Une femme de 51 ans avec des antécédents de varices œsophagiennes secondaires à une cirrhose décompensée s’est présentée au service des urgences avec une hématémèse. Sa fréquence cardiaque était de 123 battements/min et sa tension artérielle était de 86/43 mm Hg. Les premières analyses de laboratoire ont révélé une hémoglobine de 33 (plage normale 120–160) g/L, une numération plaquettaire de 245 (plage normale 150–400) × 109/L et un rapport international normalisé de 1,5 (plage normale 0,9–1,1). Nous avons traité la patiente avec des cristalloïdes administrés sous forme intraveineuse, 3 unités de sang, du pantoprazole, de l’octréotide et de la ceftriaxone. Une œsophagogastroduodénoscopie émergente a démontré la présence de nouvelles varices gastriques. Nous avons réalisé une écho-endoscopie interventionnelle accompagnée d’une embolisation de microspires, immédiatement suivies par une injection de cyanoacrylate et de lipiodol pour obtenir une oblitération variqueuse. Le lendemain de la procédure, la patiente a développé une grave hypoxémie, avec une fréquence respiratoire de 20–34 respirations/min et une saturation en oxygène de 77 %–81 % à l’air ambiant. Une radiographie thoracique a montré des infiltrats bilatéraux. Nous avons amorcé un traitement à la pipéracilline–tazobactam pour une pneumopathie d’aspiration soupçonnée. Lorsque l’état de la patiente ne s’est pas amélioré, une angiographie pulmonaire par tomodensitométrie a révélé un embole pulmonaire non thrombotique aigu et une pneumopathie induite par le lipiodol (figure 1). Pendant 4 jours, nous l’avons traitée à l’aide de stéroïdes administrés sous forme intraveineuse. Son état s’est rapidement amélioré et elle a obtenu son congé sans le soutien d’une oxygénothérapie.
Imagerie thoracique d’une femme de 51 ans atteinte d’embolie pulmonaire non thrombotique bilatérale, réalisée 4 jours après l’oblitération variqueuse. A) Une radiographie thoracique montre un accroissement des taches interstitielles et des opacités parenchymateuses. B) Une coupe coronale d’une angiographie pulmonaire par tomodensitométrie (TDM) thoracique révèle de multiples anomalies de remplissage à haute atténuation des artères pulmonaires, compatibles avec un embole non thrombotique de colle iodée (flèches creuses, aussi apparentes sur la radiographie). La matière hautement atténuante observée dans la partie supérieure gauche de l’abdomen souligne la présence de la colle iodée et de l’embolisation de microspires de la varice gastrique (flèches pleines). La vaste atténuation en verre dépoli visible sur la tomodensitométrie est compatible avec une pneumopathie liée au lipiodol.
L’embolie pulmonaire non thrombotique (EPNT) est une complication rare et potentiellement mortelle de la sclérothérapie réalisée à l’aide de colle à base de cyanoacrylate, présentant une incidence de 0,5 %–4,3 %1. Les techniques écho-endoscopiques faisant appel aux microspires et au cyanoacrylate sont plus efficaces que celles faisant appel à ces technologies de façon individuelle; elles présentent un faible taux d’EPNT (0,7 %)2,3. L’injection de cyanoacrylate à l’intérieur des varices œsophagiennes et gastriques peut entraîner une embolie pulmonaire non thrombotique par un shunt portosystémique entre les varices et les vaisseaux gastro-spléno-rénaux collatéraux, la veine rénale gauche, la veine cave inférieure et les artères coronaire et pulmonaire droite4.
Les signes radiographiques de l’embolie pulmonaire non thrombotique causée par la colle à base de cyanoacrylate se distinguent comme une matière radio-opaque qui trace le contour des artères pulmonaires. Le lipiodol, une huile iodée utilisée comme diluant du cyanoacrylate, prévient la polymérisation prématurée à l’intérieur du dispositif d’injection. L’embole induit par le lipiodol se manifeste comme un amalgame, des infiltrats parenchymateux et une matière hautement atténuante dans les poumons5. Nous posons l’hypothèse que le lipiodol cause des pneumopathies à partir de la dissociation des acides gras libres qui provoquent de l’inflammation accompagnée de fuites capillaires et d’œdème pulmonaire6.
On privilégie une prise en charge adaptée. Malgré le peu de données probantes existantes, on peut envisager des stéroïdes pour traiter les pneumopathies induites par le lipiodol. Une anticoagulothérapie n’est pas recommandée, puisque la pathophysiologie de l’embolie pulmonaire non thrombotique est une obstruction mécanique causée par de la colle et non pas une thrombose.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été soumis à l’examen des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
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