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L'automne dernier, l'inhibiteur sélectif de la COX-2, le rofécoxib (Vioxx), un médicament à succès très répandu sur le marché et présentant un faible risque de saignements gastro-intestinaux, était retiré en raison de risques accrus de cardiopathies et d'accidents vasculaires cérébraux1. Le médicament avait été approuvé à l'origine par la FDA (et par Santé Canada) en 1999, malgré l'existence de données émanant des toutes premières études cliniques qui démontraient un risque accru mais non statistiquement significatif d'incidents cardiovasculaires, et malgré la possibilité élevée d'incidents cardiovasculaires associée à tout médicament agissant sur l'enzyme cyclo-oxygénase-2 (COX-2) de régulation de la prostacycline — puissant vasodilatateur et inhibiteur de l'agrégation plaquettaire.
Pourquoi a-t-il fallu quatre ans pour que le risque accru d'incidents cardiovasculaires graves fasse surface? Il est maintenant devenu clair que la FDA (et, implicitement, Santé Canada) connaissaient le risque accru d'incidents cardiovasculaires graves longtemps avant le retrait de ce médicament du marché. Des preuves sous forme de courriels démontrent aussi que le fabricant a tenté de minimiser l'importance du risque dans ses documents de promotion destinés aux médecins. Suite à ces révélations, la valeur marchande de Merck a chuté de 28 milliards de dollars et une multitude de poursuites juridiques ont été lancées.
Rien ne justifiait pourtant d'accélérer l'approbation d'un nouvel inhibiteur de la COX-2 — que tout le monde voulait par ailleurs essayer — puisque le célécoxib avait déjà été approuvé. En outre, si le risque s'avérait, il serait amplifié par l'utilisation généralisée du médicament, ce dont les instances réglementaires n'ont pas tenu compte.
La FDA et Santé Canada ont tous deux choisi de consacrer leurs efforts et leurs ressources à l'évaluation des avantages des médicaments et non de leurs préjudices. La barre à franchir pour recevoir l'approbation n'est guère élevée : il suffit de prouver que la substance est plus efficace qu'un placebo. Les études cliniques d'approbation pré-marketing sont de trop petite envergure pour dégager tous les risques d'un médicament. Le processus favorise l'approbation des médicaments sans en assurer adéquatement la sécurité, et son seul mécanisme de surveillance post-approbation, par ailleurs fragmentaire et sous-financé, s'appuie sur les rapports que font les médecins d'événements indésirables isolés — autant de failles graves et souvent mêmes mortelles. Il aurait suffi d'une simple méta-analyse cumulative des études post-approbation en cours du rofécoxib pour mettre à jour, dès décembre 2000, soit quatre ans avant le retrait du médicament, le risque trop élevé et statistiquement significatif d'incidents cardiovasculaires associés à ce médicament2.
Les médecins et les patients savent qu'aucun médicament n'est entièrement sans danger. Les médecins, pour leur part, prennent davantage conscience de la différence entre le risque relatif et le risque absolu, surtout une fois que les médicaments ont quitté le milieu contrôlé des études randomisées pour entrer dans la «jungle» de la pratique clinique3. Les taux d'avantages et risques relatifs résultant des études peuvent changer, mais les taux d'avantages et risques absolus changeront : les patients rencontrés dans la pratique sont plus vieux et plus malades que ceux qui se prêtent aux études cliniques. Les médecins et les patients ont besoin de mesures précises de la fréquence des effets indésirables.
Un système actif de surveillance des effets indésirables graves aurait sonné l'alarme beaucoup plus tôt. La FDA et Santé Canada ont tous deux tristement failli à l'exécution de cet élément important de leur mandat public. L'importance accordée ces jours-ci aux partenariats avec l'industrie et à l'approbation rapide est contraire aux attentes de la population qui croient que ces agences existent pour les protéger n'approuvant que des médicaments dûment mis à l'essai et jugés sans risque grave. Or, lorsque l'utilisation d'un médicament devient très répandue, les préjudices peuvent commencer à l'emporter sur les avantages, et il serait temps que les agences réglementaires remettent de l'ordre dans leurs priorités. Mais en sont-elles capables?
Les coûts et les difficultés de la surveillance post- marketing ne sont pas négligeables, et il faut de grandes populations de patients pour détecter des effets indésirables rares (mais importants). Il faut néanmoins trouver une façon raisonnable d'y parvenir, par exemple celle qu'ont proposé récemment Laupacis et ses collaborateurs : obtenir des données de suivi post-marketing à l'aide des banques de données provinciales et des programmes provinciaux d'assurance-médicaments4.
La FDA et Santé Canada ont démontré leur incapacité structurelle à faire le suivi nécessaire pour assurer la sécurité des nouveaux médicaments et instruments médicaux, et trop de conflits règnent dans l'industrie pour permettre à celle-ci de se livrer à cette fonction importante. Nous avons besoin de nouvelles agences nationales capables d'assurer le contrôle de la sécurité des médicaments indépendamment du processus d'approbation. C'est alors seulement que les médecins et les patients pourront être certains d'avoir une évaluation sans parti pris de la sécurité des médicaments qu'ils et elles prescrivent et prennent. — JAMC