RÉSUMÉ
CONTEXTE: Les caractéristiques des patients, les soins cliniques, l’utilisation des ressources et les issues cliniques des personnes atteintes de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) hospitalisées au Canada ne sont pas bien connus.
MÉTHODES: Nous avons recueilli des données sur tous les adultes hospitalisés atteints de la COVID-19 ou de l’influenza ayant obtenu leur congé d’unités médicales ou d’unités de soins intensifs médicaux et chirurgicaux entre le 1er novembre 2019 et le 30 juin 2020 dans 7 centres hospitaliers de Toronto et de Mississauga (Ontario). Nous avons comparé les issues cliniques des patients à l’aide de modèles de régression multivariée, en tenant compte des facteurs sociodémographiques et de l’intensité des comorbidités. Nous avons validé le degré d’exactitude de 7 scores de risque mis au point à l’externe pour déterminer leur capacité à prédire le risque de décès chez les patients atteints de la COVID-19.
RÉSULTATS: Parmi les hospitalisations retenues, 1027 patients étaient atteints de la COVID-19 (âge médian de 65 ans, 59,1 % d’hommes) et 783 étaient atteints de l’influenza (âge médian de 68 ans, 50,8 % d’hommes). Les patients âgés de moins de 50 ans comptaient pour 21,2 % de toutes les hospitalisations dues à la COVID-19 et 24,0 % des séjours aux soins intensifs. Comparativement aux patients atteints de l’influenza, les patients atteints de la COVID-19 présentaient un taux de mortalité perhospitalière (mortalité non ajustée 19,9 % c. 6,1 %; risque relatif [RR] ajusté 3,46 %, intervalle de confiance [IC] à 95 % 2,56–4,68) et un taux d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs (taux non ajusté 26,4 % c. 18,0 %; RR ajusté 1,50, IC à 95 % 1,25–1,80) significativement plus élevés, ainsi qu’une durée d’hospitalisation (durée médiane non ajustée 8,7 jours c. 4,8 jours; rapport des taux d’incidence ajusté 1,45; IC à 95 % 1,25–1,69) significativement plus longue. Le taux de réhospitalisation dans les 30 jours n’était pas significativement différent (taux non ajusté 9,3 % c. 9,6 %; RR ajusté 0,98 %, IC à 95 % 0,70–1,39). Trois scores de risque utilisant un pointage pour prédire la mortalité perhospitalière ont montré une bonne discrimination (aire sous la courbe [ASC] de la fonction d’efficacité du récepteur [ROC] 0,72–0,81) et une bonne calibration.
INTERPRÉTATION: Durant la première vague de la pandémie, l’hospitalisation des patients atteints de la COVID-19 était associée à des taux de mortalité et d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs et à une durée d’hospitalisation significativement plus importants que les hospitalisations des patients atteints de l’influenza. De simples scores de risque peuvent prédire avec une bonne exactitude le risque de mortalité perhospitalière des patients atteints de la COVID-19.
Des études internationales ont rapporté que les patients hospitalisés en raison de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) présentaient des taux élevés de maladie grave et de mortalité1–5. Deux petites études de cas canadiennes ont décrit les soins donnés aux patients atteints d’une forme grave de la COVID-19 et ont fait état de taux de mortalité pouvant atteindre 25 %6,7. Cependant, on en sait peu sur les issues cliniques des patients hospitalisés en raison de la COVID-19 au Canada, particulièrement à l’extérieur des unités de soins intensifs (USI). Le taux de létalité de la COVID-19 varie grandement selon le pays8, et les issues des patients hospitalisés au Canada pour la COVID-19 peuvent être différentes de celles des patients d’autres pays en raison des différences démographiques, des mesures de santé publique et des systèmes de santé.
La grippe saisonnière est un bon outil de comparaison pour la COVID-199–11, puisqu’elle est causée par un autre virus respiratoire, qu’elle est bien répandue dans la population et qu’elle est associée à des taux de morbidité et de mortalité élevés. Le but de la présente étude était de décrire les caractéristiques des patients, l’utilisation des ressources, les soins cliniques et les issues dans une cohorte de patients hospitalisés en raison de la COVID-19 en Ontario (Canada), et de les comparer à ceux de patients hospitalisés en raison de l’influenza. Nous avons aussi validé la capacité de différents scores de risque pronostiques à prédire avec exactitude la mortalité perhospitalière chez les patients atteints de la COVID-19.
Méthodes
Conception et conditions de l’étude
Nous avons réalisé une étude de cohorte rétrospective à partir des données de 7 grands centres hospitaliers (5 centres universitaires et 2 hôpitaux communautaires d’enseignement) de Toronto et de Mississauga (Ontario) participant au projet de recherche collaborative en milieu hospitalier GEMINI12.
Collecte des données
Nous avons recueilli des données administratives et cliniques à partir des systèmes d’information hospitaliers du projet GEMINI, comme décrit précédemment12,13. Nous avons colligé des données sur les caractéristiques démographiques des patients, l’utilisation des ressources hospitalières et les issues cliniques indiquées par l’hôpital à partir de la Base de données sur les congés des patients et le Système national d’information sur les soins ambulatoires de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Nous avons également extrait directement des systèmes d’information hospitaliers des données cliniques additionnelles : résultats de tests de laboratoire et d’examens radiologiques, signes vitaux et prescriptions de médicaments durant l’hospitalisation (consulter l’annexe 1, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202795/tab-related-content pour de plus amples détails concernant la qualité des données).
Population étudiée
Nous avons inclus tous les adultes de plus de 18 ans hospitalisés dans des unités médicales ou des unités de soins intensifs médicaux et chirurgicaux, y compris des unités de soins coronariens, et qui ont obtenu leur congé entre le 1er novembre 2019 et le 30 juin 2020. Les unités médicales comprennent toutes les spécialités médicales (médecine générale, cardiologie, pneumologie, etc.). Les données incluent tous les cas d’hospitalisations pour la COVID-19 et l’influenza ainsi que leurs complications médicales, mais elles pourraient ne pas tenir compte d’un petit nombre de patients atteints de la COVID-19 ou de l’influenza admis pour des raisons non médicales et n’ayant pas été transférés à un service médical par la suite.
Ont été considérés comme atteints de la COVID-19 les patients répondant aux critères de la version canadienne améliorée des codes de la Classification internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10e révision (CIM-10-CA), nommément U07.1 (« des résultats de laboratoire confirment le diagnostic de COVID-1914 ») et U07.2 (« un diagnostic de COVID-19 est posé à partir de la documentation clinique ou épidémiologique, mais les résultats de laboratoire ne sont pas concluants, ne sont pas disponibles ou aucun dépistage n’a été réalisé14 »). Dans 150 centres hospitaliers aux États-Unis, le code U07.1 était sensible à 98 % et spécifique à 99 % pour la COVID-1915. Les patients atteints de l’influenza ont été identifiés selon un algorithme validé basé sur la classification CIM-10-CA (codes J09, J10.0, J10.1, J10.8, J11.0, J11.1 et J11.8) qui était sensible à 83 % et spécifique a 98 % pour l’influenza en Ontario16. Moins de 6 patients étaient atteints simultanément de la COVID-19 et de l’influenza (le nombre exact a été supprimé pour limiter le risque de comptage en double); ils ont été intégrés au groupe COVID-19.
Issues cliniques et mesure
Les 5 principales issues cliniques à l’étude étaient la mortalité perhospitalière, la réadmission non planifiée dans une unité médicale ou une unité de soins intensifs médicaux ou chirurgicaux de l’un des centres hospitaliers participants dans les 30 jours suivant le congé, l’hospitalisation à l’unité de soins intensifs, la durée totale du séjour hospitalier et la durée du séjour à l’unité de soins intensifs. Nous avons aussi mesuré le taux de réadmission dans les 7 jours suivant le congé et la durée du séjour au service des urgences.
En outre, nous avons analysé l’utilisation de la tomodensitométrie (TDM) thoracique en raison de son rôle dans le diagnostic de la COVID-1917, ainsi que la prescription chez les patients hospitalisés d’antibiotiques fréquemment utilisés pour traiter des infections pulmonaires (voir l’annexe 1)18–20, d’anticoagulants et de corticostéroïdes systémiques. La prescription de ces médicaments pourrait avoir été associée à la COVID-1921,22; il faut toutefois noter que la période à l’étude était antérieure à la publication des résultats de l’essai clinique RECOVERY portant sur la dexaméthasone21. Nous avons utilisé les codes de la Classification canadienne des interventions en santé, élaborée par l’ICIS, pour recenser le recours à la ventilation artificielle effractive, à la dialyse (dialyse nouvellement amorcée ou dialyse chronique), à l’endoscopie gastro-intestinale et à la bronchoscopie. La dialyse pourrait être plus fréquemment requise chez les patients atteints de la COVID-1923, et l’endoscopie gastro-intestinale et la bronchoscopie sont des procédures effractives fréquentes dont le potentiel de contribution à la transmission de la COVID-19 est source de préoccupations24,25.
Caractéristiques des patients
Pour chaque patient, nous rapportons l’âge et le sexe, la résidence dans un établissement de soins de longue durée et le transfert depuis un établissement de soins de courte durée, de même que les résultats de tests de laboratoire et les signes vitaux à l’arrivée. Nous avons catégorisé les comorbidités selon les codes de la CIM-10-CA à l’aide du logiciel Clinical Classification Software Refined26,27 et l’indice de comorbidité de Charlson28. Puisque le revenu et l’origine ethnique des patients n’étaient pas disponibles, nous avons utilisé le code postal pour rendre compte du revenu à l’échelle du quartier et de la proportion de la population qui s’identifie comme appartenant à une minorité visible (voir l’annexe 1)29,30. Les quartiers ont été classés en quintiles (Q1 à Q5), soit du revenu le plus faible au plus élevé, et selon la proportion de la population qui s’identifie comme appartenant à une minorité visible, respectivement.
Scores prédictifs de la mortalité
Nous avons calculé le risque de mortalité perhospitalière chez les patients atteints de la COVID-19 et de l’influenza à partir d’une adaptation de 7 scores, en fonction des données démographiques et cliniques obtenues dans les 24 premières heures après l’admission. Le score Acute Physiology and Chronic Health Evaluation modifié (mAPACHE)31 et le système de classification des maladies graves (CISSS)32 ont été conçus pour prédire le risque de mortalité à l’unité de soins intensifs et de mortalité dans les 30 jours à l’aide de données cliniques numériques systématiquement recueillies. Nous avons aussi sélectionné les 4 modèles (Lu,33 Hu,34 Xie35 et NEWS236) ayant le mieux performé dans une étude de validation externe37 du Royaume-Uni portant sur des modèles recensés dans une revue systématique de modèles de prédiction de la mortalité due à la COVID-1938. Enfin, nous avons inclus le score de mortalité ISARIC Coronavirus Clinical Characterisation Consortium 4C (ISARIC-4C)39, lequel a été dérivé d’une large cohorte du Royaume-Uni (voir l’annexe 1 pour de plus amples détails).
Analyse statistique
Nous avons comparé les caractéristiques de base des patients atteints de la COVID-19 et de ceux atteints de l’influenza à l’aide de différences normalisées, les différences supérieures à 0,1 étant évocatrices d’un déséquilibre entre les groupes40. Nous avons comparé les différences non ajustées dans les soins cliniques, l’utilisation des ressources et les issues cliniques à l’aide du test de χ2, du test t de Student et du test de Mann–Whitney pour les variables catégorielles, les variables continues à distribution symétrique et les variables continues ne suivant pas une distribution normale, respectivement. Afin de tenir compte des comparaisons multiples, nous avons utilisé la correction de Bonferroni pour corriger les valeurs p pour l’ensemble des comparaisons, sauf dans le cas des 5 principales issues à l’étude. Nous avons utilisé la régression multivariée pour comparer les issues après avoir procédé à un ajustement selon l’âge du patient, le sexe, le score de Charlson, la résidence en établissement de soins de longue durée, le revenu moyen et la proportion de la population qui s’identifie comme appartenant à une minorité visible dans son quartier ainsi que le centre hospitalier où il a été admis. Les covariables ont été sélectionnées a priori en fonction d’associations avec la mortalité rapportées précédemment dans le contexte de la COVID-1910,41–43. Nous avons employé une régression de Poisson44 pour modéliser le risque de mortalité, de réhospitalisation et d’hospitalisation à l’unité de soins intensifs afin de générer des risques relatifs et d’éviter l’interprétation erronée des rapports de cotes obtenus par régression logistique. Une régression binomiale négative a été appliquée pour modéliser la durée de l’hospitalisation et la durée du séjour à l’unité de soins intensifs. Pour présenter la capacité des scores de risque à prédire avec exactitude le risque de mortalité perhospitalière dans le contexte de la COVID-19, nous avons calculé l’aire sous la courbe (ASC) de la fonction d’efficacité du récepteur ainsi que la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive négative et la valeur prédictive positive à différents seuils. La représentation visuelle du calage du modèle compare les scores modélisés aux proportions des issues observées pour les systèmes à pointage, et des courbes de calage ajustées par régression locale (Loess) comparent les probabilités observées aux probabilités prévues, pour les systèmes basés sur des scores de probabilité.
Analyses des sous-groupes et sensibilité
Tout d’abord, nous avons examiné les issues stratifiées selon le groupe d’âge, en utilisant a priori les groupes < 50 ans, 50–75 ans et > 75 ans. Deuxièmement, nous avons décrit les caractéristiques et les issues des patients hospitalisés à l’unité des soins intensifs. Troisièmement, afin de déterminer si les décès étaient dus, plutôt qu’associés, à la COVID-19, nous rapportons le diagnostic « le plus responsable » (principal) au moment du congé chez les patients atteints de la COVID-19 hospitalisés. Quatrièmement, nous avons refait toutes les analyses, cette fois en excluant les patients à qui on avait attribué le code U07.2 (absence de confirmation d’un diagnostic de COVID-19 par un test en laboratoire). Cinquièmement, puisque les centres hospitaliers participants étaient des centres de soins tertiaires et quaternaires dotés de grandes unités de soins intensifs, nous avons répété les analyses en incluant uniquement les patients hospitalisés depuis le service des urgences, ce qui exclut les transferts entre établissements, qui pourraient mener à une surestimation de la gravité de la maladie étant donné qu’ils concernent principalement des patients transférés aux soins intensifs. Sixièmement, afin de tenir compte des facteurs de risque concurrents, nous avons considéré dans notre modèle l’hospitalisation à l’unité des soins intensifs et le décès comme une issue mixte. Enfin, pour tenir compte de l’accumulation de données pour certains patients, nous avons refait nos analyses principales en choisissant au hasard une seule hospitalisation pour représenter les patients aux hospitalisations multiples.
Approbation éthique
Nous avons obtenu l’approbation des comités d’éthique de la recherche du Réseau universitaire de santé (Toronto), du Centre des sciences de la santé Sunnybrook (Toronto) et de l’Hôpital St. Michael (Toronto) par la plateforme intégrée de Clinical Trials Ontario; l’Hôpital St. Michael a agi à titre de comité d’éthique de référence. Les comités d’éthique de la recherche de Trillium Health Partners (Mississauga) et de l’Hôpital Mount Sinai (Toronto) ont aussi donné leur approbation.
Résultats
La cohorte comprenait 783 patients hospitalisés en raison de l’influenza (763 patients distincts) et 1027 patients hospitalisés en raison de la COVID-19, dont 944 ayant un diagnostic confirmé par un test en laboratoire (972 patients distincts). Cela représentait 23,5 % de toutes les hospitalisations pour la COVID-19 en Ontario (n = 4373)45 durant la période à l’étude.
Caractéristiques des patients
Les patients atteints de la COVID-19 et de l’influenza avaient un âge médian de 65 ans (écart interquartile [EI] : 53–79) et de 68 ans (EI : 55–80), respectivement (tableau 1). Les patients atteints de la COVID-19 étaient plus souvent des hommes (59,1 % contre 50,8 %), et étaient plus susceptibles de présenter un score de Charlson de 0 (54,1 % contre 38,8 %) et de résider dans un établissement de soins de longue durée (11,7 % contre 4,5 %). Les patients qui habitaient dans des quartiers à plus faible revenu semblaient surreprésentés dans le groupe de la COVID-19 (Q1 34,2 %; Q5 10,9 %) et dans celui de l’influenza (Q1 31,7 %; Q5 12,1 %), alors qu’aucun gradient clair n’a été observé en ce qui a trait à la proportion de la population qui s’identifie comme appartenant à une minorité visible. L’hypertension et le diabète étaient des comorbidités fréquentes dans les groupes de la COVID-19 et de l’influenza, tandis que la maladie pulmonaire obstructive chronique et l’insuffisance cardiaque étaient plus fréquentes dans le groupe de l’influenza que dans celui de la COVID-19 (tableau 1).
Caractéristiques des hospitalisations pour la COVID-19 et l’influenza
Les différences dans les signes vitaux n’étaient pas significatives entre le groupe de la COVID-19 et celui de l’influenza. Dans les 72 premières heures d’hospitalisation, 44,9 % des patients hospitalisés pour la COVID-19 ont eu besoin d’oxygénothérapie, contre 37,7 % de ceux hospitalisés pour l’influenza. Les patients atteints de la COVID-19 présentaient des taux de marqueurs inflammatoires légèrement supérieurs à ceux des patients atteints de l’influenza (p. ex., protéine C-réactive, D-dimères [fragments issus de la dégradation de la fibrine], ferritine, lactate déshydrogénase); des analyses pour ces marqueurs ont été prescrites plus fréquemment chez les patients atteints de la COVID-19 que chez les autres (tableau 2).
Signes vitaux, résultats de tests de laboratoire et scores de risque de mortalité chez les patients atteints de la COVID-19 et de l’influenza*
Mortalité et réhospitalisation
Les patients atteints de la COVID-19 présentaient un taux de mortalité perhospitalière ajusté et non ajusté significativement plus élevé que ceux atteints de l’influenza (taux de mortalité non ajusté 19,9 % c. 6,1 %, p < 0,001; risque relatif [RR] ajusté 3,46, intervalle de confiance [IC] à 95 % 2,56–4,68) (tableau 3, tableau 4). Chez les patients atteints de la COVID-19, 4,3 % et 9,3 % des patients ont été réhospitalisés dans les 7 jours et dans les 30 jours suivants, respectivement, ce qui n’était pas significativement différent des patients atteints de l’influenza, avant ou après ajustement.
Issues cliniques non ajustées, utilisation des ressources et soins cliniques des patients atteints de la COVID-19 et de l’influenza*
Issues cliniques des patients atteints de la COVID-19 comparativement à celles des patients atteints de l’influenza, avant et après un ajustement à variables multiples*
Parmi les patients atteints de la COVID-19 hospitalisés, les diagnostics principaux au moment du congé étaient la COVID-19, une pneumonie virale, le sepsis ou des soins palliatifs pour 183 (89,7 %) des 204 patients qui sont décédés et 681 (82,7 %) des 823 patients qui étaient vivants au moment du congé.
Utilisation des ressources et soins cliniques
Comparativement aux patients atteints de l’influenza, ceux atteints de la COVID-19 présentaient un risque plus élevé d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs (taux non ajusté 26,4 % c. 18,0 %, p < 0,001; RR ajusté 1,50, IC à 95 % 1,25–1,80) et une durée d’hospitalisation accrue (durée médiane non ajustée 8,7 jours c. 4,8 jours, p < 0,001; taux d’incidence ajusté 1,45, IC à 95 % 1,25–1,69) (tableau 3, tableau 4), mais la durée du séjour à l’unité de soins intensifs n’était pas significativement différente après ajustement (tableau 3, tableau 4 et annexe 1, tableau S2).
Les patients atteints de la COVID-19 étaient plus susceptibles d’avoir besoin de ventilation artificielle (18,5 % c. 9,3 %, p < 0,001) mais moins susceptibles de subir une bronchoscopie (2,0 % c. 5,6 %, p = 0,005). Les patients atteints de la COVID-19 ont subi au moins une tomodensitométrie thoracique dans 20,4 % des cas et se sont vu prescrire des corticostéroïdes systémiques dans 16,7 % des cas.
Issues stratifiées selon l’âge
Le taux de mortalité non ajusté chez les patients atteints de la COVID-19 âgés de moins de 50 ans, 50–75 ans et de plus de 75 ans était de 5,1 %, de 13,5 % et de 38,9 %, respectivement. Le taux d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs pour chaque groupe d’âge était de 29,8 %, de 35,2 % et de 11,3 %, respectivement, et le taux de réhospitalisation dans les 30 jours était de 9,2 %, de 9,9 % et de 7,9 %, respectivement (annexe 1, tableau S1).
Scores prédictifs de la mortalité
La discrimination et le calage des scores pronostiques sont présentés au tableau 5 et à l’annexe 1, tableau S3, tableau S4 et figure S1. Des données complètes étaient disponibles pour 1 % (ISARIC-4C) à 46 % (Xie) des cas. L’exactitude de la discrimination était maximale pour le score mAPACHE (ASC de 0,86 pour les cas aux données complètes et de 0,81 après répartition), le score CISSS (ASC de 0,83 pour les cas aux données complètes et de 0,80 après répartition) et le score ISARIC-4C (ASC de 0,78 après répartition). Le calage des modèles était peu exact pour les modèles de régression (Hu, Xie et CISSS), tandis que le risque observé augmentait de façon essentiellement linéaire pour les scores à pointage (annexe 1, figure S1).
Capacité discriminative des scores prédictifs de la mortalité chez les patients atteints de la COVID-19*
Les résultats globaux n’ont généralement pas été modifiés par les analyses de sensibilité (voir l’annexe 1 pour de plus amples détails).
Interprétation
Notre étude contribue à la comparaison entre la COVID-19 et la grippe saisonnière. Il a été avancé que le taux de mortalité de la COVID-19 pourrait être 10 fois supérieur à celui de l’influenza46,47, mais ces comparaisons sont indirectes et ont fait l’objet de contestations48. Nous avons observé que les patients atteints de la COVID-19 étaient plus susceptibles de décéder (3,5 fois plus à risque), d’être hospitalisés à l’unité de soins intensifs (1,5 fois plus à risque) ou de subir une hospitalisation prolongée (1,5 fois plus à risque) que les patients atteints de l’influenza, ce qui est comparable aux différences rapportées récemment en France10 et aux États-Unis11. Par conséquent, les hospitalisations pour cause de COVID-19 sont susceptibles d’avoir des issues significativement plus graves que celles pour cause de grippe saisonnière. Ces différences pourraient avoir été amplifiées par la faible immunité de la population au nouveau coronavirus comparativement au virus de la grippe saisonnière, pour laquelle les patients peuvent avoir une certaine immunité découlant d’infections antérieures et de la vaccination. La gravité relative de la maladie pourrait évoluer à mesure que l’immunité au coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) augmente et que des traitements efficaces sont mis au point.
Au Canada, les hospitalisations pour cause de COVID-19 n’ont pas été bien décrites. Nous avons observé que les deux tiers des patients atteints de la COVID-19 hospitalisés à l’unité de soins intensifs avaient eu besoin d’une ventilation artificielle effractive et que le quart étaient décédés, ce qui est comparable aux résultats de 2 petites études canadiennes sur les unités de soins intensifs6,7. Nous ajoutons ici aux données publiées de l’information sur les patients qui n’ont pas été hospitalisés à l’unité de soins intensifs, montrant qu’environ un quart de tous les patients hospitalisés en raison de la COVID-19 et un cinquième de ceux admis au service des urgences ont eu à utiliser les ressources de l’unité des soins intensifs. Par rapport aux données internationales, les patients atteints de la COVID-19 en Ontario (âge médian de 65 ans) étaient légèrement plus âgés que ceux de Chine (âge médian de 51–56 ans)5,46 et des États-Unis (âge médian de 62–63 ans)1–3, et plus jeunes que ceux du Royaume-Uni (âge médian de 73 ans)4, mais les taux de mortalité et d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs étaient généralement comparables. Nous avons montré que près de 1 patient atteint de la COVID-19 sur 10 était hospitalisé à nouveau dans les 30 jours suivant son congé, ce qui correspond aux rapports provenant des États-Unis3,50.
Comparativement aux patients atteints de l’influenza, ceux atteints de la COVID-19 étaient plus susceptibles d’être des hommes résidant en établissements de soins de longue durée, ce qui correspond aux données probantes qui démontrent que la COVID-19 touche plus gravement les hommes51 et a imposé un lourd fardeau aux établissements de soins de longue durée ontariens43,52. Les patients issus de quartiers à faible revenu étaient surreprésentés dans les groupes de COVID-19 et de l’influenza, nous rappelant que les inégalités socioéconomiques observées dans le contexte de la COVID-1953 correspondent à celles qu’on observe pour d’autres maladies, dont l’influenza54. Notons que la majorité des patients atteints de la COVID-19 qui ont été hospitalisés avaient peu de comorbidités (score de Charlson de 0), et un cinquième d’entre eux avaient moins de 50 ans. L’utilisation des ressources des unités de soins intensifs était fréquente dans le groupe le plus jeune, ce qui vient confirmer que la COVID-19 peut gravement toucher les personnes plus jeunes et celles qui présentent relativement peu de comorbidités.
Les prédictions de la mortalité dans le contexte de la COVID-19 peuvent éclairer le processus de décision clinique et l’affectation des ressources. De nombreux scores prédictifs ont été signalés38, mais plusieurs ont été élaborés à partir de petites cohortes et nécessitent une validation externe. Nous avons déterminé que le modèle mAPACHE présente la meilleure exactitude discriminative et un bon calage. Il offre aussi l’avantage d’un calcul automatique dans les dossiers médicaux électroniques. Les cliniciens au chevet des patients peuvent facilement calculer les scores ISARIC-4C et NEWS2, qui offrent une discrimination relativement exacte et un calage adéquat. La performance des modèles NEWS2, Hu, Lu et Xie au sein de notre cohorte était comparable à celle observée dans une étude de validation comprenant 411 patients menée dans un seul centre au Royaume-Uni37, et la performance du modèle ISARIC-4C était comparable à celle mentionnée dans sa description originale39, renforçant la confiance dans nos estimations de performance des modèles. Cependant, peu de dossiers d’hospitalisation comprenaient des données complètes, principalement en raison de l’absence de tests de laboratoire. Par exemple, le score ISARIC-4C tient compte des résultats d’analyse de l’urée, laquelle a été demandée dans moins de 11 % des cas de COVID-19 dans 4 centres hospitaliers en raison de son utilisation restreinte à la suite d’initiatives de gestion des ressources. Ainsi, le calcul de certains scores pourrait exiger des changements à la pratique clinique courante, bien que la performance des modèles demeure raisonnable avec une simple imputation moyenne des valeurs manquantes. La saisie non uniforme de l’état de santé mentale (manquante dans 70 % des hospitalisations) a limité le nombre d’hospitalisations pour lesquelles nous avons pu valider les modèles NEWS2 et ISARIC-4C, mais cela ne devrait pas entraver l’utilisation de ces outils dans la pratique clinique. Notre étude offre une solide validation externe que le risque de décès des suites de la COVID-19 peut être prédit de façon raisonnable avec de simples scores. L’élaboration de modèles prédictifs pour le contexte canadien, par exemple en adaptant des scores conçus à l’étranger, sera un sujet de recherche important pour des travaux futurs.
Limites de l’étude
Notre étude présente toutefois plusieurs limites. Premièrement, nous avons inclus 7 centres hospitaliers universitaires d’envergure qui acceptaient les transferts de patients atteints de la COVID-19 à l’unité des soins intensifs. Pour éviter de surestimer la gravité de la COVID-19, nous avons reproduit nos analyses avec des patients hospitalisés depuis le service des urgences afin d’exclure les transferts entre établissements, et nos résultats sont demeurés cohérents. Nous croyons que nos conclusions sont généralisables, puisque l’incidence de la mortalité observée dans notre cohorte était comparable à celle signalée dans de grandes études réalisées aux États-Unis1 et au Royaume-Uni4, et que notre étude comprenait environ 25 % des patients hospitalisés pour la COVID-19 en Ontario. Deuxièmement, nous avons recueilli uniquement les données saisies de façon systématique dans les sources administratives ou le dossier médical électronique; il n’a donc pas été possible de tenir compte des préférences des patients ou d’ajuster les données en fonction de celles-ci en ce qui a trait aux soins intensifs, aux symptômes présentés ou à certains facteurs de risques importants comme l’obésité ou le tabagisme. Nos analyses du revenu et du statut de minorité visible n’ont pu être réalisées qu’à l’échelle du quartier; elles n’offrent donc pas une granularité suffisante pour tirer des conclusions solides. Troisièmement, nous rapportons la réhospitalisation dans les 30 jours pour tous les centres hospitaliers participants. Bien que les réhospitalisations soient possiblement sousestimées, 82 % de celles survenues dans notre région se sont produites au centre hospitalier d’origine55, et nous avons été en mesure de capturer aussi celles survenues dans d’autres centres hospitaliers participants. Quatrièmement, la gravité de la grippe saisonnière varie chaque année, et nous avons seulement intégré les données de l’année 2019–2020. Cependant, dans notre étude, le taux de mortalité associé aux hospitalisations dues à l’influenza (6,1 %) correspond aux taux de mortalité d’environ 3 % à 6 % relevé dans une revue systématique examinant plus de 120 000 hospitalisations liées à l’influenza56, et nos résultats sont comparables à ceux publiés dans des études récentes réalisées en France10 et aux États-Unis11. Cinquièmement, l’utilisation accrue de la dexaméthasone et d’autres traitements contre la COVID-19 depuis la fin de la période couverte par notre étude pourrait modifier les estimations des taux de mortalité et l’exactitude des scores prédictifs. Une validation tenant compte des traitements les plus récents serait utile. Enfin, nous avons été incapables d’obtenir des données sur la cause du décès, lesquelles peuvent être peu fiables lorsqu’obtenues de sources administratives57; de ce fait, nous ne pouvons pas rapporter le nombre de patients dont le décès a été causé directement par la COVID-19. Les diagnostics principaux au moment du congé étaient la COVID-19, une pneumonie virale, le sepsis ou des soins palliatifs chez 89,7 % des patients décédés qui étaient atteints de la COVID-19, laissant sous-entendre que la plupart de ces décès sont probablement attribuables à la COVID-19.
Conclusion
Les adultes atteints de la COVID-19 hospitalisés dans 7 centres hospitaliers ontariens au cours de la première vague de la pandémie ont eu besoin de ressources hospitalières substantielles et ont connu un taux de mortalité élevé. Ces patients présentaient des taux accrus de mortalité, d’utilisation des ressources des unités de soins intensifs et de ventilation artificielle effractive, et nécessitaient un séjour à l’hôpital plus long que les patients hospitalisés en raison de l’influenza. On peut prédire avec une exactitude raisonnable le risque de mortalité chez les patients hospitalisés atteints de COVID-19 à l’aide de simples scores.
Remerciements
Les auteurs remercient la Dre Radha Koppula d’avoir réalisé l’extraction manuelle des tableaux et Daniel Tamming et Sudipta Saha pour leur contribution à l’analyse des données. Les auteurs remercient aussi toutes les personnes et tous les organismes qui ont fourni des données pour la présente étude.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202795
Infographie accessible en anglais au : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202795/tab-related-content
Intérêts concurrents: Amol Verma et Fahad Razak déclarent des honoraires personnels de Santé Ontario. Michael Fralick déclare des honoraires personnels de Pine Trees, en dehors du travail soumis. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception de l’étude, et Amol Verma et Fahad Razak en ont élaboré la structure, avec une contribution substantielle de tous les auteurs. Amol Verma, Tejasvi Hora, Hae Young Jung, Michael Fralick, Sarah Malecki, Lauren Lapointe-Shaw, Adina Weinerman, Terence Tang, Janice Kwan, Jessica Liu, Shail Rawal et Fahad Razak ont contribué à la collecte de données. Tejasvi Hora et Hae Young Jung ont réalisé l’analyse des données. L’ensemble des auteurs ont collaboré à l’interprétation des données. Amol Verma a rédigé la première ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Soutien financier: Ce projet est soutenu par une subvention des IRSC VR4-172743. L’élaboration de la plateforme de données GEMINI a été rendue possible par le soutien financier de la Société canadienne du cancer, du Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées, des Instituts de recherche en santé du Canada, de l’Association canadienne de protection médicale, de la fondation Green Shield Canada, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, de Santé Ontario, du Fonds pour l’innovation de l’association de l’hôpital St. Michael et du Département de médecine de l’Université de Toronto, ainsi que par des contributions en nature des hôpitaux partenaires et de l’Institut Vecteur. Les organismes subventionnaires n’ont exercé aucun rôle dans la conception, la réalisation ou l’interprétation des données de la présente étude.
Partage des données: Les données du présent manuscrit sont accessibles sur demande en communiquant avec l’auteur-ressource, dans la mesure où la demande est conforme aux exigences du comité d’éthique de la recherche local et des ententes de partage des données.
- Accepted January 28, 2021.
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