Les cliniciens fondent leurs décisions sur de multiples sources : leurs niveaux de confort face à des décisions antérieures, les conseils de personnes influentes comme des enseignants, des superviseurs de résidence et d'autres cliniciens respectés, et l'information publiée — études de recherche primaire, éditoriaux, commentaires, synthèses ou critiques et guides de pratique clinique.
Les guides de pratique clinique sont d'importants moyens d'application des connaissances. Ils sont souvent produits par des groupes de personnes possédant tout un éventail d'antécédents méthodologiques et cliniques, et qu'on a choisies pour assurer un équilibre des points de vue. Ces documents sont publiés sur support électronique dans des endroits très connus et faciles d'accès pour les cliniciens et les patients. Contrairement aux commentaires, aux éditoriaux et aux critiques systématiques, les guides de pratique doivent présenter des recommandations définitives sur les sujets dont ils traitent. Enfin, ils ont souvent le «sceau d'approbation» d'une société clinique pertinente. Dans tous les cas, les opinions qui transforment des données en recommandations reposent sur des jugements subjectifs. Comme ces jugements sont d'origine humaine, il y a naturellement place pour l'erreur et la partialité.
La forme de partialité qui soulève le plus de discussions est de nature financière. Choudhry et ses collaborateurs1 ont démontré que les auteurs de guides publiés principalement au cours des années 1990 avaient de nombreux liens financiers avec des fabricants de produits pharmaceutiques visés par les guides. Lorsqu'on les a sondés, 7 % seulement de ces auteurs ont déclaré croire que ces relations ont une influence sur leur opinion — mais 19 % d'entre eux croyaient que leurs collègues étaient influencés. On ne sait toujours pas dans quelle mesure la nature et l'importance des liens financiers orientent les opinions2. Une interaction que je trouve particulièrement intéressante est celle où les sociétés pharmaceutiques ont recours à des conseils consultatifs médicaux pour établir des liens avec des médecins influents. Même s'ils sont constitués pour conseiller les fabricants, la participation à ces comités semble souvent comporter des voyages extravagants à des endroits exotiques. Je ne connais pas de données empiriques sur lesquelles fonder mon opinion, mais il me semble clair qu'une telle relation suscitera par la suite une opinion plus favorable du produit du fabricant en cause chez les membres de l'entité consultative qui siègent aussi aux comités chargés des guides.
Il y a toutefois plusieurs autres sources possibles de partialité qui font moins souvent l'objet de commentaires. Par exemple, de longs états de service à des comités des gouvernements ou de l'assurance privée imprègnent les experts d'une perspective différente — qui pourrait consister notamment à limiter les coûts. La dynamique de ce genre de comités peut donner naissance à des opinions négatives sur de nouveaux produits visant à générer des revenus pour un fabricant.
Une troisième source de partialité possible inclut «l'intérêt» préalable des participants dans un dossier. Imaginez, par exemple, que vous êtes le principal auteur d'un essai randomisé d'envergure portant sur une nouvelle stratégie clinique qui a démontré un avantage statistiquement important pour les patients. Il est fort probable, si vous siégez au comité chargé d'un guide, que cette expérience dominera l'opinion que vous avez de l'ensemble des données probantes.
Une quatrième forme de partialité provient de votre gagne-pain. Dans un article de critique3 publié récemment dans le New England Journal of Medicine, on préconisait la tomographie par émission de positrons (TEP) pour évaluer le cancer; un des deux coauteurs était radiologiste (qui, je suppose, lit des clichés de TEP). On affirmait dans l'article : «On n'a déclaré aucun conflit d'intérêts possible au sujet de cet article.» Vraiment?
Il y a enfin les influences inhérentes qui découlent des expériences personnelles. J'ai demandé récemment à un collègue quel antibiotique il prescrirait contre une infection courante. Il a choisi un agent relativement nouveau et coûteux. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas choisi un médicament moins récent et beaucoup moins cher, il a déclaré qu'il ne «semblait tout simplement pas correct» de choisir le produit en cause alors que tous les autres cliniciens l'avaient laissé tomber — même s'il savait que les données probantes n'avaient pas démontré que le nouvel agent était meilleur sur le plan clinique. Il a reconnu que sa réponse était plutôt irrationnelle, mais il est difficile de lutter contre cette forme de partialité.
En résumé, le facteur humain nécessaire pour poser des jugements fondés sur de multiples sources de données peut produire des recommandations partiales. Au cours des dernières années, des entités chargées de processus de préparation de guides ont commencé à reconnaître les conflits d'intérêts d'ordre financier. Afin d'améliorer la validité de leur guide, elles doivent reconnaître aussi toutes les autres sources de partialité. Elles relèveront ainsi le défi qui consiste à établir un équilibre entre les experts qui ont de profondes connaissances et sont plus vulnérables à de telles formes de partialité, et les non-experts qui peuvent avoir moins de connaissances mais peuvent être moins influencés par les facteurs à l'origine de la partialité — la tâche ne sera pas facile. Même si ces autres influences peuvent être encore plus difficiles à documenter et à quantifier que les liens financiers, elles n'en sont pas moins importantes. C'est pourquoi je recommande que les comités d'étude de guides (et ceux qui travaillent aux méthodologies qu'ils utilisent) se penchent sur la question. Ces mesures pourraient améliorer encore davantage la rigueur et la transparence du processus de création des guides.
Footnotes
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Cet article a fait l'objet d'un examen par les pairs.