Cet été, tandis qu'on érigeait dans des villes européennes des murs de sacs de sable contre les inondations et qu'en Alberta la sécheresse dévastait les exploitations agricoles, des dirigeants politiques se préparaient à se pencher sur le thème crucial de l'approvisionnement mondial en eau dans le cadre du Sommet mondial pour le développement durable, à Johannesburg. Près d'un sixième de la population mondiale, soit environ 1,2 milliard de personnes, n'ont pas d'accès convenable à l'eau potable. Chaque année, 2 millions d'enfants (6000 par jour) meurent des suites de maladies diarrhéiques liées à la contamination de l'eau et aux mauvaises conditions sanitaires1. Même si l'accès à l'eau potable s'est amélioré un peu au cours de la dernière décennie, les effets combinés de la croissance démographique, de la déviation des cours d'eau pour applications industrielles, des mesures inefficaces d'irrigation et de la contamination de l'eau souterraine seront tels que les deux tiers de la population mondiale connaÎtront des pénuries d'eau d'ici 20252.
Il est difficile de se représenter le problème de l'accès insuffisant à l'eau potable dans le contexte canadien. Les lacs et rivières couvrent plus de 7,6 % de la superficie du pays. Bien que nous comptions pour moins de 1 % de la population mondiale, nous régissons 7 % des réserves d'eau douce renouvelables. Entourés d'une telle quantité d'eau, nous en sommes venus à en sous- estimer la valeur. Nous utilisons en effet plus de 1000 gallons d'eau par jour par personne, soit presque trois fois plus que ce que consomme la Norvège et à peu de choses près le taux d'usage national le plus élevé au monde3.
L'utilisation sans retenue de l'eau en Amérique du Nord a pour effet d'épuiser les nappes phréatiques trois fois plus rapidement qu'elles ne se régénèrent. Sans compter que le gâchis est extraordinaire à un tout autre égard : 57 % seulement des eaux usées au Canada sont épurées4. En outre, l'état de nos réserves d'eau témoigne de disparités sociales bien enracinées dans cette terre d'abondance : en 1995, Santé Canada a signalé que les réserves d'eau de 25 % des communautés autochtones interrogées pouvaient être insalubres5.
Le ministre de l'Environnement David Anderson a annoncé à Johannesburg que le Canada consacrerait 5,7 millions de dollars de plus au Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et 1,5 million de dollars à un établissement de l'Ontario participant au programme de surveillance de la pollution de l'eau du PNUE. Or, il ne s'agit là que d'une goutte d'eau dans l'océan, puisqu'on estime que l'investissement annuel nécessaire à l'échelle planétaire aux chapitres de l'eau et de l'assainissement atteint 23 milliards de dollars américains2. Au pays, nous devons veiller à mieux comprendre la façon dont nos comportements ménagers, agricoles et industriels influent sur l'approvisionnement en eau, l'incidence à longue échéance des exportations d'eau en vrac et l'état de nos principales nappes phréatiques. Nous devons réduire notre consommation d'eau à des niveaux plus raisonnables. Notre plus remarquable mesure de conscientisation à la question de l'eau a été de l'embouteiller, de sorte que nous avons fait d'un produit essentiel à la vie humaine un article de luxe.
Récemment, une de nos amies, au moment de quitter l'hôpital avec son nouveau- né, a reçu une trousse de renseignements utiles et un tournevis (pour régler le thermostat de son réservoir d'eau chaude). Elle a trouvé le cadeau utile, mais a ajouté qu'il serait plus perspicace d'offrir à chaque nouveau- né canadien un canot. De cette façon, la prochaine génération respecterait peut-être davantage l'abondance et la pureté de nos réserves d'eau. – JAMC