Face aux cybercolporteurs de pornographie, de Viagra et de vacances bon marché, nous comprenons une fois de plus le concept de Marshall McLuhan selon qui «le message c'est le médium» parce que «c'est le médium qui façonne le mode et détermine l'échelle de l'activité et des relations des hommes1». Faut-il toutefois accepter n'importe quel progrès de la technologie des communications? Presque une décennie avant que Tim Berners-Lee invente le World Wide Web, Raymond Williams signalait2 que l'apparition de toute technologie nouvelle oblige à faire des choix. Il a posé en hypothèse que les médias nouveaux seraient probablement dominés par des institutions financières, des marchands par commande postale, des agences de voyage et des diffuseurs de publicité grand public. Toutefois, a-t-il ajouté, les médias pourraient être entièrement développés dans le secteur public. Les utilisations de la technologie, a soutenu Williams, ne sont pas «inévitables», mais elles obligent à faire des choix.
Dans ce numéro, Tania Bubela et Timothy Caulfield (page 1399) se penchent sur l'interface entre deux médias en analysant le transfert des résultats de recherche génétique des journaux scientifiques vers la presse générale. Les résultats scientifiques font-ils l'objet d'un battage publicitaire ou sont-ils déformés? Dans un commentaire connexe (page 1415), Celeste Condit présente un aperçu des facettes complexes des reportages scientifiques destinés au grand public. Elle se demande si le message est déformé et aborde les responsabilités des chercheurs eux-mêmes à cet égard.
Même si les journaux médicaux convergent de façon intéressante avec les médias traditionnels, leurs initiatives autodirigées dans le monde électronique ont aussi des répercussions sur le contenu et l'accueil qu'il reçoit. L'édition en ligne attire un lectorat différent et un plus vaste éventail d'auteurs. Notre sondage en ligne indique que, sur le total annuel estimatif de 1,2 million de visiteurs (en jargon web, «hôtes distincts») que le JAMCél accueille, plus de 40 % sont des lecteurs n'ayant pas accès à la version imprimée, et moins du tiers sont Canadiens (www.cmaj.ca/pdfs/eCMAJsurvey2003.pdf)
Même si les coûts de diffusion électronique de journaux comme le JAMCél sont très faibles par utilisateur, certains journaux pensent que l'accès en ligne fera fondre leur bassin d'abonnés payants, surtout s'il est libre et gratuit3. Les chercheurs qui se sont joints à la Public Library of Science (www.plos.org) sont d'avis que la recherche est un bien public dont l'accès devrait être «libre» (et gratuit) pour tous les intéressés. Des organismes subventionnaires4ont commencé à exiger la publication dans des journaux à accès libre comme condition de leur financement et certains politiciens proposent de légiférer pour assurer la publication en accès libre des résultats de recherches financées par des organismes subventionnaires du secteur public5.
Tout cela a-t-il vraiment de l'importance? Notre interprétation des maigres données probantes indique que l'accès en ligne améliore (d'un facteur d'environ 4,5) l'utilisation subséquente que d'autres chercheurs font des résultats publiés6. Il est certain que l'accès libre augmente considérablement le lectorat sur les plans tant quantitatif que géographique. Notre dernier sondage a attiré des lecteurs de 115 pays. Les médecins ou les chercheurs ne représentent qu'un faible pourcentage (41 %) des lecteurs.
Domaine privé ou bien public? Accès libre ou contrôlé? Des éditeurs essaient de gagner sur les deux tableaux7 en brandissant la bannière (ou le logo) de «l'accès libre» (pour une définition, voir www.earlham.edu/~peters/fos/bethesda.htm), mais avec certaines restrictions : libre mais seulement après un certain temps, période pendant laquelle l'accès est limité aux abonnés payants; libre sur-le-champ, mais seulement dans le cas de certains articles choisis par les rédacteurs; libre, mais seulement pour certaines sections du journal. D'autres se félicitent de leur participation à HINARI, le programme de l'OMS qui vise à fournir tout le contenu de journaux gratuitement aux utilisateurs de pays qui ont un PNB par habitant de moins de 1000 $US. Ce n'est pas un gros sacrifice, puisqu'il y a peu d'abonnés payants éventuels dans ces pays. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour instaurer l'accès véritablement mondial et entièrement libre à l'information scientifique.
Nous penchons en faveur du concept de la science comme bien public. Heureusement, du moins pour le moment, nous croyons pouvoir maintenir notre politique8 annoncée en 1999 qui consiste à offrir le JAMCél gratuitement, sans aucun obstacle. Cette politique est non seulement responsable sur le plan social, mais aussi stratégique. L'Internet nous a donné beaucoup de visibilité, nous a permis d'établir des liens électroniques avec de nouveaux lecteurs, auteurs et contributeurs, qui ont tous renforcé la publication. Nous prévoyons continuer à œuvrer sous la bannière de «l'accès libre», tant pour les utilisateurs que pour les contributeurs. – JAMC