- © 2008 Canadian Medical Association
À l'Hôpital de Mbarara, qui risque de sévères traumatismes crâniens et quelles en sont les conséquences? Pourquoi certaines mères des régions rurales de l'ouest de l'Ouganda font-elles rapidement soigner leur bébé atteint de diarrhée sévère tandis que d'autres attendent que le bébé soit en état de choc? Ce sont là 2 des nombreuses questions vitales de recherche appliquée en santé qu'ont soulevées le personnel enseignant de santé en Ouganda au cours d'un atelier de formation en recherche multidisciplinaire tenu récemment à Mbarara. Les participants ont précisé leurs questions, mis au point une méthodologie appropriée et discuté de l'incidence possible de cette recherche sur les programmes de santé locaux. Après des jours de travail, une question inquiétante s'est toutefois posée : d'où viendra l'argent nécessaire pour entreprendre ces études d'envergure pourtant modeste?
Le manque de capacité de recherche et d'accès au financement à l'échelle locale a entravé le développement du modèle de recherche «planifier, faire, étudier et agir» en qualité des soins, courant dans les pays industrialisés. Les membres du personnel enseignant en santé sont les mieux placés pour cerner les problèmes prioritaires, aider à réunir des ressources locales pour les étudier et les résoudre et, surtout, inciter les intervenants locaux à agir. La motivation pour le changement serait grande, puisque la communauté devrait vivre avec les avantages du succès ou les inconvénients de l'échec. La recherche locale favoriserait aussi une culture d'exploration qui imprégnerait le système de santé local.
La rareté du financement pour la recherche appliquée locale persiste même si les budgets de recherche affectés au monde en développement ont augmenté de façon spectaculaire. La Fondation Bill et Melinda Gates, les gouvernements de pays industrialisés et l'Organisation mondiale de la Santé ont consacré des millions de dollars à la recherche sur des problèmes de santé spécifiques à certaines maladies dans les pays en développement, y compris la tuberculose, le paludisme et le VIH-sida. Il en a découlé d'importants progrès dans les soins de santé, mais la plupart des projets sont conçus, structurés et gérés par des chercheurs de pays industrialisés et offrent au personnel enseignant de santé peu d'occasions d'accroître leur propre capacité de recherche. Même le Programme spéciale de recherche et de formation sur les maladies tropicales (www.who.int/tdr/), qui offre de petites subventions aux chercheurs des pays en développement, n'accepte pas les demandes qui ne portent pas sur les maladies infectieuses. Le programme est de plus administré à distance et les enseignants locales ne participent pas à la sélection des projets de recherche les plus pertinents.
Afin d'améliorer la capacité et de trouver du financement pour la recherche appliquée locale dans les pays en développement, un nouveau modèle s'impose. Ce modèle pourrait s'inspirer du concept audacieux de microfinancement lancé par le lauréat du Prix Nobel de la paix en 2006, Muhammad Yunus, qui a révolutionné les possibilités financières offertes aux pauvres de beaucoup de pays en développement1. Une démarche semblable, soit la «microrecherche», pourrait révolutionner les possibilités de recherche dans de tels contextes.
S'inspirant des principes du microfinancement, un modèle de microrecherche offrirait des subventions d'environ 3000 $ à des chercheurs qui n'ont normalement pas accès au financement de la recherche. Seules les questions de recherche appliquée locale en santé et d'une pertinence immédiate seraient admissibles. Des groupes multidisciplinaires d'enseignants locaux détermineraient les priorités de recherche, aideraient à établir et à évaluer les demandes de subvention et évalueraient les progrès réalisés par chaque projet et ses résultats. Des réseaux de recherche pourraient en émerger, ce qui permettrait à des groupes de chercheurs locaux d'échanger des connaissances nouvelles et de mettre au point de meilleures pratiques. Le remboursement des prêts constitue une mesure de la réussite en microfinancement. En microrecherche, l'amélioration de la santé des communautés évaluée par ses membres constituerait l'équivalent. Cette approche récompenserait à la fois les chercheurs et les communautés.
On pourrait s'attaquer aux obstacles, comme l'insuffisance des connaissances locales de base en recherche et de la capacité de recherche, en offrant un accès en ligne à des possibilités de formation en recherche clinique, comme celles qu'on offre par l'entremise du Programme canadien de cliniciens-chercheurs en santé de l'enfant (www.cchcsp.ca). Afin d'assurer un taux élevé de réussite en recherche, des chercheurs de premier plan en recherche clinique et services de santé du monde entier pourraient offrir bénévolement du temps afin d'encadrer un groupe de microrecherche.
Il faut un fonds de démarrage réservé de 20 à 30 millions de dollars, réparti entre des pays en développement et géré par les universités locales. Il faut réduire la bureaucratie au minimum et concentrer l'attention surtout sur les résultats, y compris l'amélioration de la capacité de recherche, des réponses à des questions de recherche locales et des améliorations de la santé au niveau régional. Comme dans le cas du microfinancement, la microrecherche aurait probablement des retombées spectaculaires qui amélioreraient la santé dans des régions du monde où le besoin est le plus grand.
Pour que la microrecherche devienne réalité, il faudra des promoteurs qui lanceront le mouvement, peut-être sous forme de projets pilotes dans 2 ou 3 pays. Il faudra persuader les gouvernements, des organisations non gouvernementales et des bénévoles de fournir le soutien nécessaire en financement et en mentorat. Le monde en développement attend.
Footnotes
-
Traduit par le Service de traduction de l'AMC.
Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Paul C. Hébert MD MHSc, Rajendra Kale MD, Matthew B. Stanbrook MD PhD, Barbara Sibbald BJ, Ken Flegel MDCM MSc, Amir Attaran LLB DPhil)
Intérêts concurrents : Aucun déclaré pour Jerome Kabakyenga. Voir les déclarations des membres de l'équipe de rédaction de l'éditorial à www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.
RÉFÉRENCE
- 1.↵