Même si les stratèges et les analystes font de gros efforts pour faire comprendre à la population l'algèbre complexe de la réforme des soins de santé, chaque manchette publiée fait bien voir que le calcul des compressions est au contraire très simple. On promet aux hôpitaux de l'Ontario un renflouement de 200 millions de dollars. Les travailleurs de la santé de la Colombie-Britannique se font dire qu'il n'y a pas plus d'argent, qu'ils fassent ou non une grève illégale. Des médecins mécontents plient bagages pour aller gagner un meilleur salaire au Sud — ou en Alberta. Même s'il est question d'efficacité des coûts, de rationalisation et de faire plus avec moins, il est tout simplement impossible de persuader les Canadiens, qui vivent dans l'ombre du système de santé le plus luxueux au monde (luxueux, du moins pour les 70 % de la population américaine qui peuvent se payer l'assurance-maladie), de se contenter d'être le 13e pays au monde pour les dépenses en soins de santé par habitant. Les écarts entre les États-Unis et le Canada en matière de technologie, de matériel, de périodes d'attente et de relations de travail sont trop flagrants.
Le gouvernement fédéral se débat avec l'assurance-maladie depuis l'apparition mort-née de ses propositions heureuses mais impossibles à financer qui portaient sur un régime national d'assurance-médicaments et de soins à domicile1. Tout signe de plaidoyer auprès des provinces rend cependant la plupart d'entre elles encore moins enclines à collaborer. Les provinces qui ont de l'argent — ou, comme le Québec, un grief idéologique — se méfient des régimes proposés par le fédéral qui les forceront à dépenser. Les autres, plus pauvres et à l'affût du moindre argent, chantent toujours en chœur les bienfaits de la Loi canadienne sur la santé.
M. Romanow peut-il régler ce problème surtout politique? Nous l'espérons, car ce sont les médecins qui sont obligés de se débrouiller dans le fouillis actuel des soins de santé : ils sont forcés de rationaliser les services par les listes d'attente ou simplement en disant aux patients que le meilleur traitement possible n'est tout simplement pas disponible.
Pendant que le système public s'effondre, les coûts privés des soins de santé augmentent. Le PDG de Nortel, dont le revenu a apparemment atteint quelque 100 millions de dollars l'an dernier, ne s'en apercevra pas. Les 30 000 anciens employés de Nortel qui ont été licenciés et le Canadien moyen qui gagne seulement 34 426 $ s'en ressentiront toutefois. Les nouveaux médecins aussi : dans un contexte de récession économique, les salaires des travailleurs de la santé sont des dépenses faciles à contrôler. Les médecins risquent cependant d'être découragés davantage par la perspective d'avoir à dispenser un service de moindre qualité que par la médiocrité de la rémunération.
La tâche ne sera pas facile pour M. Romanow. Incapable de compter sur une grande collaboration fédérale– provinciale, il devra faire face à l'insatisfaction des travailleurs de la santé dans des couloirs d'hôpitaux minables et à celle des patients pour lesquels les listes d'attente s'allongent sans cesse. Cependant, il y trouvera également des gens sensés qui savent qu'il ne faut pas essayer de suivre les États-Unis — pourquoi s'en aller dans la mauvaise direction? — mais qu'il nous faut un financement stable et prévisible des soins de santé, ainsi que des réformes des soins de santé primaires qui encouragent une utilisation judicieuse des ressources et une plus grande collaboration entre les professions de la santé. Maintenant que les banques s'aperçoivent qu'une carrière en médecine n'est pas aussi sûre que par le passé2, M. Romanow pourrait recommender un appui suffisant envers l'éducation publique afin d'assurer que ce ne soient pas uniquement les enfants des riches qui puissent envisager une carrière en médecine. — JAMC