Tout le monde comprend que les cibles des attentats terroristes perpétrés à Washington et à New York le 11 septembre étaient à la fois réelles et symboliques. Cette frappe visait non seulement l'épicentre financier du monde et le cœur militaire des États-Unis, mais aussi tout ce que représentent ces monuments à la prospérité et au pouvoir. Il ne pouvait y avoir plus réelle que cette autre cible des terroristes : les civils — des milliers de victimes et des milliers d'autres personnes en deuil. Une frappe terroriste contre des civils a néanmoins un symbolisme dévastateur, car elle ébranle notre sentiment de liberté personnelle, de sécurité et de paix. Cet impact est tellement puissant et se réverbère tellement fort que d'autres pays se sont ralliés aux États-Unis pour se déclarer eux-mêmes attaqués implicitement.
Au cours des premières journées d'outrage et de chagrin, toute mention de «motifs» politiques à l'origine de cet assassinat collectif offense beaucoup de gens. Peu de commentateurs ont osé formuler des réflexions sur l'échec chronique de la diplomatie au Moyen-Orient, ni sur la façon dont le désespoir et dont la haine à l'endroit des États-Unis ont pu atteindre un zénith aussi catastrophique. Lorsqu'elle n'est rien d'autre, la politique peut au moins soulever des discussions chez les mages et les négociateurs et il est possible d'espérer dans tout ce contexte de pourparlers que les pays évolueront lentement vers une certaine compréhension. La terreur met toutefois fin aux discussions.
L'extrémisme, c'est la pathologie sociale qui définit l'ère moderne. Le fanatisme politique et culturel de notre époque, qui a de nombreux visages, est à l'origine du génocide, de l'oppression et de la disparition de l'histoire. Il est à l'origine d'actes barbares aussi divers par leur caractère insensé et leur énormité que le passage des Juifs à la chambre à gaz, le massacre des Rwandais, l'asservissement des femmes, la conscription des enfants par les forces armées, l'assassinat de médecins et la destruction d'antiquités. Chaque génération relance, sous ses manifestations chroniques, l'extrémisme qui s'enracine dans le cœur et l'esprit de fillettes irlandaises qui subissent les cailloux et les injures sur le chemin de l'école et celui des jeunes garçons palestiniens qui dansent dans la rue pendant que «l'Amérique brûle». Ces enfants de différentes régions du monde ont quelque chose d'essentiel en commun : ils sont initiés très tôt à la haine.
L'ennemi qui «se tapit dans l'ombre», c'est plus qu'une cellule terroriste ou l'autre. C'est plus qu'un régime hostile ou l'autre. Avec tout le respect que nous devons au président Bush, ce n'est pas «un ennemi différent de ceux que nous avons toujours connus». Parler du bien et du mal ultimes, c'est nous préparer à sombrer dans notre propre extrémisme réductionniste. L'ennemi, c'est en fin de compte la tendance humaine à laisser détourner la raison et à laisser aussi la conviction prendre des dimensions pathologiques. C'est un ennemi ancré dans notre psyché, que nous ne réussirons jamais à éradiquer. Nous pouvons seulement chercher à le contenir en assurant les conditions préalables à la paix, qui comprennent la santé et l'éducation, la compréhension de l'histoire et des aspirations humaines et l'équilibre mondial du pouvoir et de la prospérité.
Au cours de la matinée du 12 septembre, on parlait, au sujet des événements survenus à New York et à Washington, non plus d'«actes de terrorisme» mais d'«actes de guerre». Ce sont des mots qu'on a choisis pour préparer le terrain afin de relâcher la maÎtrise de soi. Pendant que l'OTAN délibérait, les membres de notre personnel des publications se réunissaient pour réfléchir sur les répercussions de ces événements, penser aux employés de bureau et aux secouristes qui ont péri, ainsi qu'aux membres de leur famille et à ceux qui cherchaient des survivants et travaillaient dans les services d'urgence. Au moment où nous voyons le faucon de la violence «tournant, tournant dans la gyre toujours plus large»1, nous attendons le prochain battement d'ailes mortel en nous demandant quelle anarchie nouvelle se déchaÎne sur le monde. — JAMC 12 septembre 2001.
Référence
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