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Presque tout le monde admet que le système de santé du Canada a besoin d'améliorations importantes. Mais en écoutant les débats sur les solutions proposées, il est frustrant de voir l'enjeu défini pour nous, inévitablement et exclusivement, comme une guerre entre le public et le privé.
Au lieu de prendre parti, nous, du JAMC, exigeons de savoir pourquoi chaque intervention sur la réforme des soins de santé doit inévitablement dégénérer en guerre idéologique. Nous soutenons que l'enjeu public–privé sert de distraction artificielle et intéressée et nuit au changement réel.
Les résultats des soins de santé qu'ils reçoivent préoccupent bien plus les Canadiens que les mécanismes de prestation des soins. Notre système comporte déjà des éléments publics et privés. On nous a amené à tort à croire que les solutions dépendent de la victoire d'une idéologie sur une autre. Or, c'est faux.
Nous devons reprendre le contrôle du débat sur les soins de santé et le réorienter vers les dimensions véritablement inacceptables du statu quo. Par exemple, pourquoi des millions de Canadiens n'ont-ils pas accès régulièrement à un fournisseur de soins primaires ou à des services de santé mentale adéquats? Pourquoi l'accès à des médicaments contre le cancer qui permettent de prolonger la vie dépend-il de la province de résidence des Canadiens? Voilà le genre de problème qui devrait préoccuper les promoteurs de la réforme des soins de santé. En revanche, même s'ils constituent un enjeu important pour bien des gens, les temps d'attente pour quelques interventions électives ne méritent pas d'être le seul point de convergence des ressources et de l'attention.
La solution commence par l'établissement de normes garantissant des soins de grande qualité dans tout un éventail d'interventions et de services de santé, ainsi que l'accès universel à tous les services essentiels fondés sur des données probantes. Compte tenu des investissements importants que cela exige, le système de santé doit rendre compte à la population des résultats qu'il produit.
Ces problèmes et leurs solutions ne sont intrinsèquement ni publics ni privés. Pourtant, les défenseurs des deux points de vue maintiennent activement la perception selon laquelle il existe un conflit irréconciliable entre les soins de santé publics et privés, parce que cela sert leurs intérêts. Les promoteurs des soins de santé privés affirment jouer le rôle des héros du système de santé du Canada et ceux du système public jouent celui des défenseurs irréductibles d'une valeur canadienne. Ces rôles donnent aux politiciens un programme électoral fiable et permettent aux entrepreneurs médicaux de profiter du débat en écrémant le système et en fournissant des services cliniques à fort volume et faciles à normaliser, comme des arthroplasties et des services d'imagerie par résonance magnétique. Ce faisant, ils esquivent l'obligation d'énoncer une vision convaincante de la façon dont le système de santé dans son ensemble bénéficiera de l'intervention du secteur privé. Le maintien du débat libère les deux camps de l'obligation de trouver de véritables solutions. Que les intervenants appuient la prestation par le secteur privé de certains services cliniques, comme le fait le nouveau président de l'AMC, Brian Day, ou qu'ils s'y opposent, comme la Coalition canadienne de la santé, il en résulte une diversion calculée qui dirige les projecteurs vers l'idéologie plutôt que vers les résultats.
Les intervenants du secteur de la santé, y compris le grand public, ne devraient plus accepter d'être entraînés dans un débat sans issue. Nous devrions plutôt garder les promoteurs de la santé publique et privée sur le qui-vive. Si l'on demande aux Canadiens d'appuyer un élargissement du rôle du secteur privé dans les soins de santé, il nous faudra entendre plus que des théories affirmant que la compétitivité et l'efficience du secteur privé sont la solution toute simple à nos problèmes complexes. Ailleurs, la participation accrue du secteur privé a inévitablement rendu le système plus complexe, accru les problèmes de répartition et de surveillance et fait augmenter les frais d'administration. Les promoteurs de la santé privée doivent expliquer comment on évitera de drainer du personnel de santé du secteur public vers le secteur privé face à un bassin de ressources humaines déjà limitées et insuffisantes — sans se délester de la responsabilité de ces problèmes sur le système public. Ils doivent aussi expliquer comment il se fait qu'un grand nombre des entreprises qui fournissent des services privés de soins enfreignent clairement la valeur fondamentale d'équité de la Loi canadienne sur la santé.
De même, si le Canada doit continuer d'exclure les modèles de prestation par le secteur privé, il doit le faire parce que le système public fournit de meilleurs soins à plus de gens tout en étant plus rentable, et non parce qu'on nous a conditionnés à craindre que toute circonstance dans laquelle on permet de conjuguer l'expression «privé» et «soins de santé» nous transforme sur-le-champ en un pays comme les États-Unis.
Nous comptons sur nos dirigeants, tant au fédéral qu'au provincial, pour qu'ils établissent des normes nationales pour un vaste éventail de besoins importants en soins de santé et en assurent l'application. Des politiciens fédéraux courageux pourraient utiliser leur influence budgétaire pour relever notre système de santé — qui compte en réalité 14 vitesses — à la hauteur de ces normes. Nous devons investir beaucoup plus dans les soins de santé et, en contrepartie d'un financement accru, il faut rendre compte beaucoup plus à la population des résultats du système de santé. Il y a un moyen de pénaliser les politiciens beaux parleurs qui parlent de l'interface entre le public et le privé sans réussir à instaurer des changements réels : nous pouvons leur refuser le privilège de nous gouverner. Si nous voulons vraiment nous en donner la peine, nous pouvons contrôler le débat.