Chez les personnes qui survivent à la tuberculose (TB) active, les taux de morbidité et de mortalité liées aux maladies respiratoires, aux maladies cardiovasculaires, aux cancers et à la dépression sont accrus.
La durée prolongée du traitement antituberculeux pourrait être une occasion de promouvoir des stratégies axées sur la personne afin d’optimiser la santé à long terme et d’assurer un suivi adéquat en soins primaires, une fois le traitement antituberculeux terminé.
La mobilisation des patients, la coordination des services et la recherche peuvent contribuer au maintien d’un état de santé optimal chez les survivants de la TB, une fois le traitement antituberculeux terminé.
On estime que 155 millions de personnes dans le monde ont survécu à la tuberculose (TB) active, soit 1 personne sur 501. Au Canada, environ 1700 personnes reçoivent un diagnostic de TB active chaque année et 2 % des 8 millions de migrants au Canada ont des antécédents de TB2. Nous estimons donc le nombre de survivants de la TB au Canada à plus de 100 000 personnes. Malgré un traitement antituberculeux efficace complet, les taux de maladie respiratoire et cardiovasculaire, de cancer, de dépression et de mortalité de toutes causes sont élevés chez les personnes qui survivent à la TB3–6. Une étude de 2021 a révélé qu’en Colombie-Britannique, chez les immigrants ayant survécu à la TB, le risque de mortalité non liée à la TB, par maladie cardiovasculaire et respiratoire, blessure, empoisonnement ou cancer, est de 69 % supérieur, comparativement à la population générale7. Ces taux élevés de mortalité et de morbidité pourraient être dus à des séquelles de la TB elle-même ou refléter des variables systémiques, socioéconomiques, médicales ou comportementales non contrôlées. Indépendamment des causes, il faut appliquer des mesures concertées et intégrées pour s’attaquer au problème. De nouvelles normes internationales et canadiennes ont été préparées pour les soins post-TB, mais il faudra compter à la fois sur la mobilisation des patients, une coordination rigoureuse des services et des recherches plus poussées pour assurer le maintien d’un état de santé optimal après un traitement efficace contre la TB chez cette population.
La maladie pulmonaire post-TB, qui désigne un éventail de maladies ayant des points communs, dont la maladie pulmonaire obstructive chronique, la bronchiectasie, la maladie pulmonaire restrictive et les complications pulmonaires infectieuses, résulte de l’interrelation complexe entre divers facteurs liés à l’agent infectieux, à l’hôte et au milieu de vie8. Des données épidémiologiques qui s’accumulent concernant son ampleur et son fardeau laissent croire que la maladie pulmonaire post-TB alourdit le fardeau des maladies chroniques partout dans le monde9. En Colombie-Britannique, les personnes atteintes de TB pulmonaire sont exposées à un risque 2 fois plus grand de maladie respiratoire que les personnes n’ayant jamais souffert de TB10. Cependant, le tableau clinique de la maladie pulmonaire post-TB est variable et probablement trop peu reconnu par les professionnels de la santé au Canada; une étude canadienne récente a en effet montré que seulement 14 % des personnes atteintes de TB pulmonaire subissaient un test de la fonction respiratoire à un moment ou à l’autre après la fin de leur traitement11.
Une revue systématique récente a révélé un risque relatif ajusté de 1,5 à l’égard des événements cardiaques majeurs chez les survivants de la TB, comparativement aux personnes n’ayant jamais souffert de TB3. La morbidité et les décès cardiovasculaires chez les survivants de la TB pourraient être liés à une forte prévalence du tabagisme et d’autres comportements à risque dans cette population, à des facteurs socioéconomiques ou à une inflammation post-TB généralisée et chronique, propice à l’athérosclérose; il faudra approfondir la recherche pour confirmer ce lien.
En ce qui concerne la santé mentale, la TB pourrait contribuer à une forte incidence de dépression due à une réponse inflammatoire anormale, à des comorbidités, aux effets des médicaments, à la stigmatisation et à l’isolement5. La prévalence regroupée des cas de dépression chez les malades recevant des traitements antituberculeux est estimée à 45 %5, mais peu d’articles ont porté sur les interventions programmatiques pour contrer la dépression chez cette population.
Des études réalisées dans des pays à faible et moyen revenu ont montré que l’isolement et les soins pour la TB ont souvent un coût catastrophique pour les patients et leurs familles12; toutefois, à notre connaissance, aucune étude canadienne n’a mesuré les répercussions économiques à long terme de la TB sur les personnes. Étant donné que les groupes marginalisés sont touchés de manière disproportionnée par la TB au Canada, cet enjeu mérite qu’on l’explore davantage.
Les programmes nationaux et provinciaux de lutte contre la TB accordent la priorité au diagnostic, au traitement et à la prévention en temps opportun, ce dont témoigne la collecte régulière des paramètres programmatiques sur les traitements achevés, les échecs thérapeutiques, la perte des personnes au suivi et les décès en cours de traitement. On met l’accent sur les résultats du traitement antituberculeux, mais les soins aux personnes atteintes s’arrêtent brusquement à la fin du traitement. En intégrant des indicateurs à long terme aux soins de routine, on faciliterait la prise en compte de ces paramètres de santé pendant tout le continuum des soins antituberculeux.
Les normes internationales récentes ont rappelé la nécessité d’évaluer et de gérer la maladie pulmonaire post-TB à la fin du traitement13. Ces normes comprennent l’évaluation de chaque personne ayant terminé un traitement contre la TB pulmonaire pour dépister toute séquelle post-TB, ainsi que des services de réadaptation pulmonaire pour celles qui présentent des signes et symptômes cliniques et radiologiques de maladie pulmonaire post-TB. Dans les Normes canadiennes 2022 pour la lutte antituberculeuse, on recommande de réaliser un test de la fonction respiratoire chez toutes les personnes qui ont terminé un traitement pour la TB pulmonaire14.
Les recherches isolées pourraient toutefois ne pas suffire pour réduire le risque de mortalité après un traitement antituberculeux. Au Canada, où le colonialisme teinte encore l’épidémiologie de la TB, les personnes autochtones nées au Canada et les personnes d’origine étrangère continuent d’être touchées de manière disproportionnée par la TB15. Même si les personnes nées à l’étranger comptent le plus grand nombre de malades de la TB au Canada, l’incidence est la plus marquée chez les personnes autochtones nées au Canada, particulièrement dans le nord du pays. Les populations touchées par la TB ont souvent de la difficulté à accéder aux soins dans les systèmes de santé structurellement racistes et à s’y retrouver16. Étant donné que les personnes atteintes de TB interagissent activement avec le système de santé pendant la durée de leur traitement antituberculeux, cette période serait une occasion de promouvoir des stratégies axées sur la personne pour optimiser la santé à long terme. Dans les Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse, on rappelle l’importance de déployer des efforts pour s’attaquer aux comorbidités durant un traitement antituberculeux, en partenariat avec les professionnels en soins primaires, afin d’améliorer la qualité et l’intégration des soins aux patients14.
En plus des mesures minimales de mobilisation au niveau des soins primaires et de sensibilisation aux complications de la TB à long terme, nous suggérons d’explorer la possibilité de mettre en place des services de navigation dans le système de santé comme option pour aider les personnes à surmonter les obstacles systémiques et faciliter l’accès rapide à des soins de qualité lors du suivi post-tuberculeux. Des programmes dispensés par des spécialistes pourraient offrir aux professionnels de soins primaires un sommaire des problèmes de santé, des complications et des recommandations post-TB pour effectuer un dépistage approprié selon l’âge des maladies cardiovasculaires, du cancer du poumon et de la dépression. Il faudrait en outre appliquer la recommandation relative aux tests de la fonction respiratoire consécutifs au traitement13,14.
Les personnes qui ont survécu à la TB active ont aussi demandé des soins complets et holistiques une fois les traitements terminés pour améliorer leur qualité de vie, particulièrement au moyen de soutien social et en matière de santé mentale17. L’engagement des survivants de la TB dans les discussions sur la façon de faire progresser ce dossier est indispensable pour l’élaboration de modèles de soins axés sur la personne adéquats.
Même si aucune solution facile ne réglera les problèmes uniques auxquels les survivants de la TB font face, il faut reconnaître que, pour plusieurs, des symptômes physiques et psychologiques perdurent longtemps après la fin du traitement antituberculeux. La coordination des services, la défense des intérêts, la mobilisation, la recherche et, au bout du compte, le financement sont nécessaires pour que les survivants de la TB reçoivent un soutien approprié une fois que leur maladie est considérée comme guérie.
Remerciements
Les auteurs expriment leur reconnaissance à C. Andrew Basham et à Peter J. Dodd pour leur collaboration aux premières ébauches de ce commentaire.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail. Kamila Romanowski a rédigé l’ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Kamila Romanowski a reçu une bourse d’études supérieures du Canada Frederick-Banting et Charles-Best du niveau du doctorat des Instituts de recherche en santé du Canada (ISRC) (2020–2023). James Johnston a reçu une bourse de recherche en santé de la Fondation Michael Smith et des IRSC (#PJT-153213). Les chercheurs étaient indépendants de leurs sources de financement, qui n’ont joué aucun rôle dans cette étude.
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