Le traitement de l’hypertension réduit très efficacement la morbidité cardiovasculaire ainsi que l’invalidité et les décès évitables, et ce, dans tous les groupes d’âge.
Les taux nationaux de traitement et de maîtrise de l’hypertension ont décliné au cours de la dernière décennie.
La maîtrise de l’hypertension doit redevenir une priorité nationale; elle repose sur l’optimisation des soins cliniques conformément aux pratiques optimales globales et sur un réengagement des gouvernements.
Le Canada a été un leader international du traitement de l’hypertension, mais cela semble avoir changé. Après plus de 60 ans de déclin du taux de mortalité cardiovasculaire, la tendance s’est inversée, à mesure que diminuent les taux de dépistage, de prise en charge et de maîtrise de l’hypertension1–3. Dans un sondage réalisé de 2007 à 2009, 82 % des Canadiens hypertendus avaient dit être traités, et leur hypertension était maîtrisée dans 69 % des cas; en comparaison, dans un sondage mené en 2016 et 2017, seulement 72 % des adultes hypertendus ont dit être traités, et à peine 58 % d’entre eux ont indiqué que leur tension artérielle (TA) était maîtrisée2. Selon le plus récent cycle d’une enquête nationale, moins des deux tiers des femmes disaient être traitées pour leur hypertension et moins de la moitié avaient une TA sous contrôle2. Pendant la même période, les lignes directrices de pratique clinique d’Hypertension Canada se sont resserrées; les cibles de tension artérielle systolique ont été abaissées pour certains patients à haut risque, sans distinctions entre les hommes et les femmes pour ce qui est des indications du traitement ou des objectifs tensionnels. Même si on ignore quelles raisons précises sont à l’origine des changements concernant le traitement et la maîtrise de l’hypertension à l’échelle nationale, nous avançons plusieurs explications plausibles, soit le retrait du soutien du gouvernement fédéral pour la surveillance de l’hypertension, une perte d’intérêt envers l’application et l’évaluation des lignes directrices sur l’hypertension et la fin des subventions de l’industrie pour des initiatives de sensibilisation à mesure que l’emploi des médicaments génériques s’est généralisé2.
De récentes controverses et divergences d’opinions à propos des cibles tensionnelles optimales, les risques perçus associés aux traitements et certaines recommandations d’experts pourraient avoir dissuadé des cliniciens de traiter l’hypertension chez certains patients, particulièrement chez les adultes âgés. Or, les données abondent à l’appui des bienfaits et de l’innocuité de la maîtrise de l’hypertension chez cette population. Par exemple, dans l’étude HYVET (Hypertension in the Very Elderly Trial), le traitement des adultes âgés (âge moyen 83,6 ans; 60,5 % de sexe féminin) ayant une tension artérielle systolique de référence de 160 mm Hg ou plus a donné lieu à une réduction moyenne de la TA de 15,0/6,1 mm Hg, comparativement au placebo. Le groupe traité a aussi présenté une réduction de 3,0 % du risque absolu d’événement cardiovasculaire (7,1 % c. 10,1 % avec le placebo; nombre de sujets à traiter 33; p < 0,001) et une réduction de 2,2 % du risque absolu de mortalité, toutes causes confondues (10,1 % c. 12,3 %; nombre de sujets à traiter 46; p = 0,02) sur une période médiane de 1,8 ans seulement4. Plusieurs essais ont aussi démontré un avantage sur le plan de la mortalité associé à la réduction de la tension artérielle chez les patients âgés, quel que soit leur degré de fragilité (à l’exception des patients qui avaient une espérance de vie limitée, qui étaient atteints de démence ou qui avaient besoin de soins prodigués en établissement) 4,5. Dans l’ensemble, les taux d’effets indésirables associés au traitement sont faibles4,5. En effet, le traitement de l’hypertension s’appuie sur des données de grande qualité pour tous les patients, à tous les degrés de risque cardiovasculaire et dans tous les groupes d’âge, tant chez les hommes que chez les femmes6,7.
Les déterminants du maintien d’une tension artérielle sous contrôle sont bien sûr complexes, mais des stratégies multi-dimensionnelles novatrices permettent d’améliorer la prise en charge et les issues. Plus précisément, une combinaison d’approches visant les systèmes de santé, les professionnels de la santé et les patients a permis de combler très efficacement les lacunes dans les soins et est généralisable à plusieurs types de milieux8. L’Organisation mondiale de la Santé et ses partenaires ont mis au point le programme HEARTS, qui résume les pratiques optimales pour l’amélioration de la prise en charge de l’hypertension afin de réduire l’incidence de maladies cardiovasculaires9. Ces pratiques incluent le dépistage chez tous les adultes, la détection des risques associés pour la santé, la promotion des soins de santé multidisciplinaires, l’utilisation d’une approche centrée sur des objectifs faisant appel à des algorithmes simples, et la surveillance des résultats au moyen de registres à cet effet9. Après avoir appliqué ces mesures dans le Nord de la Californie, Kaiser Permanente a fait état d’une impressionnante amélioration du taux de maîtrise de l’hypertension, passant de 44 % en 2001 à 90 % en 201510; des résultats similaires ont été observés dans d’autres régions après la mise en place des mesures8. Il est crucial d’intégrer ces principes de pratiques optimales aux soins de base si on veut améliorer le taux de maîtrise de l’hypertension.
Au Canada, les priorités nationales devraient inclure un engagement de la part des médecins de premier recours à offrir un dépistage universel de l’hypertension chez l’adulte lors des examens annuels. La prestation de soins complets devrait être assurée par une équipe de soins. Il serait utile d’établir des partenariats entre des programmes de santé communautaire, de soins primaires et de pharmacologie pour le dépistage et la prise en charge des personnes hypertendues qui n’ont pas régulièrement accès aux soins de santé. Chez la plupart des patients qui ont besoin d’un traitement, l’objectif tensionnel devrait être inférieur à 140/90 mm Hg (ou 130/80 mm Hg en présence de diabète). Pour atteindre cet objectif, l’adoption d’algorithmes thérapeutiques standardisés, particulièrement ceux qui recourent à des combinaisons d’antihypertenseurs à dose fixe formulées en comprimés uniques, pourrait aider à outrepasser l’inertie des médecins confrontés à des problèmes d’observance thérapeutique, simplifierait les recommandations des lignes directrices et guiderait le choix des médicaments, des doses et des posologies (voir la trousse à outils de l’Organisation mondiale de la Santé au https://linkscommunity.org/toolkit/hypertension-control)9,11. Les algorithmes thérapeutiques peuvent être adaptés en accord avec des experts locaux et modifiés au moyen de formulaires communs8. Les praticiens peuvent continuer à dispenser des soins individualisés, particulièrement aux patients qui doivent impérativement suivre d’autres traitements ou qui ont des antécédents d’effets indésirables, mais les protocoles de prise en charge standardisés sont efficaces et sûrs dans la plupart des cas8,10. En terminant, il faut privilégier les registres qui émettent régulièrement des rapports sur les résultats des professionnels, des cliniques et des régions, car ils encouragent la participation en plus de maintenir les pratiques optimales, de fournir des données à des fins de vérification, de recueillir des commentaires informatifs et de combler les lacunes importantes en matière de soins9.
Le taux de traitement et de maîtrise de l’hypertension au Canada a atteint son taux le plus bas depuis les 10 dernières années; nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras croisés. Compte tenu du vieillissement de la population, le nombre de patients hypertendus est en hausse, et le nombre d’adultes hypertendus qui demeurent non traités ou dont la TA n’est pas maîtrisée est appelé à augmenter si nous n’agissons pas, ce qui pourrait aggraver les taux d’invalidité et de décès évitables. Il faut remettre la maîtrise de la tension artérielle à l’avant-plan en réactivant les anciennes mesures de lutte contre l’hypertension pour offrir des soins efficaces et enjoindre au gouvernement fédéral de renouveler son engagement vis-à-vis des secteurs médicaux et scientifiques afin d’améliorer la surveillance et l’évaluation.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210140
Intérêts concurrents: Alexander Leung a participé à la création des lignes directrices de pratique clinique d’Hypertension Canada (2016–2020). Il est coprésident du comité de recherche et d’évaluation d’Hypertension Canada. Il déclare avoir reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et d’Hypertension Canada à l’extérieur des travaux soumis. Alan Bell est membre du conseil d’administration d’Hypertension Canada, coprésident du comité de la formation et de la mise en œuvre (2016–) et coauteur des lignes directrices de pratique clinique (2020). Ross Tsuyuki est président d’Hypertension Canada (2020–), coprésident du comité de la formation et de la mise en œuvre (2017–), membre du groupe de travail pour la recherche sur la mise en œuvre (2005–2011) et du groupe de travail sur les recommandations publiques (2007–2010), et rédacteur en chef du périodique Canadian Pharmacists Journal / Revue des pharmaciens du Canada. Il déclare également avoir reçu des honoraires de consultation d’Emergent Biosolutions, de Shoppers Drug Mart et de HLS Therapeutics, et des honoraires de Sanofi Genzyme. Norman Campbell est président sortant et conseiller spécial auprès du CA de la World Hypertension League, et vice-président du comité consultatif canadien sur l’hypertension. Il déclare avoir reçu du soutien de Resolve to Save Lives, de la Banque mondiale, de l’Organisation panaméricaine de la santé et de l’Organisation mondiale de la Santé en lien avec sa participation à des programmes de lutte contre l’hypertension. Il est également consultant auprès de HEARTS in the Americas Initiative de l’Organisation panaméricaine de la santé (2012–), et évaluateur pour le programme HEARTS de l’Organisation mondiale de la santé (2014–). Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude. Alexander Leung a rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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