'accord. Stephen Kakfwi, premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, a déclaré qu'il n'y avait «pas de quoi être fier» d'une entente qui ne tenait pas compte «des conditions sanitaires déplorables, semblables à celles du tiers monde» dans le Nord. Le premier ministre du Nunavut, Paul Okalik, a fait remarquer qu'une loterie pourrait réunir autant d'argent en une semaine que ce qu'on avait offert aux territoires, et Dennis Fentie, premier ministre du Territoire du Yukon, a déclaré que «tout ce que nous demandons, c'est la possibilité de donner ce que d'autres Canadiens tiennent pour acquis».
Les questions des journalistes ont été interrompues par l'arrivée du premier ministre fédéral et de ses collègues des provinces. M. Chrétien était heureux de dire à la population canadienne «que nous avons conclu une entente sur la réforme fondamentale de notre système de santé». Il est évident que l'unité sous-entendue par ce «nous» ne s'étendait pas jusqu'au Nord, cet arrière-pays de notre conscience nationale. Au chapitre complet que Roy Romanow consacre à la santé des Autochtones1 (qui n'est bien entendu pas une question exclusive au Nord, pas plus que le Nord n'est exclusivement autochtone), le document2 issu de la réunion des premiers ministres réplique par 2 paragraphes sur le besoin d'un «effort soutenu», de consultation, d'une infrastructure de données et de rapports annuels. Ce que les premiers ministres des territoires demandaient toutefois, ce n'était pas, comme l'a dit M. Kakfwi, un autre «engagement de discuter». Ils songeaient plutôt à une affectation supplémentaire équivalant à 0,5 % de tout financement frais déposé sur la table par le gouvernement fédéral par le biais du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Cette demande est loin d'être exorbitante. Les soins de santé coûtent au Nunavut, par exemple, 3,6 fois plus que la moyenne nationale par habitant, mais le TCSPS est fondé sur la population et non sur les besoins. À ce taux, la portion que le Nunavut recevra sur les 12 milliards de dollars d'argent frais promis pour le TCSPS représentera environ 3 millions de dollars par année.
Le Nunavut dépense presque 3 millions de dollars par semaine en soins de santé, dont 20 % pour transférer des patients dans des établissements du Sud. Le Nunavut n'a qu'un seul hôpital régional et 10 médecins seulement vivent dans le territoire. Seulement 5 des 28 communautés des T. N.-O. ont un médecin et 2 seulement ont un centre de naissance. À Old Crow, au Yukon, les 280 habitants bénéficient des services de médecins 2 jours par mois, et il leur en coûte quelque 53 000 $ par année. Le «renouvellement» des soins de santé auquel on s'attendait que les premiers ministres donnent leur assentiment dans le nouvel accord est impossible avec 3 millions de dollars de plus par année.
Même si les populations autochtones du Yukon, des T. N.-O. et du Nunavut s'établissent à 20 %, 48 % et 85 % respectivement, ces populations vivant hors des réserves n'ont pas accès à la plupart des services de santé administrés par le fédéral. Il est logique de créer, pour les territoires, un fonds distinct et réservé pour les services de santé. C'était logique non seulement pour les premiers ministres des territoires, mais aussi pour leurs collègues des provinces, qui avaient appuyé l'idée en janvier. Ce qui s'est passé au cours de la réunion des premiers ministres en février ne peut, semble-t-il, être attribué à un manque de solidarité de la part des provinces. Comme le signalait un porte-parole du bureau du premier ministre du Nunavut, «il y avait 14 personnes autour de la table et 13 étaient d'accord». Après 2 semaines plutôt pénibles pour les dirigeants du Nord, le premier ministre fédéral a rencontré de nouveau les premiers ministres des territoires et leur a donné une lueur d'espoir : un fonds spécial de 60 millions de dollars qui sera réparti entre les territoires selon un calendrier à déterminer, ainsi qu'un engagement de chercher des solutions de rechange possibles aux formules de financement par habituant dont le Nord a toujours fait les frais.
Dans le rapport final de sa commission, Roy Romanow décrit le «décalage» profond entre les communautés autochtones et du Nord et le reste de la société canadienne. Il est clair que nous avons beaucoup de chemin à faire pour établir les «partenariats de la santé» qui regrouperaient le financement fédéral, provincial et territorial pour le diriger vers des réseaux coordonnés de services faits sur mesure pour des régions et des communautés en particulier. En attendant ces réformes structurelles, le financement supplémentaire demeurera un palliatif des plus nécessaires mais inefficient. Personne ne peut contester l'allusion que le premier ministre fédéral a faite au besoin de mieux intégrer les services. Dans un pays où l'on mentionne constamment les soins de santé comme notre grande priorité, tandis que l'on considère la santé des populations autochtones et du Nord comme un après-coup, il semble toutefois que nos priorités nationales ne sont pas tout à fait à la hauteur de nos prétentions. — JAMC