Voir article connexe ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290-f Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221020
Dans sa recommandation mise à jour, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs invite une fois de plus les médecins canadiens à ne pas effectuer d’emblée un dépistage de la dépression à l’aide d’instruments à cette fin pendant la grossesse et la période postpartum chez les personnes n’ayant aucun antécédent de problème de santé mentale1. Le message clé est : « Poser des questions, mais sans dépistage formel ».
Les données probantes de grande qualité appuyant l’efficacité clinique du dépistage de la dépression périnatale au moyen d’instruments à cette fin sont extrêmement limitées. Les auteurs de la ligne directrice réitèrent toutefois l’importance de poser des questions sur le bien-être mental durant cette période : cela doit faire partie des soins pré- et postnataux standard, et les personnes qui présentent des signes et symptômes de dépression doivent recevoir un diagnostic et un suivi appropriés.
Le Groupe d’étude a procédé à une interrogation exhaustive pour recenser les études qui ont comparé le dépistage de la dépression périnatale au moyen d’instruments en soins primaires et mesuré les paramètres cliniques et développementaux importants chez la personne qui est ou a été enceinte et l’enfant. Il n’a recensé qu’un seul essai randomisé de taille modérée sur lequel baser la ligne directrice actuelle. En soi, cela est révélateur. Le dépistage de la dépression pendant la période périnatale est recommandé par les lignes directrices de plusieurs autres instances et ce dépistage à l’aide d’instruments comme l’Échelle de dépistage de la dépression postnatale d’Édimbourg (ou EPDS, pour Edinburgh Postnatal Depression Scale) ou les versions courte ou longue du Questionnaire sur la santé du patient (Patient Health Questionnaire, PHQ-2 ou PHQ-9) a encore cours dans plusieurs régions au Canada1. Une récente revue systématique et méta-analyse des données individuelles de patients dans le but de vérifier l’efficacité de l’EPDS à détecter la dépression a mis au jour 121 études réalisées dans le monde pour comparer l’EPDS à une simple entrevue diagnostique2. En fait, on déplore le manque d’études ayant vérifié l’efficacité ou la nocivité d’un tel dépistage.
Selon les principes consolidés en faveur du dépistage, les tests ou les programmes à cette fin doivent répondre à des critères relatifs à 3 domaines, soit la maladie, le test et le système3. La maladie à dépister doit être répandue, le test doit être validé et les étapes qui suivent le dépistage en vue d’un diagnostic définitif et la prestation de soins appropriés doivent être claires et s’appuyer sur une infrastructure adéquate pour donner suite au dépistage. Tout programme de dépistage doit être acceptable sur le plan éthique, avoir un bon rapport coût : efficacité et être expressément planifié, suivi et évalué, comptes rendus à l’appui3.
Quelle qu’en soit la gravité, la dépression périnatale est relativement fréquente et varie selon les populations4. Les auteurs de la ligne directrice expliquent en détail les graves conséquences potentielles d’une dépression périnatale non soignée, tant pour la personne qui est ou a été enceinte que pour l’enfant, selon de bonnes études observationnelles1. Les instruments de dépistage d’usage courant sont raisonnablement efficaces pour détecter ou écarter un diagnostic de dépression2. Toutefois, la revue systématique sur laquelle repose la nouvelle ligne directrice a clairement indiqué que l’effet du dépistage de routine de la dépression périnatale sur certains paramètres importants est mal compris; de plus, on ignore quels sont les préjudices associés au dépistage de routine et son rapport coût:efficacité1. Plus important encore, le dépistage de routine de la dépression périnatale au Canada ne s’appuie sur aucune infrastructure particulière qui faciliterait la prestation de traitements fondés sur des données probantes ou qui viendrait en aide aux personnes repérées lors du dépistage3. Tant qu’on ne disposera pas de meilleures données probantes et de meilleures infrastructures, une recommandation en faveur du dépistage semble injustifiable.
Les professionnels de soins primaires doivent pouvoir détecter, diagnostiquer et traiter sans tarder toute maladie raisonnablement fréquente qui, selon son histoire naturelle, est associée à une issue défavorable et évitable à l’aide de traitements fondés sur des données probantes. La dépression périnatale n’y fait pas exception. À cette fin, les professionnels devraient en connaître les facteurs de risque connus et les symptômes typiques et procéder d’emblée à un interrogatoire ciblé. Selon de bonnes données observationnelles, les personnes qui ont des antécédents de problème de santé mentale, qui sont victimes de violence interpersonnelle, qui vivent un stress important ou des épreuves majeures ou encore qui sont socioéconomiquement défavorisées sont exposées à un risque accru de dépression périnatale4. Certaines études ont aussi recensé comme facteurs de risque un piètre réseau social, l’identité autochtone, le statut d’immigrant récent, un précédent accouchement traumatisant et un très jeune âge4–6.
C’est là où nous nous heurtons à des difficultés. En effet, certains de ces facteurs de risque de dépression périnatale sont aussi associés à des obstacles à l’accès aux soins primaires et au suivi prénatal de routine. Dans un Canada idéal, toutes les personnes enceintes devraient être suivies par un médecin avec qui elles ont établi un rapport, un professionnel qui connaît suffisamment bien leurs antécédents pour pouvoir déceler les signes révélateurs et poser des questions appropriées sur l’humeur et les conditions de vie, ce qui fait partie des meilleures pratiques recommandées par les auteurs de la nouvelle ligne directrice. Toutefois, pour bien des personnes qui deviennent enceintes, on est loin de cet idéal, surtout pour celles qui présentent les facteurs de risque susmentionnés. Même si le dépistage de la population entière au moyen d’instruments ne se fonde pas sur des données probantes ou n’est pas justifié, les outils de dépistage peuvent être utiles pour aider les médecins à repérer des cas dans certaines circonstances. Par exemple, rédigé en anglais, l’EPDS7 a été traduit en de nombreuses langues et a été validé pour les locuteurs de ces langues; l’utilisation d’un outil traduit peut servir comme entrée en matière pour interroger les patients ou patientes au sujet de leur humeur si la barrière linguistique pose problème.
Cocher les cases d’un questionnaire ne constitue pas réellement une « intervention » de la part des médecins ou du système de santé. Comme les auteurs de la nouvelle ligne directrice le soulignent, laisser le dépistage de côté ne signifie pas que les médecins de soins primaires doivent s’abstenir d’interroger leurs patients ou patientes au sujet de leur santé mentale pour détecter les cas de dépression qu’ils peuvent traiter. Ils doivent poser des questions et garder à l’esprit que les cas susceptibles de se manifester pourraient être les plus difficiles à détecter. Pour aider les médecins à bien faire leur travail, les systèmes de santé devront améliorer l’accès aux soins primaires, aux ressources en santé mentale et aux services sociaux qui peuvent améliorer les soins en cas de problèmes de santé mentale en période périnatale.
Footnotes
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