Podcast: Lignes directrices : dépistage de la dysfonction thyroïdienne chez les adultes sans symptômes
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Roland Grad: Les cliniciens doivent rester attentifs aux dysfonctions thyroïdiennes. Mais est-ce nécessaire de faire un dépistage chez tous les patients, même ceux sans symptômes? Mon nom est Roland Grad. Je suis médecin de famille et professeur agrégé de médecine de famille à l'université McGill. Le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs, un groupe dont je suis membre, vient de publier de nouvelles lignes directrices dans le Journal de l'Association médicale canadienne. Je vais discuter aujourd'hui avec Dre Guylaine Thériault au sujet des nouvelles lignes directrices sur le dépistage de la dysfonction de la glande thyroïde. Guylaine Thériault est médecin de famille coresponsable pour les soins primaires Choisir avec soins Canada. Et, en plus de ses fonctions cliniques, Dre Thériault enseigne la médecine fondée sur les données probantes et la prise de décision, des fois avec moi-même à McGill University. Bonjour Guylaine.
Guylaine Thériault: Bonjour Roland.
Roland Grad: Quelles sont les recommandations dans ces nouvelles lignes directrices?
Guylaine Thériault: En fait, le Groupe d'étude canadien ne recommande pas le dépistage de la dysfonction thyroïdienne chez les adultes. En deux mots, c'est la recommandation. Et on va expliquer dans les autres questions auxquelles on va répondre aujourd'hui pourquoi il en est ainsi. En fait, parce qu'il y a la possibilité de surdiagnostic, de sur traitement à cause du fardeau qu'on peut imposer avec nos investigations, puis aussi parce que vraiment la base factuelle est très faible.
Roland Grad: Et est-ce que cette recommandation s'applique à tout le monde?
Guylaine Thériault: En fait, cette recommandation s'applique aux adultes et ne s'applique pas pour les femmes enceintes. Alors les personnes en haut de 18 ans qui ne sont pas enceintes, cette recommandation-là s'applique à elles. Et seulement juste pour préciser, bien que c'est probablement clair pour plusieurs personnes, mais comme on parle de dépistage, on parle ici de personnes asymptomatiques. S'il y a des symptômes, on n'est plus dans le dépistage. Cette ligne directrice ne couvre pas l'investigation de problèmes quelconques pour le patient. Aussi, ça ne couvre pas les gens qui auraient des facteurs de risque spécifiques. Je peux donner quelques exemples. Par exemple, la prise de certains médicaments, comme le lithium, l'amiodarone ou encore des antécédents. Si un patient a eu de la radiothérapie au niveau du cou ou une chirurgie de la thyroïde ou d'autres sorte de maladies qui sont en lien avec des maladies auto-immunes comme la maladie d'Addison. Ça, ce n'est pas couvert par cette ligne directrice. Donc vraiment, ce sont les adultes de 18 et plus qui ne sont pas enceintes, qui sont asymptomatiques, sans facteur de risque, on ne recommande pas le dépistage chez ces gens-là.
Roland Grad: Mais quand on parle d'une dysfonction thyroïdienne, qu'est-ce que c'est précisément?
Guylaine Thériault: Oui. Effectivement, il faut préciser que dans cette ligne directrice là, on parle autant de l'hypothyroïdie que de l'hyperthyroïdie. Donc on le sait, quand la TSH s'abaisse on parle d’une hyperthyroïdie. Si elle s'élève, on parle d'une hypothyroïdie. Donc cette ligne directrice là s'adresse à ces deux phénomènes-là. Que ça soit les causes communes de l'hypothyroïdie comme des maladies auto-immunes ou un effet secondaire d'un traitement pour l'hyperthyroïdie ou que ça soit pour l'hyperthyroïdie, la maladie de Graves ou d'autres causes, c'est de ça que l'on parle. Donc on ne recommande pas de dépister pour l'hypothyroïdie ni pour l'hyperthyroïdie.
Roland Grad: Quelle est la fréquence des maladies de la glande thyroïde au Canada?
Guylaine Thériault: Quand même, c'est assez fréquent. À peu près un Canadien sur dix rapporte avoir un diagnostic de dysfonction thyroïdienne. Donc on peut dire que c'est quand même commun. Et on voit qu'il y a plus de femmes qui rapportent avoir un problème de thyroïde que d'hommes. On parle d'à peu près 16 % des femmes, 4 % des hommes. Et aussi, on voit avec l'âge, quand les gens vieillissent, quand on arrive en haut de 85 ans, il semble y avoir une prévalence qui est augmentée aussi, mais ça c'est sans tenir compte que souvent la TSH, c'est ce qu'on mesure dans le sang, augmente aussi normalement avec l'âge. Donc là, il y a un questionnement à avoir. Est-ce que c'est une augmentation réelle ou juste secondaire à l'âge.
Roland Grad: Donc pourquoi y aurait-il un besoin de cette ligne directrice?
Guylaine Thériault: En fait, on n'est pas capable de connaître exactement l'ampleur du phénomène, mais on a une bonne idée quand même que le dépistage de la dysfonction thyroïdienne, donc de demander une TSH, c'est une pratique qui est quand même pas mal répandue au Canada, et ce, dans les milieux de soins primaires. Et peut-être en partie, une des raisons pour ça, c'est qu'il n'y avait pas de lignes directrices claires. On sait qu'en 2015 aux États-Unis ils ont fait une recommandation, mais ils n'étaient pas capables de se positionner vraiment pour ou contre le dépistage. Donc ça laissait les praticiens un peu dans une zone grise sans vraiment d'aide pour orienter leur pratique. Donc du point de vue du Groupe d'étude, c'était important d'offrir une recommandation qui était claire aux praticiens de première ligne parce qu'il n'y a pas juste des avantages. Quand on parle de dépistage, les gens voient souvent les avantages, mais il y a aussi des dangers au dépistage. Ces dangers-là sont de plus en plus connus et mis en lumière. Ils doivent maintenant faire partie de la réflexion autour de n'importe quel dépistage, y compris celui de la dysfonction thyroïdienne.
Roland Grad: Quels sont les dangers du dépistage? N'est-il pas toujours peut-être plus avantageux de trouver un problème le plus tôt possible?
Guylaine Thériault: En fait, ça plaît à l'esprit de trouver un problème, le plus tôt on va pouvoir agir, on va pouvoir changer l'étude clinique. Mais faut-il encore qu'on soit capable de prouver que tel est le cas. Et quand on a regardé les données de la littérature sur le dépistage de la dysfonction thyroïdienne, On a très peu de données et encore moins de données de bonne qualité. Donc on n'arrive pas à clairement identifier des bénéfices à ce dépistage-là. Mais par exemple, dans n'importe quel test qu'on fait, incluant les dépistages, il y a la possibilité d'avoir ce qu'on appelle de faux positifs ou des surdiagnostics. Je sais que pour plusieurs c'est souvent confus ces deux termes-là, ça peut sembler similaire, mais c'est très différent. Mais le faux positif, c'est le résultat qui est un peu élevé, qu'on contrôle et qui revient normal. Donc même si ça peut paraître banal, c'est quand même un fardeau au niveau du temps laboratoire puis au niveau du patient aussi. Tandis que le surdiagnostic c'est quelque chose qui revient anormal et qu'on va traiter, mais si on n'avait pas fait de dépistage, cette personne-là n'aurait jamais eu de symptômes qui découlaient, jamais eu de conséquences de cette augmentation par exemple, légère de TSH. Donc ça c'est un surdiagnostic, et là, ça entraîne oui du fardeau pour le patient au niveau des investigations, des effets secondaires possibles du médicament même s'il n'y en a pas beaucoup, mais il faut le prendre. Alors ça devient un fardeau journalier de prendre un médicament. Donc ce n’est pas banal ces choses-là quand on met en contrepartie que les avantages... On ne trouve pas de données qui nous permettent de dire qu'il y aurait un avantage. En fait, il n'y a pas de données pour les avantages. Donc quand on prend une décision, il faut toujours mettre en relation ces deux choses-là. Donc ici c'est difficile parce que les bénéfices, même si on pourrait penser qu'ils sont possibles, on n'a pas de preuve qu'ils sont présents, mais les désavantages, eux le sont. Donc bénéfices zéro, puis dangers ce n'est pas zéro.
Roland Grad: Très intéressant, Guylaine. Merci beaucoup.
Guylaine Thériault: Ça m'a fait plaisir, Roland.
Roland Grad: J'ai discuté avec Dre Guylaine Thériault, une porte-parole des nouvelles lignes directrices pour le dépistage de la dysfonction de la glande thyroïde. Les lignes directrices sont publiées dans le journal de l'Association médicale canadienne. Vous pouvez trouver l'article au site www.cmaj.ca. Je suis Roland Grad. Merci d'avoir été à l'écoute.