L’incidence de la tuberculose (TB) active au Canada est d’environ 4,8 par 100 000 personnes et la TB latente affecte plus de 1,5 million de personnes; dans environ 5 %–10 % des cas, la maladie sera réactivée.
Le test cutané à la tuberculine (TCT) est effectué pour diagnostiquer la TB latente en l’absence de symptômes cliniques et peut provoquer une réaction immunitaire qui, dans de rares cas, réactive la TB latente.
Dès qu’une complication systémique suit un TCT, y compris des anomalies cutanées rares au site du TCT, comme la nécrose et l’hyperpigmentation et une réduction de l’acuité visuelle, il faut envisager un diagnostic de TB, même chez les patients qui présentent une faible probabilité avant le test.
Une femme de 20 ans par ailleurs en bonne santé a subi un test cutané à la tuberculine (TCT) à la demande de son employeur. En l’espace de 2 jours, elle a présenté une réaction nécrosante avec érosion centrale de 1 cm entourée d’une zone indurée et hyperpigmentée d’environ 6 cm au site du TCT (Figure 1). Six jours plus tard, elle a présenté une perte de vision indolore à l’œil gauche, suivie de céphalées et d’œdème périorbital du côté gauche.
Avant-bras d’une femme de 20 ans, montrant une réaction nécrosante à un test cutané à la tuberculine avec érosion centrale de 1 cm entourée d’une zone indurée et hyperpigmentée d’environ 6 cm.
De descendance jamaïcaine, née au Canada, elle n’avait jamais reçu le vaccin BCG (bacille de Calmette et Guérin), n’avait aucun antécédent personnel ou familial de tuberculose (TB) et ne s’était rendue récemment dans aucun pays où la TB est endémique. Ses antécédents médicaux étaient sans particularités, elle ne présentait aucun facteur de risque de TB et n’avait aucun symptôme avant son TCT. Sa mère, toutefois, était préposée aux bénéficiaires, ce qui fait d’elle une source potentielle d’exposition à la TB.
L’examen oculaire de la patiente a montré une acuité visuelle quasi normale (20/20–3) à l’œil droit, mais gravement réduite (n’arrive à compter le nombre de doigts qu’à une distance de 50 cm) à l’œil gauche. L’examen de la vue nous montre que son œil droit est normal. Dans son œil gauche, on note un déficit pupillaire afférent relatif, avec quantité trace de cellules dans la chambre antérieure de l’œil, trace de vitrite, œdème papillaire rouge vif, hémorragies péripapillaires et liquide intrarétinien (Figure 2). La tomographie par cohérence optique de son œil droit est normale, mais à l’œil gauche, elle montre la présence de liquide péripapillaire intra-et sous-rétinien étendu jusqu’à la fovéa (Figure 3).
Image du fond de l’œil gauche de la patiente au moment où elle a consulté; on observe un œdème papillaire avec hémorragie péripapillaire (flèches noires) et liquide intra-et sous-rétinien dans la macula (flèches rouges).
Tomographie par cohérence optique de l’œil gauche de la patiente au moment de la consultation révélant la présence de liquide intrarétinien et possiblement sous-rétinien péripapillaire (flèches blanches) et de liquide sous-rétinien allant jusqu’à la fovéa (flèches rouges).
Étant donné le résultat positif au TCT et la panuvéite unilatérale, notre diagnostic différentiel provisoire incluait une réaction d’hypersensibilité au réactif du TCT, avec ou sans réactivation d’une TB latente. La patiente a affirmé n’avoir éprouvé aucun symptôme systémique ou respiratoire, et les résultats de ses nombreuses analyses sérologiques, y compris une formule sanguine complète et un dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, se sont révélés normaux, permettant d’exclure le diagnostic différentiel de sarcoïdose et d’abaisser les soupçons cliniques à l’égard du lymphome. Les résultats du dépistage de la syphilis et du VIH ont été négatifs. Étant donné la faible probabilité prétest d’une TB latente, nous avons jugé qu’une réaction d’hypersensibilité non spécifique au réactif du TCT était tout aussi probable qu’un réel TCT positif.
Nous avons demandé un test QuantiFERON-TB Gold Plus (QFT-Plus) pour confirmer le résultat du TCT. Le test QFT-Plus est une analyse sanguine qui sert à mesurer la libération d’interféron-γ; il est plus sensible que le TCT1. En attente des résultats du QFT-Plus, la vision de notre patiente s’est détériorée et nous l’avons hospitalisée.
Étant donné que la patiente s’était présentée avec une uvéite et une vision qui se détériorait, nous avons effectué une ponction lombaire pour écarter toute étiologie infectieuse et inflammatoire; l’analyse du liquide céphalorachidien était normale. L’imagerie par résonance magnétique du cerveau et des orbites avec agent de contraste n’a révélé aucun rehaussement leptoméningé ou de la gaine du nerf optique, suggérant ainsi une papillite inflammatoire liée à l’uvéite comme cause de l’œdème papillaire gauche. Après qu’une radiographie pulmonaire ait révélé la présence d’un hile droit proéminent, une tomodensitométrie a révélé une hypertrophie des ganglions lymphatiques médiastinaux hilaires droits et interlobaires d’apparence hétérogène, et une image d’arbre en bourgeons au niveau du lobe moyen droit (Figure 4).
Coupes axiale (A) et coronale (B) d’une tomodensitométrie thoracique avec agent de contraste chez cette patiente, montrant des ganglions lymphatiques médiastinaux (flèche blanche) et interlobaires (flèche rouge) droits hétérogènes et hypertrophiés.
Nous avons commencé chez cette patiente de la méthylprednisolone intraveineuse sur la base d’un diagnostic présumé de réaction d’hypersensibilité au TCT. Elle a ensuite subi une aspiration à l’aiguille transbronchique par échographie endobronchique des chaînes ganglionnaires 4R, 7 et 11R. La cytologie du ganglion de la chaîne 7 montrait une nécrose et les taches étaient négatives à l’égard des organismes fongiques et des bacilles acidorésistants.
Deux jours après le traitement, l’acuité visuelle de la patiente s’est améliorée; elle pouvait compter les doigts à 20/100–2 avec son œil gauche. Ses céphalées se sont dissipées, l’œdème périorbital est rentré dans l’ordre et elle est passée à de la prednisone orale. Une semaine après le début de la prednisone orale, nous avons observé de nouvelles lésions jaune crémeux à la région sous-rétinienne lors de l’examen du fond d’œil (Figure 5).
Photo du fond de l’œil gauche de la patiente 1 mois après sa consultation initiale montrant des lésions choroïdales blanchâtres multifocales profondes (flèches) après réinstauration de la corticothérapie orale.
Nous avons ensuite reçu les résultats des analyses restantes; son QFT-Plus s’est révélé doublement positif (CD4 et CD8; antigène TB1 – témoin = 6,67UI/mL, antigène TB2 – témoin = 7,66 UI/mL, avec seuil positif pour chaque valeur ≥ 0,35 UI/mL) et la culture des ganglions lymphatiques s’est révélée positive à l’égard de Mycobacterium tuberculosis. Nous avons donc considéré que le diagnostic le plus probable était une réaction d’hypersensibilité au TCT avec réactivation d’une TB latente. Nous avons commencé un traitement antituberculeux: isoniazide 300 mg/j, rifampine 600 mg/j, pyrazinamide 1500 mg/j et vitamine B6 25 mg/j. Nous avons augmenté la prednisone orale à 60 mg/j avec un échéancier de sevrage très progressif. Deux semaines après le début de son traitement anti-TB, ses lésions choroïdales, l’œdème papillaire et l’œdème maculaire sont rentrés dans l’ordre.
Discussion
La tuberculose est une infection causée par M. tuberculosis transmise par voie aérienne. Elle se propage par le biais de gouttelettes expulsées des voies respiratoires de personnes atteintes d’une infection active1. Lorsque ces gouttelettes sont inhalées, elles se logent dans les alvéoles pulmonaires et commencent à se multiplier, entraînant une réponse immunitaire chez l’hôte. L’équilibre entre la réponse immunitaire de l’hôte et la multiplication des bacilles détermine l’issue de l’infection. Il y a 3 issues potentielles: TB active symptomatique, TB latente et réactivation retardée d’une TB latente1. Une réaction d’hypersensibilité retardée peut aussi survenir après l’infection2. Au Canada, l’incidence de la TB active est d’environ 4,8 par 100 000 habitants et plus de 1,5 million de personnes vivent avec une TB latente associée à un risque de réactivation de 5 %–10 % au cours de la vie3.
La TB active fait suite à une réponse immunitaire inadéquate à l’endroit de M. tuberculosis et s’accompagne d’une vaste gamme de symptômes qui incluent toux productive, hémoptysie, fièvre, perte de poids, diaphorèse nocturne et lymphadénopathie. Les manifestations extrapulmonaires touchent entre autres les intestins, la colonne vertébrale (maladie de Pott) ou le système nerveux central (méningite tuberculeuse)1,4. La TB latente, qui est un état clinique asymptomatique s’observe chez un individu qui a contracté la TB, mais élabore une réponse immunitaire efficace pour contenir la multiplication des bacilles. Elle couvre une vaste gamme d’états cliniques, allant de bacilles en dormance à une infection subclinique avec bactéries à réplication active. Parce que la multiplication des bacilles s’y trouve contrôlée, le diagnostic de TB latente ne repose pas sur la présence des bacilles1.
La réactivation de la TB latente peut survenir des années après la primo-infection, lorsque l’équilibre entre l’immunité de l’hôte et la multiplication des bacilles est perturbé, ce qui déstabilise le contrôle immunitaire et réactive la multiplication des bacilles. Les facteurs de risque de réactivation incluent immunosuppression, consommation d’alcool, tabagisme, cancer, diabète et insuffisance rénale1.
Les réactions d’hypersensibilité retardée peuvent être causées par une réponse immunitaire exagérée à des antigènes mycobactériens. Cela peut survenir en présence d’une TB active ou latente. Les réactions d’hypersensibilité retardée s’accompagnent le plus souvent de manifestations oculaires de la TB comme la maladie de Eales2.
Au Canada, la TB latente est diagnostiquée à l’aide des tests TCT ou QFT-Plus en l’absence de symptômes cliniques. Le TCT et le QFT-Plus mesurent la réponse immunitaire aux antigènes de M. tuberculosis1. Avec le TCT, une petite quantité de protéine purifiée dérivée de M. tuberculosis est injectée par voie intradermique, tandis que le QFT-Plus est une analyse sanguine. Avec le TCT, chez quelqu’un qui a une TB latente, il y a une réaction d’hypersensibilité retardée de type IV qui atteint un pic en l’espace de 2–3 jours, au moment où le test est lu, tandis que le résultat du QFT-Plus s’obtient en 24 heures5,6. Le TCT provoque une réactivité croisée chez ceux qui ont reçu le vaccin BCG; par conséquent, le QFT-Plus est à privilégier chez ces patients7. Aucun des 2 tests ne permet de distinguer entre une TB latente ou active.
Quatre cas de réactions oculaires au TCT ont été signalés dans la littérature scientifique et aucun des patients ne présentait de facteurs de risque de TB. Le plus récent cas faisait état de tubercules choroïdaux multifocaux bilatéraux après un TCT, et le test T-SPOT. TB était négatif8. Aucune caractéristique systémique de TB n’a été observée et aucun échantillon tissulaire n’a été mis en culture; le patient a répondu rapidement à la corticothérapie et au traitement contre la TB active. Dans un autre cas, on a signalé une réaction d’hypersensibilité avec décollement séreux bilatéral de la rétine, sans signe de tubercules choroïdaux après un TCT9. Le patient a répondu à la corticothérapie et à un traitement pour TB latente. Les 2 patients ont recouvré leur vision presque entièrement.
Notre patiente a présenté une vive réaction au TCT, une panuvéite granulomateuse unilatérale, un QFT-Plus positif et un résultat positif à la culture d’un ganglion lymphatique médiastinal après sa réaction au TCT, suggérant la présence d’une TB active7. Selon notre hypothèse, le TCT a provoqué une réaction d’hypersensibilité systémique et a réactivé une TB latente. La grave ulcération à l’avant-bras après le TCT indique fortement une réponse à médiation immunitaire. L’activation subséquente des granulomes tuberculeux oculaires et la présence de ganglions lymphatiques thoraciques positifs à la TB suggèrent la réactivation d’une TB latente.
Nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse d’une ancienne TB active subclinique, étant donné que la patiente peut avoir été dans un état pathologique subclinique, avec réplication active des bacilles sans symptômes cliniques ni lien causal avec le TCT. Cela est par contre moins probable, puisque la patiente était asymptomatique et n’avait eu aucune exposition récente connue à une personne atteinte de TB active.
Nous signalons ici une complication rare, mais importante dont les médecins devraient connaître l’existence si des patients consultent avec des symptômes oculaires ou systémiques après un TCT.
La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs: www.cmaj.ca.
Remerciements
Les auteurs remercient les docteurs Christine McDonald et Kaveh Shojania du Centre des sciences de la santé Sunnybrook, de l’Université de Toronto, pour leur temps et leur expertise dans la gestion de ce cas et la révision du manuscrit.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211021
Intérêts concurrents: Sumana Naidu déclare être responsable de la recherche et de l’évaluation pour le programme Student–Senior Isolation Prevention Partnership. Alexander Kaplan signale avoir reçu des montants ou des honoraires des sociétés pharmaceutiques AbbVie et Bayer. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Sumana Naidu et Radha Kohly ont rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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