Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221266; voir l’article connexe ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220973-f
La majorité de la patientèle qui déclare une allergie à la pénicilline n’a pas d’allergie sévère.
Le désétiquetage de l’allergie à la pénicilline permet à la patientèle de recevoir des antibiotiques à base de pénicilline et de β-lactamines lorsqu’indiqué.
Un algorithme simple permet de stratifier la patientèle selon le risque allergique.
La patientèle présentant un risque faible de réactions allergiques graves peut recevoir un test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale dans les centres de santé sexuelle et d’autres environnements de soins primaires.
Près de 10 % de la patientèle en Amérique du Nord déclarent être allergiques à la pénicilline1. C’est un enjeu particulièrement important dans le domaine de la santé sexuelle et des infections transmissibles sexuellement (ITS) en raison de la résurgence de la syphilis, dont le traitement privilégié est la pénicilline, et de la montée des infections gonococciques résistantes aux fluoroquinolones et aux macrolides, traitées en première intention par des céphalosporines2. Avec une évaluation adaptée, 95 % des réactions allergiques déclarées, estimées à risque faible de réaction grave, peuvent être désétiquetées3. Il est possible d’aiguiller la patientèle vers un allergologue pour un bilan, mais cette option s’avère généralement difficilement envisageable en raison du manque d’accès et des nombreux rendez-vous manqués, en particulier chez la patientèle jeune et aux prises avec des conditions sociodémographiques difficiles4. Une méthode d’exclusion simple de l’allergie à la pénicilline chez les patients présentant un risque faible d’anaphylaxie consiste à effectuer un test de provocation par voie orale qui, s’il est négatif, permet le « désétiquetage ». Cette méthode s’est avérée efficace en consultation externe spécialisée et dans les milieux hospitaliers5, mais, à notre connaissance, il n’existe pas de données sur la réalisation de ce test dans des centres communautaires de santé sexuelle en contexte de soins primaires.
Méthodes et critères d’admissibilité au test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale
De janvier 2019 à novembre 2020, à partir de nos dossiers médicaux électroniques, nous avons dressé de manière prospective une liste des patients présentant un risque élevé d’ITS ayant des antécédents d’allergie à la pénicilline. Nous les avons joints par téléphone pour leur proposer un rendez-vous en personne à notre centre de dépistage des ITS à proximité de la communauté à Montréal (Qc) afin d’évaluer leurs antécédents allergiques.
Nous avons élaboré un algorithme de stratification du risque fondé sur les lignes directrices québécoises6 afin d’évaluer l’admissibilité au test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale (figure 1). Nous avons d’abord analysé les antécédents des personnes pour classer leur risque de réaction allergique comme faible ou élevé. Le risque faible a été défini comme l’absence ou l’incapacité de se souvenir de symptômes graves (anaphylaxie, hypotension, difficultés respiratoires, atteinte articulaire ou hépatique, réaction cutanée sévère, syndrome allergique grave ou hospitalisation) et des antécédents survenus avant l’âge de 16 ans ou il y a plus de 10 ans. Nous avons fait passer à ces personnes un test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale sous surveillance d’un médecin de premier recours; les personnes à risque élevé ont été aiguillées vers un allergologue pour réaliser un bilan.
Algorithme de stratification du risque d’allergie à la pénicilline et de test de provocation en contexte de soins primaires d’après les lignes directrices provinciales6. *Chaque comprimé contient une dose de 500 mg. Remarque: PEAG = pustulose exanthématique aiguë généralisée, RMESS = réaction médicamenteuse avec éosinophilie et symptômes systémiques.
Nous avons exécuté l’algorithme et fait passer le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale aux personnes à risque faible le même jour. L’équipement standard et les médicaments pour traiter l’anaphylaxie étaient disponibles. Chaque personne a reçu une dose totale de 1000 mg d’amoxicilline, un antibiotique de la classe des pénicillines. Lorsque l’anamnèse initiale indiquait une réaction différée (> 60 minutes après l’exposition à la pénicilline), le test était réalisé en 1 étape, avec une dose de 1000 mg d’amoxicilline. Pour les autres personnes, le test se faisait en 2 étapes (une dose de 125 mg, suivie d’une dose de 875 mg d’amoxicilline, espacées de 30 minutes). Le test de provocation était suivi de 60 minutes d’observation. En l’absence de signe objectif de réaction allergique (urticaire, prurit, angio-œdème ou difficultés respiratoires), la personne n’était plus considérée comme gravement allergique à la pénicilline et recevait son congé avec la consigne de nous contacter en cas d’événement indésirable.
Parmi les 80 personnes dont le dossier médical mentionnait une allergie à la pénicilline, 28 (32 %) ont été recrutées et ont participé à la stratification du risque. Leurs caractéristiques étaient similaires à la population générale de patientèle de notre centre: majoritairement des hommes (96 %), dont l’âge variait entre 20 et 46 ans (âge moyen 30,2 ans). Seulement 2 de ces personnes présentaient un risque élevé et ont été aiguillées vers un allergologue. Parmi les 26 personnes que nous avons classées à risque faible, 20 (77 %) déclaraient des antécédents de manifestations cutanées isolées et 6 (23 %) ne se souvenaient pas de leurs antécédents de réactions allergiques. Toutes ces personnes, sauf 1, ont reçu le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale en 2 étapes. Aucune réaction ne s’est manifestée pendant la période d’observation immédiate, et aucun symptôme différé ou événement indésirable n’a été porté à notre attention par la suite.
Données probantes à l’appui des bienfaits
D’après notre expérience et des données recueillies dans d’autres contextes5,7,8, la réalisation d’un test de provocation par voie orale à des personnes ayant des antécédents à risque faible d’allergie à la pénicilline est une méthode simple pour accroître le recours adéquat aux antibiotiques de la classe des pénicillines et des β-lactamines en contexte de soins primaires. Ces bienfaits ont été démontrés dans divers contextes hospitaliers et externes, mais ne l’ont pas été pour le traitement des ITS9. Les prestataires de soins de santé des centres de santé sexuelle rencontrent fréquemment une patientèle dont le dossier de santé attribue l’étiquette d’allergie à la pénicilline et prescrivent donc des antibiotiques de deuxième intention susceptibles de contribuer à la résistance aux antimicrobiens et à la morbidité associée aux ITS.
Notre algorithme offre une méthode étape par étape pour aider les médecins de soins primaires à évaluer la patientèle déclarant des antécédents d’allergie à la pénicilline, y compris celle dont les descriptions de réactions sont inadéquates. Cette méthode diffère du protocole d’une analyse descriptive publiée en 2021 effectuée dans un contexte de soins primaires semblable7.
Données probantes à l’appui des préjudices
D’autres études ont montré que le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale est sûr chez les personnes à risque faible dans la mesure où la plupart des réactions comportent des symptômes subjectifs ou mineurs; l’anaphylaxie survient dans moins de 1 cas sur 5001. La crainte de ces réactions par les médecins et la patientèle risque de demeurer un obstacle à la réalisation du test en contexte de soins primaires, mais il faut leur rappeler que le risque peut être réduit au minimum avec une stratification adéquate.
Ressources nécessaires
Dans l’ensemble, le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale demande peu de ressources. Les comprimés d’amoxicilline sont facilement accessibles et peu coûteux. Tous les médecins et le personnel infirmier du centre doivent connaître le protocole du test; notre formation a consisté en une séance de 1 heure avec des scénarios cliniques appliquant l’algorithme de stratification du risque (figure 1). Un médecin possédant une certification de base en assistance cardiorespiratoire doit être présent pendant tous les tests.
L’avenir en la matière
D’après notre expérience, le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale est une méthode sûre et accessible pour désétiqueter l’allergie à la pénicilline du dossier de santé de la patientèle à risque faible d’allergie à cet antibiotique ou aux β-lactamines dans les centres communautaires de santé sexuelle. Seulement 32 % des personnes que nous avons contactées ont accepté un rendez-vous de désétiquetage électif, donc nous avons intégré notre algorithme à la pratique courante de notre centre afin de désétiqueter l’allergie à la pénicilline du dossier de santé de la patientèle, avec leur accord, le jour même où ces personnes ont besoin d’antibiotiques.
La majorité de notre patientèle était de jeunes hommes sans comorbidités; cela doit être pris en compte en cas de généralisation à d’autres contextes. Néanmoins, des données ont montré que la stratification adéquate du risque rend le test de provocation à la pénicilline administrée par voie orale sans test cutané préalable sûr chez la patientèle fragile, chez la patientèle présentant des comorbidités et chez les enfants8,10.
Nos résultats et ceux d’autres études5,7,8 devraient encourager les prestataires de soins primaires à mettre en œuvre des protocoles locaux de désétiquetage et des évaluations en contexte clinique pour la patientèle déclarant une allergie à la pénicilline. Ces protocoles peuvent être employés dans d’autres domaines de soins primaires où les antibiotiques sont fréquemment prescrits pour contribuer à une solution ascendante à la résistance accrue aux antimicrobiens, un problème mondial de santé publique.
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Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
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Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception de l’étude ainsi qu’à l’ébauche du manuscrit, ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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