Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231496; voir la recherche connexe (en anglais) ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230492
McLeod et ses collègues présentent les résultats d’une évaluation des services de soins d’urgence virtuels de l’Ontario, conçus pour dissuader la patientèle avec des problèmes bénins de se rendre aux services d’urgence et ainsi y réduire le besoin de consultations en personne au cours de la pandémie de COVID-191. Les soins d’urgence virtuels font partie des nombreuses nouvelles voies d’accès et des nouveaux programmes de soins de santé se multipliant au pays pour répondre aux crises dans les systèmes de santé. Les résultats de l’étude font valoir l’importance d’une conception ciblée et d’une évaluation rigoureuse et transparente pour les interventions à l’échelle du système de santé.
À une cadence toujours plus rapide, les systèmes de soins de santé redéfinissent les fondements de l’accès aux soins de santé au Canada et introduisent de nouveaux partenariats commerciaux2–4. On observe toutefois une variabilité importante entre les programmes et les provinces quant à la qualité, la mise en œuvre et la conception, un fait qu’illustrent très bien les résultats d’une évaluation du programme de soins d’urgence virtuels de l’Ontario.
La plupart des personnes de l’étude qui utilisaient les services ontariens étaient des jeunes de milieux urbains, anglophones, hautement scolarisés et de statut socioéconomique élevé ayant accès à un prestataire de soins primaires1. Si la plupart des personnes utilisatrices des services de soins d’urgence virtuels ne se sont pas rendues aux services d’urgence, une grande proportion d’entre elles a toutefois consulté un autre prestataire de soins de santé le jour même de la consultation virtuelle en soins d’urgence pour des problèmes de santé bénin1. En résumé, les auteurs de l’étude ont donc constaté que les personnes ayant un accès facile aux soins ont reçu plus de soins pour leurs problèmes de santé bénins. Comme leurs ressources sont déjà fortement sollicitées, les systèmes de soins de santé canadiens n’ont pas le luxe de prodiguer des interventions redondantes qui ne profiteront principalement qu’à ces personnes.
Selon les données existantes, dès son lancement, le programme de soins d’urgence virtuels n’avait que peu de chances d’exercer une influence assez importante pour soulager les services d’urgence de l’Ontario. Les consultations pour des problèmes bénins ne sont pas la cause première de l’engorgement des services d’urgence5–7, et il n’a pas été démontré que la présence de services de triage par téléphone à l’échelle de l’Ontario influe sur la proportion de la patientèle qui a accès à des soins en personne aux services d’urgence en l’absence d’une association déjà établie avec un prestataire de soins de santé8.
Le système faisant face à un achalandage sans précédent, les millions de dollars et les ressources humaines de la santé consacrés au programme pilote de l’Ontario auraient sans doute été mieux investis dans un programme adapté à la patientèle ou aux régions susceptibles d’en bénéficier1. Des données indiquent que les soins d’urgence virtuels peuvent profiter à des populations ciblées. Ils permettent d’abord de décourager les consultations aux services d’urgence chez les enfants9,10; le déploiement de programmes pédiatriques de soins d’urgence virtuels en réponse à la pandémie a notamment permis aux hôpitaux de soins pédiatriques de délester leurs consultations pour des problèmes bénins11. Deux des 14 centres de soins d’urgence virtuels de l’Ontario se consacraient exclusivement à une patientèle pédiatrique, et la redirection des consultations pédiatriques pour des motifs bénins vers eux s’est révélée d’une importance salutaire à l’automne 2022, alors que les hôpitaux étaient submergés d’enfants touchés par des infections respiratoires virales12.
La Colombie-Britannique a adopté une approche plus concrète et itérative pour concevoir et mettre en œuvre son programme de soutien virtuel en temps réel, lancé en avril 2020. Ce panier de services de soins d’urgence virtuels vise à faire progresser l’équité dans l’accès aux soins pour les communautés rurales, éloignées et autochtones de l’ensemble de la province. Pour l’instant, les évaluations de ces programmes montrent qu’ils atteignent leurs objectifs et que la patientèle de toutes les régions évite en toute sécurité les consultations aux services d’urgence13,14.
Il faut reconnaître à l’Ontario le mérite d’avoir inclus dans son programme de soins d’urgence virtuels une évaluation exhaustive qui a commencé avant même son lancement1. Pour faciliter le jumelage aux bases de données administratives provinciales sur la santé, une des exigences de financement du programme était la soumission de données normalisées sur les consultations de la patientèle couvrant une période d’au moins 6 mois. Jusqu’à présent, 4 articles révisés par les pairs portant sur la conception et les résultats du programme ont été publiés1,15–17. La plus récente évaluation, présentée dans l’étude jointe, illustre à un moment opportun la valeur de données administratives exhaustives sur la santé. Il est crucial de reconnaître l’importance de données fiables, considérant la prolifération récente de nouveaux partenariats commerciaux au sein des systèmes de santé du Canada2–4. De tels partenariats peuvent en effet entraver l’évaluation transparente des programmes, particulièrement si des personnes ou une tierce partie paient pour des services. Après des décennies d’investissement dans les données administratives sur la santé ayant permis de créer des ensembles de données d’une ampleur quasi inégalée sur les interactions entre les populations et les systèmes de soins de santé18,19, les consultations et les interventions des partenaires commerciaux pourraient aussi créer des lacunes importantes dans les bases de données administratives provinciales sur la santé20. Enfin, bien qu’elle puisse faire l’objet de questions internes à des fins d’assurance de la qualité, l’information sur les interactions des systèmes de soins de santé avec des entités commerciales pourrait ne pas être disponible pour une analyse indépendante par le milieu de la recherche universitaire sur les données, comme celle réalisée pour les évaluations des soins d’urgence virtuels. À mesure que se nouent de nouveaux partenariats, certains soutiennent que les gouvernements devraient ordonner aux dépositaires de données et aux fournisseurs de services de permettre aux établissements de soins de santé et aux organismes menant des activités socialement bénéfiques d’avoir accès aux données, s’il y a lieu, sans frais20.
C’est au fil de l’évolution rapide des systèmes de santé du Canada qu’émergeront les défis et la complexité entourant la mise en place d’interventions bien intentionnées à leur échelle et l’importance critique d’une évaluation rapide, rigoureuse et transparente de ces dernières. Sans évaluation critique, les dirigeants et les prestataires du système de santé comme les concitoyens ne peuvent toutefois pas présumer que les nouveaux programmes atteignent les objectifs établis, ce qui risque d’entraîner un gaspillage de fonds en santé.
Footnotes
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