L’insuffisance cardiaque est une maladie répandue qui demeure difficile à diagnostiquer.
La radiographie pulmonaire est souvent d’une utilité limitée pour poser ou écarter un diagnostic d’insuffisance cardiaque comme cause de l’essoufflement.
L’échographie cardiothoracique portable (ou PoCUS pour point-of-care ultrasonography) peut être utilisée pour diagnostiquer l’insuffisance cardiaque de manière fiable et en identifier la cause sous-jacente.
Les obstacles à l’utilisation de l’échographie PoCUS s’amenuisent, ce qui en fait un outil prometteur pour le diagnostic des patients que l’on soupçonne de souffrir d’insuffisance cardiaque.
Plus de 5 personnes sur 1000 au Canada recevront un diagnostic d’insuffisance cardiaque cette année1. Beaucoup d’autres manifesteront des symptômes respiratoires pour lesquels on demandera une radiographie pulmonaire2,3. Dans un article de recherche connexe, Torres et ses collègues ont émis des doutes sur une règle empirique de la radiographie pulmonaire, à savoir qu’un diamètre de la silhouette cardiaque occupant plus de la moitié du diamètre thoracique, révèle une cardiomégalie, signe d’une possible insuffisance cardiaque sousjacente3. Ils ont comparé les mesures du rapport cardiothoracique obtenues avec la radiographie pulmonaire au standard de référence d’évaluation de la cardiomégalie au moyen de l’imagerie par résonance magnétique (IRM)3 et ont montré que les rapports de vraisemblance (RV) positifs et négatifs du rapport cardiothoracique sont peu utiles pour confirmer ou infirmer le diagnostic de cardiomégalie, peu importe le seuil choisi. La taille absolue de la silhouette cardiaque a été plus utile: un diamètre cardiaque maximal supérieur à 19 cm chez les hommes et supérieur à 13 cm chez les femmes serait associé à un RV cliniquement utile pour ce qui est de prédire la cardiomégalie3.
Les symptômes de l’insuffisance cardiaque sont non spécifiques et communs à plusieurs autres maladies gravissimes ou bénignes. Ainsi, un diagnostic d’insuffisance cardiaque est rarement recherché isolément et peut être difficile à poser ou à écarter. La dyspnée nocturne paroxystique, symptôme que les médecins associent étroitement à l’insuffisance cardiaque, aurait une utilité limitée pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque, avec un RV positif de 2,2 et un RV négatif de 0,72. L’examen clinique n’est pas mieux. Un troisième bruit cardiaque n’est qu’accessoirement utile (RV positif 1,14, RV négatif 0,08) et les crépitements basaux entendus à l’auscultation pulmonaire le sont encore moins (RV positif 1,95, RV négatif 0,37)2. La pression veineuse jugulaire élevée contribue aussi minimalement au diagnostic (RV positif 1,06, RV négatif 0,62)2.
Le dosage des taux de peptide natriurétique de type B (ou BNP pour Brain Natriuretic Peptide) et de fragment N-terminal du propeptide natriurétique de type B (NT-proBNP) a été jugé concluant pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque. Des taux de BNP et de NT-proBNP inférieurs à 100 pg/mL (RV négatif 0,30) et à 300 pg/mL (RV négatif 0,01), respectivement, réduisent nettement la probabilité d’une insuffisance cardiaque, tandis que des valeurs de plus de 500 pg/mL (RV positif 70) et 1800 pg/mL (RV positif 6,6), respectivement, confirment largement le diagnostic2. Toutefois, de nombreux patients présenteront des valeurs intermédiaires et le diagnostic restera incertain, surtout si l’on tient compte d’autres maladies qui peuvent entraîner une augmentation des taux de BNP et NT-proBNP.
Une récente revue systématique des études ayant comparé la précision diagnostique de l’échographie cardiothoracique portable (ou PoCUS pour point-of-care ultrasonography) à celle de la radiographie pulmonaire chez des adultes présentant des symptômes d’insuffisance cardiaque aiguë décompensée a révélé que la radiographie pulmonaire donne de piètres résultats, avec une sensibilité allant de 0,70 à 0,764. Les conclusions de l’étude connexe3 semblent appuyer la notion de plus en plus prévalente selon laquelle la radiographie pulmonaire est d’une utilité limitée pour établir ou écarter un diagnostic d’insuffisance cardiaque.
L’échocardiographie formelle a longtemps été la norme pour diagnostiquer l’insuffisance cardiaque puisqu’elle confirme le diagnostic et en établit la cause2. Toutefois, les temps d’attente pour l’échocardiographie formelle peuvent être longs, ce qui retarde le diagnostic et l’instauration du traitement. L’échographie portable, effectuée par des médecins de première ligne dûment formés repose sur la même technologie que l’échocardiographie. Une étude transversale à l’insu menée auprès de médecins ayant reçu divers types de formation sur l’échographie PoCUS a montré que les non-cardiologues peuvent diagnostiquer avec justesse les causes fréquentes de l’insuffisance cardiaque au moyen de l’échographie PoCUS5.
Selon la revue systématique de 2019 susmentionnée, l’échographie PoCUS a été cliniquement utile pour identifier la présence et la distribution des artéfacts en queue de comète (de type lignes B, indicatrices du liquide interstitiel pulmonaire) et pour confirmer un diagnostic d’insuffisance cardiaque (RV positif 8,8, RV négatif 0,13)4. Une étude observationnelle de 2015 a comparé directement l’approche diagnostique mixte couramment utilisée (c.-a-d., examen clinique, dosage du NTproBNP sérique et radiographie pulmonaire) à l’échographie cardiopulmonaire PoCUS seule (c.-a-d., sans examen clinique) chez des patients ayant consulté pour dyspnée aiguë6. L’échographie cardiopulmonaire PoCUS a été plus précise que l’approche mixte pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque gauche aiguë et n’a demandé qu’environ 12 minutes au chevet du patient6. L’avantage additionnel de l’échographie cardiopulmonaire PoCUS est que les médecins peuvent souvent établir la cause de l’insuffisance cardiaque au moment du diagnostic. La confiance des patients à l’endroit de leur médecin peut également s’en trouver consolidée s’il utilise l’échographie PoCUS7.
Quel peut en être l’incidence sur l’avenir de notre approche en contexte de soins primaires et de médecine d’urgence de l’évaluation des patients dont on soupçonne une insuffisance cardiaque? Les médecins sont de plus en plus formés à l’échographie PoCUS et la plupart des facultés de médecine enseignent présentement cette approche à leurs apprenants, souvent en lien avec les cours d’anatomie, leur permettant la visualisation en direct de l’anatomie dynamique et de la variabilité anatomique chez l’être humain8. De récentes études qui ont évalué la formation ont constaté que les apprenants acquièrent assez rapidement la maîtrise de l’échographie PoCUS9,10 et que les médecins et les techniciens ambulanciers paramédicaux maintiennent leurs compétences, même s’ils n’utilisent pas régulièrement cette technique en contexte clinique9,11.
La technologie PoCUS, à distance et à l’aide de l’intelligence artificielle, est déjà disponible commercialement pour utilisation dans des contextes où les médecins manquent de formation ou ont besoin de soutien décisionnel12. En outre, l’intelligence artificielle est de plus en plus intégrée aux appareils pour échographie PoCUS disponibles sur le marché, ce qui permet entre autres d’automatiser l’évaluation de la fraction d’éjection et des lignes B13; toutefois, cette technologie qui se développe rapidement requiert une validation soigneuse. Étant donné que les appareils deviennent plus abordables, l’échographie PoCUS pourrait devenir plus largement accessible que la radiographie.
Certains de ses détracteurs prétendent qu’étant donné que la technologie PoCUS est effectuée en contexte clinique, il devient difficile de maintenir un bon contrôle de la qualité et une tenue optimale des dossiers. Toutefois, les appareils pour l’échographie PoCUS peuvent être reliés aux systèmes d’archivage et de transmission des images (PACS pour Picture Archiving and Communication Systems) des hôpitaux, ou encore, des logiciels commerciaux peuvent archiver les images PoCUS de façon à ce qu’elles soient facilement consultables et intégrées au dossier médical électronique, et les anonymiser au besoin.
Même si demander une radiographie pulmonaire peut être utile dans certains cas cliniques, son utilité diagnostique est limitée chez les patients que l’on soupçonne de souffrir d’insuffisance cardiaque. Les données émergentes laissent entendre que le temps est venu pour nous d’opter pour l’échographie cardiothoracique PoCUS systématique.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211763; voir l’article connexe en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210083
Intérêts concurrents: Paul Atkinson déclare avoir reçu des droits d’auteur pour des ouvrages sur l’échographie en médecine d’urgence et des honoraires pour des tâches professorales avec CanPoCUS.com. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été sollicité et il n’a pas été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Déclaration d’intérêts: Heather Murray est corédactrice pour le JAMC, mais n’a pas participé au processus ayant mené au choix de cet article.
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