Depuis que Chadwick et Snow ont expliqué en quoi consiste la santé publique, la société tente de s'occuper des éléments communs de la santé en surveillant les risques, en préconisant des conditions de vie et de travail plus sécuritaires et en donnant l'alarme lorsque le danger menace1. Dans le monde moderne, ces interventions de santé publique exigent un effectif de plus en plus spécialisé ayant reçu une formation poussée, des systèmes sophistiqués de surveillance, de contrôle et d'information, un appui de laboratoire suffisant et toujours disponible et la capacité de diffuser rapidement des résultats et des conseils sur la santé.
Ainsi que nous le rapportons dans le présent numéro2, notre système de santé publique est en difficulté. Les ressources humaines et techniques sont insuffisantes, la surveillance vacille, l'appui de laboratoire est insuffisant, surtout en cas d'urgence, et les multiples services de santé du gouvernement fédéral et des provinces sont désespérément «déconnectés».
En dépit des nombreux rapports de groupes de travail et de commissions, la situation se détériore au lieu de s'améliorer. En 1997, le juge Horace Krever a déclaré : «Les services de santé publique de nombreuses régions du Canada n'ont pas suffisamment de ressources pour s'acquitter de leurs fonctions.3» En 1999, le vérificateur général a constaté que Santé Canada n'était pas préparé pour s'acquitter de ses responsabilités en matière de santé publique : la communication entre les multiples organismes était médiocre et «les faiblesses des principaux systèmes de surveillance» empêchaient de contrôler efficacement les maladies transmissibles, les maladies chroniques et les blessures4. Il y a ensuite eu Walkerton, catastrophe entièrement évitable causée par un financement insuffisant, un chevauchement embrouillé des compétences, une surveillance inadéquate et un mépris complet du besoin d'un effectif bien formé5.
En juin 2001, les sous-ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé se sont réunis à St. John's (T.-N.) pour discuter notamment d'un rapport commandé sur la capacité du système de santé publique du Canada6. Ce rapport non publié décrit de graves lacunes dans les effectifs de la santé publique : des vacances critiques dans cet effectif vieillissant sont difficiles à combler à cause du manque de personnel chevronné en milieu de carrière et ayant toutes les compétences spécialisées (voir Nouvelles, page 1319). On y signalait aussi «des lacunes aux niveaux de la qualité, de la quantité et de l'accessibilité des données et un manque de compétences spécialisées et de connaissances nécessaires pour analyser les données», de même que des lacunes sur le plan des télécommunications et un «besoin de systèmes et de ressources (...) intégrés afin d'assurer la collecte de données de qualité et complètes sur la santé».
Notre capacité en santé publique présente de plus de sérieuses disparités régionales. Les provinces de l'Ouest, celles de l'Atlantique et le Nord sont particulièrement fragiles. Comme Richard Schabas le signale toutefois dans ce numéro7 (voir page 1282), même la riche Ontario est incapable de continuer de protéger comme il se doit la santé de sa population.
Il est alors difficile de comprendre comment ce rapport a fini par être oublié à la réunion de St. John's, si ce n'est que les ministères de la Santé ne s'intéressent pas aux problèmes qui les obligeraient à s'engager pour une durée plus longue que celle d'un mandat politique. Quoi qu'il en soit, le rapport n'a pas été étudié alors et – sauf erreur – il n'a pas été étudié depuis non plus.
En raison de la mondialisation des voyages, des maladies, de l'approvisionnement alimentaire et des conflits armés, nous avons besoin d'une solide capacité en santé publique et non d'un système épuisé. Il nous faut un groupe de travail national politiquement indépendant qui puisse analyser ce problème grave et formuler des recommandations solides pour remettre le système de santé publique sur pied et en état de fonctionner au Canada. — JAMC