La Ligne directrice canadienne pour la prise en charge clinique de la consommation d’alcool à risque élevé et du trouble d’utilisation de l’alcool (TUA)1, publiée récemment, a vu la prise en charge fondée sur des données probantes du TUA, au Canada, se raffiner par l’ajout d’une recommandation forte à l’encontre de la prescription d’inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) dans le traitement des troubles de l’humeur et des troubles anxieux concomitants dans le contexte d’un TUA, d’où l’importance d’analyser les nuances qui sous-tendent cet avis.
On explique, dans la Ligne directrice intégrale sur le TUA, cet avis en détail et, pour justifier l’ajout de la recommandation 13, on invoque l’absence de données probantes de bonne qualité sur l’efficacité des ISRS chez les personnes souffrant à la fois d’un TUA et de dépression, un risque potentiellement plus élevé d’effets indésirables, notamment l’aggravation des résultats liés à la consommation d’alcool, ainsi que des résultats de la recherche selon lesquels les symptômes dépressifs s’atténuent rapidement après une période d’abstinence2. Nous convenons qu’il faut faire une pause avant de prescrire des ISRS dans le contexte d’un TUA accompagné d’anxiété ou de troubles de l’humeur. Des recommandations similaires ont été formulées par l’Association des psychiatres du Canada, qui déconseille la prescription d’antidépresseurs en traitement de première intention dans cette population3, tout comme le groupe de travail du Réseau canadien pour les traitements de l’humeur et de l’anxiété (CANMAT), bien que ce dernier fasse état de données selon lesquelles la sertraline se serait révélée bénéfique en association avec la naltrexone4.
Par contre, à l’examen des données citées1, on constate que le risque de détérioration des résultats liés la consommation est variable et que les essais randomisés contrôlés consultés comportent des limites importantes qui nuisent à la formulation de conclusions définitives. Par exemple, il a été démontré dans une étude regroupant des personnes qui souffraient d’un TUA que celles à qui on avait prescrit le citalopram avaient une consommation d’alcool plus forte que les personnes sous placébo, mais l’échantillon était de petite taille et 22 % seulement des sujets respectaient les critères de trouble dépressif5. Les auteurs d’un essai sur la trazodone (qui n’est pas un ISRS) chez des personnes souffrant d’un TUA et de troubles du sommeil, mais non d’anxiété ou de dépression, ont fait état d’une détérioration des résultats liés à la consommation chez les sujets sous trazodone comparativement aux sujets sous placébo, mais les personnes qui prenaient de la naltrexone ou de l’acamprosate avaient été écartées6. Finalement, dans un petit essai de la sertraline, les chercheurs ont rapporté des résultats moins favorables chez les personnes ayant un TUA de longue date, et des résultats plus favorables chez celles qui avaient un TUA de fraîche date, même si les conclusions avaient été tempérées par un taux d’attrition élevé7. Les 2 revues systématiques citées dans cette ligne directrice étaient également non concluantes. Grant et ses collaborateurs8 ont fait état d’un taux d’abstinence plus élevé chez les sujets qui souffraient à la fois d’un TUA et de dépression traités par les ISRS, malgré une fiabilité moindre et un taux d’effets indésirables plus élevé. Agabio et ses collaborateurs9 ont, pour leur part, fait état de données de qualité modérée selon lesquelles les antidépresseurs favorisaient l’abstinence et réduisaient les épisodes de consommation abusive chez les personnes souffrant d’un TUA et de dépression.
Wood et ses collaborateurs1 formulent une mise en garde fort à propos au sujet de leur recommandation qui « n’aborde pas les maladies psychiatriques graves », en ajoutant que « chez les personnes ayant des antécédents de troubles de santé mentale diagnostiqués et à qui le traitement par ISRS procure des bienfaits avérés, il faut envisager leur maintien à la condition d’exercer une surveillance étroite de la réponse clinique et des effets indésirables1 ». Cette mise en garde est importante et reflète bien la complexité du processus décisionnel dans une population hétérogène, car il faut tenir compte de divers facteurs: difficulté de parvenir à l’abstinence malgré des symptômes psychiatriques persistants, symptômes réfractaires malgré l’abstinence, obtention de bons résultats dans le passé avec la pharmacothérapie. Si on amorce finalement un traitement par les ISRS, il faut surveiller les résultats bénéfiques et les effets indésirables potentiels.
Footnotes
Intérêts concurrents: Julius Elefante reçoit du financement de l’Institut national américain des toxicomanies (US National Institute on Drug Abuse [ NIDA]) (no R25 DA037756) dans le cadre d’un programme de formation en recherche financé par le NIDA en collaboration avec le Centre de traitement de la toxicomanie de la Colombie-Britannique, Hôpital Saint-Paul et de l’Université de la Colombie-Britannique. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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