Le projet de révision du référentiel CanMEDS, qui devrait être parachevé en 2026, a identifié les limites de la capacité du schéma actuel à tenir compte des divers besoins de la population canadienne.
Nous présentons ici un modèle dynamique, un schéma transformé des compétences médicales, axé sur la compassion inclusive et l’humanité partagée et incluant des mécanismes pour lutter activement contre les iniquités systémiques existantes dans les systèmes de soins de santé.
Le schéma élargit l’expertise médicale et incite les médecins à adopter une position orientée vers l’action et à s’engager envers l’équité, la justice et la lutte aux disparités en matière de santé en rappelant les compétences vitales requises, tant sur le plan de la formation médicale que de la prestation des soins, de manière à transformer le système de santé.
Le projet de révision du référentiel CanMEDS arrive à un moment décisif et aura des répercussions sur la profession médicale au Canada. Des groupes d’expertise ont identifié les limites de la capacité du schéma actuel à répondre aux divers besoins de la population canadienne et soulèvent des questions quant à sa capacité d’adaptation à des concepts tels que l’antiracisme, la justice sociale, l’intelligence artificielle et la santé planétaire. Nous avons déjà souligné la nécessité d’inclure l’antiracisme comme compétence fondamentale dans toute réforme du référentiel CanMEDS1,2, en reconnaissant son rôle central dans la lutte contre les disparités en matière de santé. La révision du référentiel CanMEDS s’achèvera en 2026, nous devons saisir cette occasion unique de transformer la pratique médicale en se fondant sur les principes de lutte anti-oppression, de sécurisation culturelle et de justice sociale. Ce changement reposera sur un examen critique de la capacité du schéma existant à intégrer efficacement ces compétences vitales ou peut-être même sur une nécessaire refonte globale. La révision offre une possibilité sans précédent d’imaginer un schéma de compétences du corps médical qui ne fera pas que faciliter un changement en profondeur des systèmes de soins de santé, mais qui le dynamisera.
Un changement en profondeur de la formation et de la pratique médicales2,3 exige une intégration explicite des compétences anti-oppressives. Ce changement vise à redéfinir le rôle du corps médical en le faisant passer d’une position neutre à une position orientée vers l’action et engagée envers l’équité, la justice et l’abolition des disparités en matière de santé. En lien avec la transformation requise du schéma CanMEDS4, cette intégration met l’accent sur les compétences vitales requises tant pour la formation que pour la pratique médicales et la nécessité de lutter contre les iniquités systémiques en matière de soins. Le progrès s’articule autour de la formation d’une masse critique de médecins engagés envers ce changement qui paveront la voie à des soins de santé plus équitables et justes5.
Dans l’ensemble, les systèmes de santé sont aux prises avec des disparités aux racines profondes perpétuées par l’injustice et les préjugés6–10. En conséquence, les responsabilités des médecins doivent aller au-delà de l’expertise médicale, qui reste bien entendu la pierre angulaire de la profession, pour englober les principes de compassion inclusive et de justice sociale adaptés aux besoins changeants de la société. Sans sous-estimer l’ampleur et la difficulté de cette transformation, des approches audacieuses seront requises pour catalyser le changement. Je présente ici une vision d’avenir, j’en résume les retombées potentielles et les orientations futures. Cette vision place la compassion inclusive et l’humanité partagée au cœur de la transformation des soins de santé (figure 1A).
(A) Modèle des compétences médicales en transformation. L’humanité partagée et la compassion inclusive en forment le noyau, entouré des principes de justice sociale et soutenu par ses piliers fondamentaux. La « strate dynamique » permet de parfaire le modèle et rend possible l’intégration des thèmes transversaux et des concepts émergents en un cadre adaptable aux divers contextes locaux et mondiaux de formation et de pratique. (B) Modèle des compétences médicales transformées et orientées vers l’action. Le rôle « expertise médicale », pierre angulaire du schéma, est amélioré et élargi pour inclure les plus récents progrès scientifiques et technologiques et diverses formes de savoirs médicaux. Chaque rôle passe d’une position neutre initiale à une position orientée vers l’action, s’inspirant des fondements du modèle et indiquant un engagement envers la croissance et le développement continus dans tous les domaines de la formation et de la pratique.
Image courtesy of Kannin Osei-Tutu
Dans le référentiel CanMEDS reconceptualisé, un modèle de compétences distinctif émerge et place la compassion inclusive et l’humanité partagée en son centre. Symbolisés par 2 cercles sécants, ce sont les 2 principes fondateurs qui forment le noyau du schéma. La compassion inclusive rappelle l’importance de comprendre et de combler les divers besoins de la patientèle en tenant compte des identités sociales, des contextes culturels et des expériences vécues du système de santé et en faisant preuve de compassion envers tous les individus sans discrimination. L’humanité partagée reconnaît l’interconnectivité, la valeur intrinsèque et la dignité de chaque personne, indépendamment du contexte ou de l’identité. La zone d’intersection des cercles de la compassion inclusive et de l’humanité partagée représente « l’intersectionnalité » qui tient compte des différentes formes d’oppression complexes et interreliées auxquelles les gens font face, en raison de la race, de la religion, du genre, de la classe, du statut économique, de l’orientation sexuelle, des capacités et autres identités sociales11,12. La discrimination systémique ne saurait être comprise ni corrigée isolément. Il faut percevoir la personne entière. En adoptant un point de vue intersectionnel, ce schéma demande aux médecins de reconnaître et de combattre les diverses formes d’oppression qui contribuent aux iniquités en matière de santé et de prodiguer des soins plus inclusifs. Toutes les personnes devraient être traitées également sur le plan de la dignité; ce qui n’est pas toujours le cas. Le cœur du modèle, qui repose fondamentalement sur des valeurs humanistes, vise à combler ce fossé.
En plus de miser sur ces principes fondamentaux, le modèle cherche à combattre activement les iniquités systémiques et les préjugés en reconnaissant leurs effets néfastes sur les paramètres de santé. Trois strates concentriques représentent les principes fondamentaux et l’évolution dynamique des valeurs, des connaissances et des compétences requises pour redéfinir l’excellence des soins de santé. La première strate, qui entoure le cœur du schéma, regroupe ses 4 piliers fondamentaux: antiracisme, antioppression, sécurisation culturelle et justice sociale. L’antiracisme est un pilier clé puisqu’il conteste la perpétuation des structures et des pratiques racistes dans les systèmes de soins de santé1,13,14. Il s’agit d’une compétence fondamentale. L’anti-oppression reconnaît et corrige les répercussions négatives des structures de pouvoir et des biais institutionnels sur la perpétuation des diverses formes d’oppression. La sécurisation culturelle concerne l’influence de la culture sur les expériences de soins15 et la justice sociale défend l’équité et un accès égalitaire16. Ces piliers constituent le cadre éthique qui maintient les pratiques médicales à l’abri de toutes formes de préjugés, de discrimination et d’injustice systémique, y compris le racisme, l’antisémitisme, les mouvements antimusulmans ou anti-2ELGBTQIA+, le sexisme et le capacitisme. En s’intéressant aux déterminants sociaux de la santé et en faisant la promotion de soins équitables, les médecins peuvent atténuer les disparités en matière de santé et améliorer les résultats chez la patientèle. Voir annexe 1, accessible ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231273/tab-related-content, pour un glossaire (en anglais) des termes pertinents.
La strate suivante est la « strate dynamique » qui intègre des thèmes transversaux et des concepts émergents en un schéma adaptable aux divers contextes locaux et mondiaux de formation et de pratique. Cette strate se caractérise par sa capacité unique d’adaptation à différents contextes. Elle peut donner aux médecins le pouvoir d’adapter les compétences et thèmes émergents aux besoins et à la dynamique particulière des différents milieux de soins et contextes de pratique. Par exemple, l’intelligence artificielle (IA), les technologies numériques, l’équité en matière de santé et la santé planétaire sont des enjeux qui pourraient être abordés au niveau de la « strate dynamique ». Le schéma invite à réfléchir à la portée de la littératie numérique lorsqu’il est question des technologies émergentes comme l’IA. Même si elle recèle la promesse d’une amélioration des soins, l’IA présente également des risques inhérents et parfois contraires aux nobles principes d’humanité partagée et de compassion inclusive17,18. Positionnée en tant que moteur d’innovation, la « strate dynamique » possède la capacité d’intégrer les plus récents progrès et les enjeux critiques essentiels à une pratique médicale moderne. Cette modélisation stratégique est gage de la pertinence et de l’applicabilité du schéma dans tout un éventail de systèmes de santé ou de contextes géographiques et remet aux médecins le pouvoir de répondre avec efficacité aux besoins changeants de leur communauté. Avec sa flexibilité et son adaptabilité uniques, la « strate dynamique » ne fait pas qu’ajouter un degré de sophistication au schéma, elle en améliore aussi la souplesse bien au-delà des limites statiques du référentiel Can-MEDS actuel.
La strate extérieure représente l’identité transformée du corps médical orientée vers l’action qui émerge comme conséquence directe des valeurs et des piliers fondamentaux du modèle. Elle indique un changement dans la façon dont les médecins perçoivent et assument leur rôle et leurs responsabilités de soignants. Engagés envers l’action, les médecins peuvent servir de catalyseurs pour un changement en profondeur des systèmes de santé. Le modèle reconnaît la diversité et l’occasionnelle divergence des valeurs dans le monde; des tensions existent entre les pratiques de guérison traditionnelles et la médecine occidentale dans certaines communautés. En s’intéressant à ce fossé, le modèle promeut une approche nuancée à l’expertise médicale en intégrant un plus vaste éventail de systèmes et de points de vue. L’approche inclusive reflète une vision « binoculaire19 » qui analyse de façon équilibrée des points de vue et des systèmes de savoir différents, ce qui est central pour un environnement médical plus inclusif et compatissant. En plus d’enrichir et d’élargir le rôle classique de « l’expert médical », le modèle reconnaît l’importance cruciale de l’expertise médicale dans sa définition et de la contribution distinctive des médecins aux soins de santé, tout en attribuant une valeur égale à toutes les composantes de l’identité de la profession. Ce changement de paradigme met l’accent sur les notions de fluidité, d’intégration et d’harmonisation qui vont de pair avec l’expertise médicale et les multiples rôles assumés simultanément. En dernier lieu, le schéma aspire à créer une identité médicale orientée vers l’action en transformant des rôles statiques en des rôles actifs et en encourageant les médecins à évoluer constamment et à servir d’agents de changement dans leurs environnements cliniques, leurs systèmes de santé et la société en général (figure 1B).
Ce schéma a le pouvoir de transformer la formation médicale et les systèmes de santé. Il permet l’harmonisation des valeurs fondamentales et une approche orientée vers l’action en tenant compte des déterminants sociaux de la santé et des préjugés existants. Le modèle intègre les principes de justice sociale à l’éducation, à la formation et à la pratique médicales en jetant les bases d’une plus grande équité en matière de santé et en améliorant ainsi les paramètres de santé de la population. L’adoption de ce modèle repose sur les efforts combinés des établissements de santé, des responsables des orientations politiques, des instances de réglementation et des professions de la santé. Les importantes étapes suivantes incluent la mise à jour des programmes de formation professionnelle, l’intégration de thèmes transversaux à ceux-ci, un changement des mentalités et une offre additionnelle en matière de formation et de ressources.
Au-delà de la pratique individuelle, le modèle aura des répercussions dans les communautés et les systèmes de santé et donnera aux médecins la capacité d’agir comme chefs de file efficaces pour la création de milieux de santé inclusifs et équitables. Il y a là la possibilité d’abolir des obstacles, de promouvoir des changements de politiques et de favoriser des collaborations pour exercer une plus grande incidence sociétale et réduire les disparités. Pour rendre le modèle encore plus accessible, d’autres efforts viseront à en offrir des exemples éloquents et à en démontrer l’application pratique. Des versions subséquentes pourraient éventuellement simplifier le schéma pour en faciliter la compréhension et l’application. Pourraient éventuellement s’y greffer la recherche, une évaluation de l’efficacité du modèle et l’exploration des collaborations interdisciplinaires possibles, avec pour but l’abolition des obstacles systémiques.
Ce schéma transformé des compétences médicales met l’accent sur l’urgent besoin d’instaurer des soins de santé équitables et de promouvoir l’innovation. En donnant aux médecins un rôle d’agents de changement, le schéma proposé ici ébranle le statu quo et redéfinit l’excellence des soins de santé conformément aux principes de justice, de soins centrés sur la patientèle et d’incidence sociétale. Pour être appliqué avec succès et amélioré, ce modèle demandera des efforts de collaboration. Ensemble, nous pouvons transformer le système de santé en lui insufflant plus d’équité et de compassion.
Remerciements
L’auteur remercie Amanda Fisher, conceptrice graphique, École de médecine Cumming, Université de Calgary, pour sa conception des modèles, la Dre Nancy Fowler, qui a inspiré la première moitié du titre du présent commentaire, et ses collègues du groupe d’expertise sur la lutte contre le racisme du référentiel Can-MEDS pour leur avis constructif sur la première version du schéma et la suggestion de représenter les rôles CanMEDS statiques sous une forme active.
Footnotes
Intérêts concurrents: Kannin Osei-Tutu déclare avoir reçu des honoraires à titre de membre du comité de direction de CanMEDS. Il est également coprésident du groupe d’expertise sur la lutte contre le racisme de CanMEDS, membre du groupe d’expertise sur les rôles professionnels CanMEDS et membre du conseil du Collectif sur la santé des personnes noire et l’antiracisme. Le Dr Osei-Tutu a aussi reçu des honoraires en tant que conseiller stratégique auprès du directeur général du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, et un appui de l’École de médecine Cumming pour des réunions ou des déplacements. Le Dr Osei-Tutu a participé à la réunion du comité consultatif national de CanMEDS.
Cet article a été révisé par des pairs.
Traduction et révision: Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
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