«Après presque 10 ans, l'expérience lancée par le BMJ afin de donner gratuitement accès à tout ce qui se trouve sur son site web prend fin1.» La réaction instantanée à cette annonce témoigne de la nature dynamique du BMJ : la chronique de réponse rapide à BMJ.com a débordé de lettres dont les auteurs regrettent de voir disparaÎtre l'accès gratuit. Des non-membres de la BMA se disent prêts à payer des frais annuels d'utilisation de 10 £ à 20 £. On a aussi félicité le BMJ de s'engager à continuer d'offrir gratuitement l'édition en ligne aux pays à faible revenu et à revenu moyen.
Quant à nous, nous sommes attristés. Toute restriction de l'accès nous semble constituer un pas dans la mauvaise direction. Les rédacteurs du BMJ et de bmj.com, Richard Smith et Tony Delamothe, ont toujours été les premiers à reconnaÎtre les capacités d'Internet dans l'édition de journaux médicaux. Avec des innovations comme la stratégie «IEAP» — intégrale sur support électronique et abrégée sur papier — ils ont démontré qu'Internet n'est pas simplement un autre moyen de distribution, mais que c'est un nouveau médium qui façonne le contenu et modifie les habitudes de communication. Si le médium est le message2, ce message en est un de démocratisation, d'accessibilité et d'écoute. L'édition électronique gratuite et à accès général met la science médicale à la disposition de quiconque a la chance d'avoir accès à Internet, sans égard à l'endroit, à l'affiliation ou au revenu. L'Organisation mondiale de la santé reconnaÎt l'iniquité mondiale de l'accès à Internet comme un des obstacles les plus importants à l'équité mondiale dans le domaine de la santé3.
Les innovations en ligne du BMJ s'inscrivent dans un mouvement vers l'accès ouvert dans la communication scientifique. Ce mouvement prend de l'ampleur. Grâce à PubMed, la National Library of Medicine et les National Institutes of Health des États-Unis n'ont pas seulement facilité la recherche dans les documents médicaux : ils l'ont rendue aussi publique et gratuite. Afin de surmonter l'obstacle que posent les frais d'utilisation dans le cas des articles en version intégrale, ils ont établi, avec l'appui mouvant des éditeurs médicaux, PubMed Central, dépôt de versions intégrales gratuites d'articles de recherche en sciences de la santé4. L'Organisation mondiale de la santé sollicite, par l'Interréseau Santé – Initiative d'accès aux recherches (HINARI), la collaboration des éditeurs médicaux pour offrir aux utilisateurs des pays à faible revenu un accès gratuit ou subventionné aux publications de recherche5. Les pressions qui s'exercent pour diffuser les résultats de recherches scientifiques comme biens publics plutôt que denrées commercialisables s'alourdissent. Aux États-Unis, le lancement de journaux gratuits par la Public Library of Science6 pourrait bénéficier d'une nouvelle mesure législative, proposée par le congressiste Martin O. Sabo, qui exempterait la recherche subventionnée par le gouvernement fédéral de la protection des droits d'auteur et la rendrait ainsi publique7.
Moyennant un coût supplémentaire relativement faible, Internet permet aux journaux scientifiques de publier tout leur contenu dans l'espace public, échappant ainsi aux chasses gardées des milieux d'affaires, des éditeurs privés et des associations professionnelles. Ce moyen augmente le lectorat (des articles du JAMCél attirent maintenant plus de 150 000 lecteurs par mois), encourage les contributions et hausse le facteur d'impact. Si l'édition en direct gratuite est bonne pour les lecteurs (pour obtenir des données de sondage sur les opinions de nos lecteurs, voir www.cmaj.ca/cgi/content/full/169/7/645/DC1), pour les journaux et pour la science, qu'est devenu le noble essai du BMJ?
La chute des recettes tirées des abonnements semble inquiéter la British Medical Association, propriétaire exclusive du BMJ, en ce qui concerne les copies imprimées. La même préoccupation a poussé les trois principaux journaux médicaux généraux — le New England Journal of Medicine, Lancet et le JAMA — à continuer de restreindre l'accès en direct à leurs publications très rentables. Les rédacteurs du BMJ révèlent que le journal tire 12 % seulement de ses recettes des abonnements aux documents imprimés1. Ils expliquent le problème en précisant que d'autres sources de recettes sont en difficulté : un nouveau site Web d'emploi du NHS réduit les petites annonces et le flux des affiches de nouveaux produits pharmaceutiques se tarit. Les dommages causés aux recettes tirées des abonnements par l'accès en direct gratuit semblent toutefois mineurs. Nous croyons que la restriction de l'accès entraÎnera des coûts plus élevés : perte de bonne volonté et de prestige ainsi que de possibilités de faire preuve de leadership en communication médicale.
Les éditeurs n'ont certainement pas le choix : ils doivent surveiller leur bilan. Il est malheureux que les aspects économiques de l'édition électronique n'aient pas été aussi innovateurs que le médium lui-même. Il devient de plus en plus clair que nous devons trouver de nouveaux modèles économiques pour l'édition scientifique, peut-être en intégrant les coûts de la diffusion du savoir dans ceux de la recherche que subventionne l'État. Jusqu'à maintenant, l'approche de l'édition scientifique fondée sur le modèle commercial s'adapte mal à l'état de la science comme bien public.
Nous pouvons seulement espérer qu'au cours des 15 mois qui restent avant la fermeture du site en janvier 2005, la BMA changera d'idée. Entre-temps, nous espérons que ce virage n'a pas refroidi l'ardeur et la passion des rédacteurs du BMJ. Ce sont les auteurs, les examinateurs et les lecteurs qui gonflent les voiles d'un journal de médecine générale, mais ce sont les compétences spécialisées et l'enthousiasme de l'équipage qui gardent le navire sous le vent — JAMC