De plus en plus de personnes atteintes de maladies inflammatoires ou auto-immunes utilisent des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux avant la conception, et durant la grossesse et l’allaitement.
Une minorité d’agents biologiques peuvent donner lieu à des anomalies immunologiques et hématologiques chez le nourrisson exposé.
Pour les nourrissons exposés aux agents biologiques, les lignes directrices cliniques recommandent généralement d’éviter les vaccins vivants au cours des 6–12 premiers mois de vie, mais selon les données émergentes, les vaccins antirotavirus vivants peuvent être administrés sécuritairement à des nourrissons exposés s’ils ont une fonction immunitaire normale.
Un transfert minime des agents biologiques vers le lait maternel signifie que l’allaitement semble sécuritaire.
De plus en plus, la prise en charge des personnes enceintes et des nourrissons exposés à des agents biologiques relève de cliniques multidisciplinaires spécialisées.
Les agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux, parfois appelés produits biologiques, ont révolutionné le traitement et la qualité de vie de nombreux patients atteints de maladies inflammatoires et auto-imunes1. Compte tenu des données émergentes concernant l’innocuité de ces agents avant la conception, puis durant la grossesse et l’allaitement, les personnes fertiles les utilisent de plus en plus pour maintenir leur maladie en rémission.
Les agents biologiques ont la structure d’une immunoglobuline G (IgG); ils se lient à des récepteurs ou à des molécules inflammatoires clés et peuvent moduler l’inflammation en inhibant la production de cytokines et en influant sur la circulation des lymphocytes, la costimulation du blocage des signaux ou l’épuisement des lymphocytes B. Les agents biologiques sont devenus le traitement standard de nombreuses maladies, notamment les maladies inflammatoires de l’intestin (MII), le lupus érythémateux disséminé, la sclérose en plaques, la polyarthrite rhumatoïde et le psoriasis, dont ils ont révolutionné les soins cliniques. On dispose à présent d’un plus grand nombre d’agents biologiques dotés d’indications cliniques plus larges, il devient donc difficile de rester au courant des caractéristiques de chacun et de ses effets sur le système immunitaire (tableau 1).
La plupart des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux franchissent facilement la barrière placentaire2,3, ce qui soulève des inquiétudes quant à leur utilisation durant la grossesse et leur incidence sur le fœtus et le nourrisson. On a donc eu tendance à les éviter durant la grossesse. Or, au cours de la dernière décennie, les traitements ont davantage été utilisés pour mieux maîtriser la maladie chez les personnes enceintes afin d’améliorer les résultats maternels et fœtaux. On sait que l’atteinte d’une rémission clinique est l’un des meilleurs prédicteurs d’une issue favorable de la grossesse4–7, et la stabilisation de la maladie, surtout au cours des 6 mois précédant la conception, a été associée à de meilleurs résultats chez la mère et le fœtus8–10. Cela a donné lieu à une utilisation accrue des agents biologiques avant la conception, puis durant la grossesse et le post-partum, avec des objectifs établis en fonction de cibles précises selon chaque maladie11–14. De plus en plus d’études de cohorte, de registres cliniques et de revues systématiques font état de l’innocuité des agents biologiques à base d’anti-FNT (facteur de nécrose tumorale) durant la grossesse, regroupant pour la plupart des patientes atteintes de MII3,15–17. Curieusement, les recommandations des sociétés spécialisées divergent en ce qui concerne les agents à utiliser et le moment de leur suspension4–6,18,19.
En nous reportant aux données probantes émergentes concernant les effets potentiels ou signalés des agents biologiques sur le fœtus et le nourrisson (encadré 1), nous abordons ici les soins pour les personnes qui prennent des agents biologiques durant la grossesse et pour les nourrissons exposés.
Données utilisées pour la présente synthèse narrative
Nous avons procédé à une revue documentaire des études cliniques et précliniques dans PubMed publiées entre janvier 2005 et février 2021. Nous avons procédé à une interrogation pour recenser les articles relatifs à l’utilisation des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux durant la grossesse à partir des mots clés suivants en langue anglaise: biologics, monoclonal antibody biologics, pregnancy, infliximab, adalimumab, certolizumab pegol, vedolizumab, ustekinumab, rituximab et neonatal outcomes. Étant donné la rapide émergence des données sur ce sujet, nous avons aussi consulté et sélectionné des résumés, des lignes directrices d’experts publiées et des rapports de cas. Nous avons aussi passé en revue les bibliographies des articles de revues prestigieuses dans les domaines de la gastro-entérologie, de la rhumatologie et de la dermatologie. Les articles récents ont été privilégiés pour la présente revue, car ils représentent les données les plus à jour.
Sur quelles données probantes et lignes directrices la prescription d’agents biologiques durant la grossesse s’appuie-t-elle?
Malgré les données émergentes, il y a trop peu de données probantes pour appuyer la prescription systématique d’agents biologiques durant la grossesse, à part les anti-FNT. Si certaines études prospectives regroupant de 100 à 200 personnes enceintes présentant une activité stable de MII ont montré qu’il est possible de cesser sécuritairement le traitement par anti-FNTα sans complications20–22, d’autres ont affirmé que l’arrêt du traitement pendant la grossesse accroît le risque de récidive de la maladie23,24, ce qui a des conséquences négatives pour le nourrisson, par exemple, prématurité et faible poids à la naissance25.
Les risques associés à l’exposition fœtale devraient être mis dans la balance avec le risque de poussée de la maladie chez la personne enceinte, et ces risques différeront selon la gravité de la maladie sous-jacente, le risque de complications et d’hospitalisation et le type d’agent biologique. À l’heure actuelle, des sociétés préconisent l’arrêt de certains agents biologiques durant la grossesse, en général à la fin du deuxième ou au début du troisième trimestre, dans le but de réduire l’exposition du fœtus aux médicaments5,6,18,19. Selon les énoncés consensuels émanant de Toronto pour la prise en charge des MII durant la grossesse4, le cheminement clinique pour les MII durant la grossesse26 et le registre multicentrique PIANO (Pregnancy in Inflammatory Bowel Disease and Neonatal Outcomes)15, en raison des risques associés à la détérioration de l’état de la mère et du fœtus et du risque d’une éventuelle perte de réponse à un médicament efficace (formation d’anticorps dirigés contre l’agent biologique après sa suspension)27,28, le maintien du traitement par anti-FNTα tout au long de la grossesse semble surclasser les risques pour le fœtus qui y serait exposé4,15,16,26,29. Cela diffère d’autres lignes directrices plus anciennes de l’Organisation européenne de la maladie de Crohn et de la colite, qui recommandaient la suspension des anti-FNT entre les 24e et 26e semaines de la gestation, si possible18.
Les lignes directrices du Collège américain de rhumatologie préconisent le maintien conditionnel des anti-FNT durant la grossesse, mais l’arrêt des agents biologiques tels que le tocilizumab, l’ustékinumab et le bélimumab19. La Ligue européenne de lutte contre le rhumatisme (EULAR) suggère quant à elle l’arrêt de l’infliximab et de l’adalimumab à 20 semaines de grossesse et l’arrêt de l’étanercept à 30–32 semaines de la gestation, tout en précisant qu’il est possible aussi de maintenir le traitement tout au long de la grossesse, si cela est indiqué6.
À quel point les agents biologiques franchissent-ils la barrière placentaire et lesquels sont décelables chez le nouveau-né?
Le degré de transfert des agents biologiques au fœtus est variable et dépend de plusieurs facteurs, tels que la structure spécifique de l’agent, la demi-vie, la dose et l’âge gestationnel au moment de la dernière dose. Le transfert est minime durant le premier trimestre et se fait principalement par simple diffusion à travers la barrière placentaire30. Après cette période, les anticorps anti-IgG maternels franchissent en plus grand nombre et plus activement la barrière placentaire, sous la médiation des récepteurs Fc néonataux que l’on retrouve dans le syncytiotrophoblaste placentaire. L’accélération du transfert survient après 36 semaines de gestation30,31 et dans l’ordre suivant d’efficience selon les sousclasses d’IgG: IgG1 > IgG4 > IgG3 > IgG232. Le temps écoulé après la dernière dose de l’agent biologique chez la mère est inversement proportionnel à sa concentration dans le sang de cordon33.
D’autres études sur le transfert des anticorps de la mère au fœtus34 ont aussi montré que les taux d’agents biologiques à la naissance sont souvent plus élevés chez le nourrisson que chez la mère2,33,35–38. Les taux d’infliximab seraient 2 fois plus élevés chez les nourrissons que chez la mère à la naissance, mais sont généralement indécelables après 3–7 mois de vie2,33. Les taux d’adalimumab chez les nourrissons sont en général 1–1,5 fois plus élevés que les taux maternels à la naissance, et la plupart des études montrent des taux indécelables entre les 3e et 5e mois de vie3,33,38,39. L’étanercept est une protéine de fusion, composée d’un récepteur du FNT dimère joint à un fragment de molécule d’IgG1-Fc. Quelques rapports de cas ayant fait état des taux d’étanercept mesurés chez des nourrissons exposés ont mentionné des taux faibles à la naissance et des taux indécelables à 12 semaines de vie39,40. Le certolizumab pégol, qui ne contient que la portion Fab de l’IgG et qui est dépourvu de la portion Fc, ne fait l’objet d’aucun transfert transplacentaire actif et ses taux à la naissance sont négligeables41,42. Le védolizumab semble être éliminé du sang en l’espace de 3 mois, selon de très petits rapports de cas16,43,44. Il y a eu très peu de publications sur le transfert et l’élimination des agents biologiques plus récents et il faudra approfondir la recherche dans ce domaine. Le transfert différentiel des agents a mené le Collège américain de rhumatologie à recommander fortement le maintien du traitement par certolizumab durant la grossesse, mais préconise le maintien des autres anti-FNT sur une base conditionnelle seulement19. Le tableau 2 compare le transfert et l’élimination des agents biologiques chez les nourrissons.
Quels sont les effets négatifs potentiels des agents biologiques durant la grossesse?
La surveillance post-commercialisation de l’infliximab utilisé durant la grossesse ces 20 dernières années n’a révélé aucun effet indésirable grave ou tératogène53–57. Les études de cohorte24,58,59 rétrospectives observationnelles et certaines études prospectives15,60 ne mentionnent pas non plus d’accroissement du risque de fausse couche, d’accouchement prématuré ou de malformation congénitale. La volumineuse étude de cohorte prospective PIANO, qui a suivi 1490 grossesses ayant donné lieu à 1431 naissances vivantes, a récemment publié des données sur les résultats à 1 an pour 1010 nourrissons exposés à des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux15. Les participantes étaient des femmes atteintes de MII traitées par thiopurines (azathioprine, 6-mercaptopurine), agents biologiques (infliximab, adalimumab, certolizumab, golimumab, védolizumab, natalizumab et ustékinumab) ou les deux durant la grossesse (n = 1111) et des participantes non exposées à ces médicaments (n = 379). Les taux de malformation congénitale, d’avortement spontané, de naissance prématurée, de faible poids à la naissance et d’infection chez le nourrisson n’ont pas augmenté comparativement au groupe non exposé. Toutefois, le taux de prématurité a été associé à un taux plus élevé d’infection chez les nourrissons.
Les études concernant l’incidence de l’exposition aux anti-FNT durant la grossesse sur les infections ont montré que le risque augmentait chez la mère, mais non chez le nourrisson24, que le risque d’infection était associé à la prématurité plutôt qu’au médicament58, et que le traitement d’association (anti-FNT/thiopurines) pouvait exacerber le risque d’infection durant la première année de vie du nourrisson33. Une revue systématique et méta-analyse regroupant 6963 patientes a montré que les complications en cours de grossesse étaient les mêmes chez les personnes atteintes de MII traitées par agents biologiques et chez celles dans la population générale61.
Des études sur les personnes atteintes de maladies autoimmunes en Colombie-Britannique, menées à partir de bases de données médico-administratives reliées et d’un registre périnatal, n’ont révélé aucun lien entre l’exposition à divers agents biologiques durant la grossesse et les résultats chez les nourrissons, y compris le risque de prématurité, d’infection et d’anomalie congénitale62–64. Aucune alerte majeure n’a été mentionnée avec d’autres agents biologiques, tels que le tocilizumab65, le canakinumab66, l’ustékinumab67, le védolizumab59 ou le bélimumab68, mais les données probantes proviennent principalement de petites études rétrospectives observationnelles et sont de faible qualité3,16.
Une personne traitée par agents biologiques peut-elle recevoir des vaccins durant sa grossesse?
Aucune étude ne s’est penchée sur l’immunogénicité des vaccins chez les personnes enceintes traitées par agents biologiques. L’immunogénicité des vaccins contre la coqueluche et la grippe a été démontrée durant la grossesse. Chez des personnes non gravides atteintes de MII, certains vaccins auraient généré une immunogénicité moindre lors de leur administration concomitante avec des agents biologiques69. On encourage néanmoins fortement les cliniciens à suivre les lignes directrices habituelles pour la vaccination durant la grossesse chez les personnes traitées par agents biologiques. Les Comités consultatifs canadien et américain de l’immunisation recommandent la vaccination contre la coqueluche durant chaque grossesse, indépendamment des antécédents vaccinaux contre cette maladie70,71. Les vaccins vivants sont contre-indiqués durant la grossesse, indépendamment de la prise d’agents biologiques. Durant la saison de la grippe, on recommande l’administration de vaccins inactivés contre la grippe saisonnière72. Les données cliniques émergentes appuient l’utilisation des vaccins contre le SRAS-CoV-2 durant la grossesse, particulièrement les vaccins à ARNm. Plusieurs sociétés de spécialistes (p. ex., la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et l’Ordre des obstétriciens et gynécologues des États-Unis) ont suggéré d’offrir le vaccin contre le SRAS-CoV-2 aux personnes enceintes, étant donné que la grossesse représente un facteur de risque à l’égard de la forme grave de la COVID-19 et de l’hospitalisation, y compris aux unités de soins intensifs73,74.
Quels sont les effets de l’exposition à des agents biologiques in utero chez les nourrissons?
La distribution et l’élimination des agents biologiques peuvent se faire différemment chez les nourrissons et chez les adultes75. Aucun agent biologique n’est actuellement autorisé chez les nourrissons. On comprendra que les professionnels de la santé s’inquiètent de l’incidence potentielle de ces agents sur le système immunitaire en développement du nourrisson exposé et sur sa réponse aux infections et aux vaccins. Une étude de cohorte prospective regroupant 80 personnes atteintes de MII a fait état d’un risque 3 fois plus grand d’infection (surtout des infections légères et autorésolutives des voies respiratoires supérieures) chez les nourrissons exposés concomitamment à des agents biologiques et à des thiopurines, comparativement à des agents biologiques seuls33. Ces résultats diffèrent de ceux de l’étude de cohorte PIANO, plus volumineuse, qui n’a observé aucun accroissement du risque lié au traitement d’association15. Diverses infections, pour la plupart non compliquées et autorésolutives, ont aussi été mentionnées dans de petites séries de cas de nourrissons exposés à des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux (même si les infections ayant nécessité l’hospitalisation ont été rares)76–78. Des cytopénies marquées (p. ex., neutropénie, lymphopénie et anémie) ont été signalées à la naissance chez des nourrissons exposés au natalizumab48,79, au rituximab80 et, en de rares occasions, à l’infliximab81. On peut envisager un dépistage au moyen de formules sanguines complètes chez certains nourrissons exposés. Une étude sur les réponses immunitaires des nourrissons exposés à des anti-FNTα a mentionné la présence de lymphocytes T et B auxiliaires plus immatures qui se sont normalisés à 12 mois de vie82. La déplétion lymphocytaire B a été bien documentée chez les nourrissons exposés au rituximab et au bélimumab50,51,83.
Les personnes qui prennent des agents biologiques devraient-elles continuer d’allaiter?
Toutes les sociétés de spécialistes s’entendent pour dire que le risque associé à l’utilisation des anti-FNT durant l’allaitement est faible étant donné que la sécrétion d’IgG1 et le transfert de l’agent dans le lait maternel sont minimes. De manière générale, l’utilisation des agents biologiques ne devrait pas influer sur la décision d’allaiter, et l’allaitement ne devrait pas influer sur la décision d’utiliser ces médicaments4,15,18,84. Plusieurs études, y compris des études multicentriques prospectives, ont documenté la présence de quantités d’agents biologiques décelables, mais minimes dans le lait maternel52,56,85,86. Même si on maintient les agents biologiques chez la mère qui allaite, les taux sériques chez les nourrissons exposés diminuent de manière constante après la naissance jusqu’à devenir indécelables87. Et les enzymes protéolytiques digestives du nourrisson se chargeront de décomposer et neutraliser encore davantage toute quantité minime de médicament ingéré; la quantité subséquemment absorbée par le nourrisson est jugée très faible et sans aucune portée clinique87,88. Pour d’autres agents, tels que le bélimumab, l’abatacept, le tocilizumab, le rituximab et l’ustékinumab, certaines sociétés de spécialistes recommandent d’être prudents19,89 ou de les éviter durant l’allaitement jusqu’à ce qu’on dispose de rapports d’innocuité plus complets6.
Devrait-on vacciner les nourrissons exposés à des agents biologiques?
Tous les nourrissons exposés devraient recevoir des vaccins inactivés, conformément au calendrier vaccinal habituel. Quelques petites études ont évalué l’immunogénicité des vaccins et ont fait état des mêmes titres normaux d’anticorps protecteurs chez les nourrissons exposés et non exposés36. Deux études ont montré des taux d’anticorps anti-Hemophilus influenzae type B (Hib) post-vaccination plus faibles chez les nourrissons exposés que chez les nourrissons non exposés90,91. La plupart des lignes directrices recommandent d’éviter tous les vaccins vivants pendant les 6–12 premiers mois de vie4,5,18,33,92. Un seul cas de bécégite disséminée a été signalé chez un nourrisson exposé à l’infliximab après l’administration d’un vaccin BCG vivant atténué93. Toutefois, des études de cohorte sur des nourrissons ayant reçu le vaccin BCG n’ont signalé aucune complication grave74,94,95. Au Canada, le seul vaccin vivant administré de manière systématique avant l’âge de 6 mois est un vaccin antirotavirus. Selon l’expérience clinique accumulée, le vaccin antirotavirus peut être administré sécuritairement à certains nourrissons exposés à des agents biologiques, même s’ils sont encore décelables dans le sérum. Des séries de cas65,82 et plus récemment, des études de cohorte59,76,96 ont décrit des nourrissons exposés qui ont reçu ce vaccin sans complications graves, comme l’infection à rotavirus associée au vaccin83,97–99. L’infection à rotavirus associée au vaccin vivant atténué affecte principalement les patients déjà atteints de déficit immunitaire combiné sévère100–102, ce qui laisse supposer que cette complication s’observe davantage chez les enfants atteints d’une grave carence en lymphocytes T et B, et non d’autres anomalies immunitaires ou d’immunosuppression légère103–105. On recommande une évaluation de la fonction immunitaire par des spécialistes avant d’envisager l’administration de vaccins antirotavirus, en portant une attention particulière à l’exposition spécifique à des médicaments. Cette information doit ensuite guider la discussion sur le rapport risques–avantages et le bien-fondé de la vaccination en question103,106. Si le nourrisson exposé ne peut pas être évalué, il faut éviter les vaccins vivants pendant les 6–12 premiers mois de vie. Dans certains cas (p. ex., déplacements ou éclosions locales), il faut mesurer le risque théorique associé aux vaccins vivants avant l’âge de 12 mois et le risque d’exposition à une infection naturelle. Les vaccins vivants sont généralement autorisés après l’âge de 12 mois, lorsque tous les types d’agents biologiques ont été éliminés de la circulation du nourrisson.
Quels soins faut-il administrer au nourrisson qui a été exposé à des agents biologiques?
Le fait qu’on n’ait pas signalé d’effets indésirables chez le nourrisson exposé ne signifie pas que le risque est nul. Les nourrissons exposés à des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux bénéficieraient d’un suivi auprès d’un professionnel de la santé qui connaît l’incidence possible de l’exposition in utero. Le suivi doit être individualisé en fonction des caractéristiques de l’exposition à l’agent, du traitement immunosuppresseur maternel concomitant et de l’exposition postnatale potentielle à des maladies infectieuses. Il existe des cliniques pédiatriques spécialisées dans certains centres de soins tertiaires où les nourrissons exposés à des agents biologiques in utero peuvent être évalués pour d’autres aspects de leurs soins, comme la consignation d’une protection adéquate conférée par les vaccins administrés (p. ex., après une exposition au rituximab) ou la vérification de l’innocuité de vaccins antirotavirus après un survol de l’exposition aux médicaments, des tests immunologiques et une discussion avec les proches aidants sur le rapport risques–avantages. Ces cliniques spécialisées fournissent également des conseils sur le risque de maladies infectieuses et l’altération de la réponse immunitaire de l’hôte. Un exemple est le Réseau de cliniques de vaccination spéciales du Réseau canadien de recherche sur l’immunisation, qui dispose de cliniques dans 11 centres de soins pédiatriques tertiaires pour offrir une expertise en matière de soins cliniques aux enfants présentant des maladies sous-jacentes qui compliquent l’immunisation, y compris les nourrissons ayant été exposés à des agents biologiques107,108.
Quelles sont les lacunes actuelles sur le plan des connaissances?
Même si aucune alerte clinique importante n’a été lancée concernant l’innocuité des agents biologiques à base d’anticorps monoclonaux chez les nourrissons exposés, une incidence plus subtile sur le développement du système immunitaire pourrait ne s’observer qu’avec leur utilisation prolongée et à grande échelle durant la grossesse. Plusieurs questions demeurent quant aux effets spécifiques des agents biologiques et quant à l’incidence à long terme de l’exposition. Par exemple, le védolizumab, un inhibiteur de la circulation lymphocytaire spécifique à l’intestin, n’exercerait pas d’incidence systémique sur la fonction immunitaire, mais on ignore ses effets sur l’intestin en développement du fœtus ou du nourrisson. Même si les taux sériques sont indécelables, le rituximab, un agent qui cause la déplétion des lymphocytes B, peut donner lieu à une hypogammaglobulinémie prolongée chez certains patients dont la remontée des lymphocytes B est lente; on ignore quelle en est l’incidence potentielle sur le nourrisson. Le mode d’élimination de plusieurs médicaments demeure inconnu. En terminant, très peu d’études ont porté sur l’incidence à long terme (> 1 an) de l’exposition in utero aux agents biologiques sur l’enfant. Un registre canadien qui recueille des données sur l’innocuité des agents biologiques durant la grossesse et chez les nouveau-nés fournirait des renseignements importants pour orienter la pratique, surtout en ce qui concerne les médicaments qui n’ont pas encore été bien étudiés à ce jour.
Conclusion
Selon les données actuelles, les agents anti-FNTα sont sécuritaires durant la grossesse, sans effets indésirables significatifs pour les mères ou les bébés. En outre, les bienfaits d’une maîtrise constante de la maladie chez les mères se répercutent favorablement sur les résultats maternels et fœtaux. Étant donné leurs modes d’action très différents, il est impossible d’appliquer l’expérience acquise avec les anti-FNTα aux autres agents biologiques. On connaît encore moins les effets d’autres agents durant la grossesse, comme ceux des anti-intégrines, des anticytokines et des bloqueurs de la costimulation des lymphocytes, et le risque d’infections néonatales, les réactions immunitaires et les effets indésirables de la vaccination. Il faudra approfondir la recherche et exercer une surveillance à l’échelle nationale et internationale sur les nouveaux agents biologiques utilisés durant la grossesse et leur incidence sur les nouveau-nés exposés. Les nourrissons exposés devraient aussi être étroitement surveillés.
On met sur pied des cliniques spécialisées pour les soins aux personnes enceintes atteintes de maladies chroniques, en mettant l’accent sur le counseling préconception et l’évaluation de l’innocuité des médicaments durant la grossesse et l’allaitement. Les cheminements cliniques peuvent être consultés pour plus de sûreté. Il faut revoir attentivement l’historique de la maladie de chaque personne en mettant dans la balance les avantages et les risques des traitements médicamenteux pour la mère et pour l’enfant, y compris des agents biologiques, durant la grossesse.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202391
Intérêts concurrents: Anne Pham-Huy déclare avoir reçu des honoraires de la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique et de l’Université de Calgary pour des présentations. Elle est présidente d’Immunisation Canada. Karina Top est co-investigatrice pour des projets subventionnés par GSK, indépendamment des travaux soumis. Elle déclare également avoir reçu des honoraires de la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique, une rémunération du ministère de la Procureure générale de l’Ontario pour avoir témoigné en tant qu’experte et des honoraires à titre de conférencière de l’Association canadienne de la santé publique, indépendamment des travaux soumis. Elle est directrice du Conseil de l’AMMI Canada et membre de l’Association canadienne pour la recherche, l’évaluation et l’éducation en immunisation. Cora Constantinescu déclare avoir reçu des honoraires à titre de conférencière de GSK et Pfizer. Cynthia Seow fait partie de comités consultatifs et déclare avoir reçu des honoraires à titre de conférencière de Janssen, Abbvie, Takeda, Ferring, Shire, Pfizer, Sandoz, Pharmascience. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été soumis à l’examen des pairs.
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