La terminologie couramment utilisée dans la recherche sur la santé pour définir les personnes noires au Canada aujourd’hui n’est ni précise ni exacte.
C’est pourquoi la recherche sur la santé des personnes noires peut inclure des personnes qui ne s’identifient pas en tant que Noires, ce qui peut limiter son exactitude et son utilité.
Le terme « personnes, communautés ou groupes noirs » permet d’incorporer des aspects de l’origine afin de refléter la diversité des communautés noires dans la recherche sur la santé.
La collecte minutieuse de données permettra une compréhension nuancée des participants aux recherches sur la santé des personnes noires au Canada, en précisant — parmi les personnes qui s’identifient en tant que Noires — les facteurs additionnels comme le pays d’origine et d’autres aspects de l’ethnicité.
De récentes études évaluant la santé des personnes noires au Canada ont utilisé de nombreux termes pour définir cette population. Ainsi, on retrouve entre autres les termes suivants (traductions libres): « personnes, communautés ou groupes noirs »1,2; « Canadiens noirs »3; « Afro-Canadiens »4; « Africains »; « Caribéens »5; « Africains noirs »6; « Afro-Caribéens ou personnes appartenant aux communautés africaines et caribéennes »7; « Afro-Caribéens et Noirs »8 ou « Africains, Caribéens et Noirs »9; « Africains néo-écossais », « Néo-Écossais noirs », « personnes ou groupes d’origine africaine » et « ethnicité noire »10,11. L’utilisation d’autant de diverses expressions pour décrire les personnes noires dans les recherches sur la santé entrave la comparabilité et l’utilité des résultats de ces recherches. Je suis d’avis que les chercheurs devraient tenter d’utiliser systématiquement une terminologie exacte et différenciatrice de façon à maximiser l’utilité de la recherche sur la santé des personnes noires au Canada.
Le terme « Afro-Canadiens », qui s’inspire du terme « Afro-Américains » utilisé aux États-Unis, peut poser problème. C’est qu’il exclut les personnes noires des Caraïbes et d’autres origines, et qu’il peut inclure des personnes qui ne s’identifient pas en tant que Noires, comme les populations de l’Afrique du Nord ou du Sud (p. ex., d’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et d’Égypte). Le terme « Canadiens noirs » exclut sémantiquement les personnes noires vivant, travaillant ou étudiant au Canada sans être citoyens canadiens. Le terme « communautés africaines, caribéennes et noires » est de plus en plus utilisé par souci d’inclusion maximale. Toutefois, il pourrait être trop vague pour être utile dans les études sur la santé des personnes noires au Canada. En plus de potentiellement inclure des personnes originaires d’Afrique ne s’identifiant pas en tant que Noires, ce terme peut inclure les personnes originaires des Caraïbes qui s’identifient comme Latino-Américaines. Les sondages et les questionnaires administratifs sur la santé demandent souvent aux répondants de s’identifier comme « Africains, Caribéens ou Noirs », bien qu’il soit possible d’être à la fois africain et blanc ou arabe, ou à la fois caribéen et latino-américain. On ne règle pas le problème en demandant aux gens leur origine continentale ou sous-continentale (p. ex., Afrique subsaharienne), puisque ces options peuvent être cochées par des répondants de nombreuses ethnicités différentes dont les expériences de vie au Canada varient considérablement. Qui plus est, les études font rarement la distinction entre les personnes noires dont les ancêtres ont résidé au Canada depuis des siècles et celles ayant récemment immigré au pays. Pour compliquer davantage les choses, le Recensement du Canada de 2016 indique que les États-Unis se situent au 10e rang des pays d’origine les plus souvent nommés par les personnes au Canada s’identifiant en tant que Noires12.
Deux revues illustrent ce problème: un examen de la portée effectué en 2019 en matière de cancer du sein et du col de l’utérus chez les « Canadiennes noires » incluait 23 études13, parmi lesquelles seules 7 comptaient des participantes indéniablement noires. Certaines de ces études considéraient l’Afrique comme un seul bloc (quelques-unes précisant que les populations d’origine africaine comprenaient de nombreuses participantes venant d’Afrique du Nord pouvant s’identifier en tant qu’Arabes)12, et d’autres incluaient des participantes venant des Caraïbes, d’Amérique latine et d’Amérique centrale. L’inclusion possible de participantes qui ne sont pas noires rend l’interprétation des résultats difficile. Certaines études ont précisé que leur échantillon étiqueté « Afrique » incluait les populations d’Afrique du Nord principalement arabes14,15. Un examen de la portée effectué en 2020 ayant fait rapport de la prévalence de la consommation de substances psychoactives parmi les populations africaines et caribéennes et les personnes noires au Canada incluait 25 études; moins de 5 d’entre elles incluaient des résultats provenant uniquement de personnes noires16. Certaines des études incluses ne précisaient pas si les personnes participantes étaient noires, mais mentionnaient plutôt si elles étaient immigrantes, africaines ou caribéennes.
Des données exactes, fiables et claires doivent être utilisées dans les recherches visant à orienter les politiques de santé publique, les politiques de formation pour les travailleurs de la santé et les pratiques adaptées à la culture et antiracistes pour les communautés noires. L’incapacité à trouver un terme commun pour décrire les personnes noires dans la recherche sur la santé au Canada pourrait perpétuer les iniquités et entraver la recherche utile sur la santé des personnes noires au Canada.
Certains chercheurs ont suggéré l’utilisation du terme « personnes, communautés ou groupes noirs d’origine africaine, caribéenne et canadienne ». Ce terme est lourd et ne tient pas compte des personnes noires d’autres origines (p. ex., d’Amérique latine). Le terme « personnes, communautés ou groupes noirs », déjà utilisé dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, est souvent critiqué pour sa trop grande simplicité, bien qu’il ait l’avantage d’être clair, sans équivoque et précis. Il pourrait être adopté dans tous les sondages sur la santé pour mieux correspondre aux données recueillies par l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. Toutefois, cela n’aidera pas à produire des études permettant d’orienter convenablement l’amélioration de la santé publique, de la prévention, de la promotion de la santé et des programmes d’intervention sur la santé de la population pour les personnes noires au Canada, car le terme ne tient pas compte de la diversité des communautés noires au pays et n’est pas suffisamment différenciateur.
Pour obtenir des données démographiques plus justes et plus précises utilisables dans la recherche sur la santé, les chercheurs doivent exiger des précisions lorsqu’ils demandent aux participants d’identifier leur origine ethnique. Par exemple, si un participant s’identifie en tant que Noir, on peut par la suite lui demander de préciser son pays d’origine ou celui de ses parents, de même que son statut de génération, s’il y a lieu. Les chercheurs devraient également préciser les sous-groupes (p. ex., Néo-Écossais, personnes d’origines caribéenne, africaine ou d’Amérique Centrale ou du Sud), de même que l’ethnicité d’autres profils démographiques. Ainsi, la réponse à la question « qui est Noir? » dans la recherche sur la santé est nuancée: il s’agit des personnes s’identifiant en tant que Noires et provenant de divers milieux ethniques (p. ex., Africains, Caribéens, Sud-Américains ou Canadiens). Il est également important de donner aux participants l’occasion de donner plus d’une réponse concernant leur identification ethnique, afin de permettre aux personnes multiethniques de s’identifier avec précision.
La recherche qualitative offre plus de possibilités que la recherche quantitative aux chercheurs pour recueillir des données nuancées; de telles données peuvent inclure les renseignements touchant l’expérience des personnes noires quant au fait d’être racisées dans l’utilisation des services de santé. La recherche qualitative sur la santé peut documenter les expériences en lien avec les différentes ethnicités noires (p. ex., caribéennes et africaines), les milieux multiraciaux et le colorisme (les préjudices liés au teint de la peau, qui peuvent être vécus à même une communauté). La définition réfléchie des populations peut permettre aux chercheurs de démontrer, par exemple, non seulement que la prévalence du diabète est plus élevée dans les communautés noires que dans la population générale, mais aussi quelles communautés précises sont les plus à risque au sein des populations noires au Canada.
Les questions d’approfondissement en lien avec la race, l’ethnicité et la région d’origine pourraient inquiéter les participants, mais les chercheurs du domaine de la santé peuvent expliquer que les questions qui permettent la collecte de données détaillées peuvent très bien améliorer la recherche sur la santé des personnes noires au Canada et accroître les chances d’élaborer une approche de soins de santé inclusive, participative et collaborative.
Bien que des efforts et du financement supplémentaires soient nécessaires, la recherche sur la santé des personnes noires n’a jamais reçu autant d’attention que maintenant. Il est urgent que les études quantitatives et qualitatives recueillent des données exactes et détaillées. Sans ce travail essentiel, la recherche sur la santé des personnes noires menée aujourd’hui et dans les années à venir pourrait ne pas avoir l’influence qu’elle devrait sur les politiques publiques, les programmes de soins de santé et les stratégies et plans d’action. Si la recherche sur la santé des personnes noires continue de se fonder sur des données imprécises ou incorrectes, il est possible que les politiques et programmes que nous mettrons au point ne répondent pas aux besoins réels des communautés noires.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Financement: Jude Mary Cénat a reçu des subventions de l’Agence de la santé publique du Canada (1920-HQ-000053) et des Instituts de recherche sur la santé du Canada (no 469050).
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