Au Canada, l’islamophobie se manifeste sous des formes individuelles, sociétales et structurelles, y compris des formes de violence extrême perpétrées contre les musulmans.
Les conséquences sur la santé physique et la santé mentale de même que les expériences vécues par des patients dans les établissements de soins de santé sont marquées par l’islamophobie.
Les principes des soins tenant compte des traumatismes peuvent être utilisés pour lutter et atténuer les conséquences de l’islamophobie dans les établissements de soins de santé.
Les cliniciens devraient réfléchir aux biais et aux préjugés qu’ils peuvent entretenir envers les personnes musulmanes.
Selon le contexte clinique, lorsque la situation l’exige, les cliniciens devraient envisager d’explorer les répercussions de l’islamophobie sur leurs patients et de les soutenir lorsque cela est nécessaire.
Au Canada, la létalité de la haine envers les musulmans a été mise en lumière en 2021, lorsque 4 membres d’une famille musulmane de London, en Ontario, ont été tués le 6 juin 2021, dans un acte terroriste dévastateur. En 2017, le massacre de la mosquée de Québec a précédé ces événements, alors que 6 croyants musulmans ont été abattus et tués1. Outre la vague de chagrin qui a déferlé sur le pays après les incidents de London, plusieurs personnes ont demandé un examen des systèmes sous-jacents et des structures discriminantes qui tissent le contexte au sein duquel l’islamophobie se manifeste. Pour la communauté médicale du Canada, déjà aux prises avec des demandes croissantes pour remédier aux conséquences défavorables des multiples formes de racisme2, davantage de directives sont nécessaires afin de s’attaquer aux répercussions de l’islamophobie sur les patients.
Les personnes de confession islamique constituent le deuxième plus grand groupe religieux au Canada et elles représentent un large éventail de communautés3. L’islamophobie se définit comme « une stigmatisation sociale envers l’Islam et les musulmans, une antipathie envers les musulmans comme force politique et une construction distincte faisant référence à la xénophobie et au racisme envers les personnes musulmanes ou celles qui sont perçues comme étant musulmanes »4. Au cours des dernières années, le terme islamophobie s’est attiré des critiques comme représentant un potentiel euphémisme de l’enjeu de la haine et du racisme contre les musulmans5. Cependant, nous employons le mot « islamophobie » dans cet article puisqu’il s’agit du terme le plus souvent utilisé dans la documentation liée aux soins de santé.
L’islamophobie se manifeste à des niveaux individuels, sociétaux et structurels et de multiples façons. Des actes de violence envers les personnes musulmanes se produisent à un rythme alarmant à l’échelle de l’Amérique du Nord4,6. Les préjugés contre les musulmans ont été enchâssés dans les politiques et les lois, contribuant à de fréquentes microagressions, à des restrictions de voyage et à des crimes haineux, à un rythme qui a plus que doublé au cours de la dernière décennie6. Les répercussions des crimes haineux envers les musulmans s’étendent bien au-delà des victimes de ces actes et de leur famille, engendrant souvent des peurs profondes, de l’hypervigilance et un vaste chagrin au sein des communautés dans leur ensemble7.
Des travaux de recherche émergeant démontrent que subir l’islamophobie est associé avec une moins bonne santé physique et mentale4,5. De plus, les formes d’oppressions intersectionnelles semblent exacerber les conséquences négatives, étant donné que les personnes musulmanes noires et les femmes visiblement musulmanes subissent des taux accrus et disproportionnés de violence et de discrimination de nature islamophobe4,5. Les enfants musulmans sont aussi la cible de discrimination antimusulmane — une étude qualitative réalisée dans le sud-ouest de l’Ontario a exposé des thèmes associés à la peur, à l’hypervigilance et à des perturbations qui affectent l’identité, particulièrement dans le contrecoup du massacre de la mosquée de Québec8. Dans une large mesure, les effets cumulatifs de l’islamophobie contribuent à une diminution de la recherche d’aide et à une méfiance des patients envers les systèmes de soins de santé4. Par conséquent, la communauté médicale doit prendre en considération la nature particulière de l’islamophobie et des préjudices constants que peuvent subir les patients et les professionnels de la santé qui s’identifient comme musulmans dans leurs interactions liées aux soins de santé.
Remédier à l’islamophobie exige de percevoir ses différentes manifestations comme des formes potentielles de traumatismes. Comme cadre pratique, le modèle de soins tenant compte des traumatismes est conçu pour être exhaustif et pour comprendre de multiples niveaux, comme les cliniques, les hôpitaux et les systèmes de soins de santé dans leur ensemble9. Nous utilisons ce cadre pour suggérer une approche aux rendez-vous cliniques en personne entre les professionnels de la santé et les patients.
Tout d’abord, les professionnels de la santé peuvent faire la promotion d’un sentiment de sécurité. La documentation existante en matière de sécurité culturelle souligne que les cliniciens devraient examiner leurs propres préjugés ainsi que leurs attitudes ou leurs pratiques potentiellement discriminatoires10. Plus précisément, on devrait sensibiliser les cliniciens aux conséquences de l’islamophobie et ils devraient réfléchir aux idées préconçues qu’ils pourraient arborer envers les personnes musulmanes. Les cliniciens qui réalisent leur manque substantiel de connaissances ou leur compréhension subjective des musulmans devraient chercher des sources d’information crédibles afin de combler ces lacunes et de ne pas nuire à leurs patients lorsqu’ils les rencontrent. Voici un exemple d’une rencontre qui peut contribuer au traumatisme: un médecin demande à une femme visiblement musulmane si les hommes de sa famille la forcent à se couvrir la tête sans qu’elle ait donné d’indices d’être sujette à ce type de traitement. Un autre exemple: une médecin présume que les croyances religieuses d’un patient ont conduit à l’emploi de la violence physique. Ce genre d’hypothèse prend sa source de tropes courants selon lesquelles les femmes musulmanes sont soumises et que les hommes musulmans sont dominateurs. Un travailleur de la santé qui pose l’hypothèse qu’un patient musulman a émigré au Canada ou encore, qui montre un malaise ou une réticence à faciliter les pratiques religieuses en milieux de soins (comme le jeune ou les prières rituelles) malgré l’expression par le patient de l’importance de ces pratiques, peut aussi compromettre la sécurité culturelle. Ce type d’hypothèses et de comportements prennent souvent leurs racines dans des préjugés implicites, explicites et structurels envers les personnes musulmanes et peuvent signaler au patient qu’il n’est pas à l’abri de la discrimination dans ce qui devrait constituer une rencontre thérapeutique.
Ensuite, les cliniciens doivent chercher des occasions de valider et de reconnaître l’influence potentielle sur les soins engendrée par l’islamophobie. Les cliniciens peuvent hésiter à aborder des sujets comme l’islamophobie pour différentes raisons, dont une anxiété envers le risque d’offenser un patient ou un manque de connaissances dans la manière de soutenir le patient. Cependant, les cliniciens devraient être conscients que la décision de garder constamment le silence sur ces enjeux, particulièrement dans le contexte d’une relation à long terme entre patient et fournisseur de soins, peut ne pas être perçue par le patient comme une décision empreinte de neutralité, mais comme une décision condescendante ou manquant de compassion. La non-reconnaissance ou l’effacement d’une expérience peut entraîner de la détresse. Nous reconnaissons que chaque dyade patient-fournisseur de soins est unique et qu’un jugement clinique est nécessaire au regard de la manière et du moment de soulever ces enjeux.
Par conséquent, des soins tenant compte des traumatismes pourraient comprendre une vérification dénuée de jugement auprès du patient grâce à des signaux verbaux et non verbaux qui valident son identité, particulièrement après des crimes haineux ayant fait l’objet d’une attention médiatique. Les professionnels de la santé devraient aussi chercher à comprendre le rôle que la spiritualité et la culture jouent dans le vie de leurs patients sur une base continue, avec la permission de ces derniers. Si le patient choisit de faire part de ses expériences, les cliniciens devraient l’écouter attentivement et valider ses émotions de façon appropriée, en prenant garde de ne pas exprimer d’incrédulité envers ses expériences, de rejeter ses préoccupations ou d’être sur la défensive11.
Finalement, les professionnels de la santé devraient démontrer une plus grande sensibilité aux ressources et aux soutiens pertinents en matière de spiritualité, de culture et d’origine ethnique offerts dans leur région. Obtenir du soutien de personnes ayant vécu des expériences comparables peut être utile à certains patients; ce point est cité comme un élément des soins tenant compte des traumatismes9. Les cliniciens devraient être informés des organismes locaux qui offrent ce type de soutien aux patients musulmans; ils devraient aussi demander aux patients s’ils sont intéressés par ces ressources (tout en étant conscient que les patients qui s’identifient comme musulmans ne recherchent pas tous des organismes ou des fournisseurs de soins qui sont adaptés à leur spiritualité ou leur culture).
L’islamophobie peut avoir une influence néfaste sur la santé, tant physique que mentale, et les professionnels de la santé ont un rôle à jouer pour la contrer. Employer une approche tenant compte des traumatismes peut permettre aux cliniciens d’offrir des soins efficaces et thérapeutiques aux patients musulmans tout en atténuant le risque de les traumatiser de nouveau ou de les marginaliser.
Footnotes
Intérêts concurrents: Arfeen Malick est membre du conseil d’administration de l’Association médicale musulmane du Canada et Juveria Zaheer est membre du conseil d’administration de l’Association canadienne pour la prévention du suicide. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail. Zainab Furqan a rédigé le manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et endossent l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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