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Au cours d'une récente conférence sur l'éducation continue à laquelle ont participé de nombreux intervenants américains de premier plan et le JAMC, les participants ont convenu que notre système actuel de perfectionnement professionnel continu aurait vivement besoin d'une refonte majeure. À l'heure actuelle, les activités d'éducation médicale continue sont le plus souvent parrainées par une industrie pharmaceutique qui a intérêt à promouvoir ses produits. Et il s'agit d'un secteur d'affaires considérable : des 2,6 milliards de dollars que l'on a consacrés aux États-Unis aux activités accréditées d'éducation médicale continue en 2006, 1,45 milliard (60 %) provenait de fabricants de produits pharmaceutiques et d'instruments médicaux1. On ne dispose pas de données fiables sur la question au Canada, mais rien ne prouve que la situation soit très différente chez nous.
L'IMS, société privée spécialisée dans le renseignement pharmaceutique, signale qu'en 2004, l'industrie pharmaceutique a dépensé à l'échelle mondiale 27,7 milliards de dollars US en promotion et 29,6 milliards en recherche-développement2.
Certains soutiendront que les médecins obtiennent leur éducation professionnelle continue à bon prix et se demanderont quel est le problème.
Tout d'abord, les données indiquent que l'éducation parrainée par l'industrie pharmaceutique biaise souvent le choix des sujets, embellit les aspects positifs des études3 et minimise les effets indésirables. L'industrie se concentre en fait principalement sur les traitements et les questions connexes, aux dépens du tableau thérapeutique d'ensemble, y compris la qualité des soins et la sécurité des patients n'ayant pas trait aux médicaments, les déterminants de la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, et les autres modes de traitement4.
Deuxièmement, il est évident que l'activité actuelle d'éducation continue compromet les piliers éthiques et la réputation de la profession médicale. On considère que les médecins sont dans le camp de l'industrie pharmaceutique et alignés sur ses priorités commerciales. Nous semblons avoir oublié commodément que l'industrie pharmaceutique existe pour enregistrer des bénéfices et non pour former les professionnels de la santé.
Il y a aussi la question de savoir si le type d'éducation qu'offre l'industrie pharmaceutique donne vraiment des résultats. Beaucoup de ces événements lourdement subventionnés sont basés sur les conférences et insistent sur le décompte des heures de crédit plutôt que sur la mesure de l'amélioration des connaissances, de la compétence, du rendement et, plus important encore, des résultats cliniques. Des techniques d'apprentissage comme la formation continue en milieu universitaire, les petits ateliers et les commentaires issus de vérifications ont démontré qu'elles avaient un impact plus important5, mais on les offre moins souvent.
Enfin, le système actuel est concentré sur les médecins plutôt que sur les équipes interdisciplinaires. Or, il est essentiel d'adopter une perspective d'équipe si nous voulons améliorer la qualité des soins plutôt que les parts de marché1.
Des appels répétés au changement ont produit des progrès limités. La campagne «Rien de gratuit» et d'autres initiatives ont fait mieux connaître le soutien direct des activités d'enseignement clinique par l'industrie pharmaceutique. Au Canada et aux États-Unis, les entreprises de recherche pharmaceutique ont adopté des codes de conduite d'application volontaire conçus pour décourager ou interdire les cadeaux très coûteux6. Des universités et des services d'enseignement ont interdit le financement direct d'activités d'éducation continue comme les séances techniques et ont interdit aux sociétés pharmaceutiques de choisir les sujets et les conférenciers. Dans presque toutes les conférences, il faut maintenant divulguer entièrement les conflits d'intérêts des conférenciers. Certaines organisations sont aussi intervenues. Par exemple, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a lancé des programmes de maintien du certificat et de développement professionnel qui encouragent un vaste éventail d'activités d'apprentissage.
Il reste cependant que l'industrie pharmaceutique demeure la locomotive de l'éducation médicale continue. Il est clair que la responsabilité en incombe en partie aux médecins eux-mêmes. Au fil des ans, les incitatifs pharmaceutiques puissants ont amené les médecins à croire qu'une solide participation de l'industrie non seulement est normale, mais aussi qu'ils ont le droit d'en profiter. Cette culture de la chose due peut constituer un des obstacles les plus difficiles à surmonter.
Pour assainir la situation, il faut enlever aux médecins ce sentiment du «droit de recevoir» et adopter une approche axée davantage sur les principes. La seule solution consiste à prendre la maîtrise du système et à le réinventer. Le plus important, étant donné que la prestation d'une éducation continue efficace est reliée à la qualité des soins et à la sécurité des patients, c'est que l'éducation continue doit viser à améliorer les connaissances cliniques, les connaissances techniques et les attitudes de façon à améliorer les résultats cliniques et la qualité des soins par l'amélioration de la performance des praticiens. Les activités d'éducation continue doivent en outre produire de l'information exacte libre de toute partialité réelle ou perçue. Elles doivent porter sur des thèmes et des sujets reliés aux besoins des patients ou des professionnels de la santé, utiliser davantage un vaste éventail de techniques éprouvées et efficaces d'apprentissage des adultes, inclure tous les professionnels de la santé et être abordables, accessibles et, dans la mesure du possible, intégrées à la pratique clinique. Enfin, toutes ces initiatives devraient être faciles à mettre en œuvre, à surveiller et à accréditer afin de maintenir la confiance du public. Nous pourrions même envisager d'afficher publiquement le dossier des activités d'éducation médicale continue de chaque médecin dans l'intérêt d'une transparence optimale.
L'adoption de ces principes obligera à transformer radicalement notre approche du financement. Bien des intervenants soutiendront qu'il faut interdire complètement les activités d'éducation médicale continue financées par l'industrie pharmaceutique. Mais peut-être pourrions-nous être mieux servis en alignant les investissements de l'industrie pharmaceutique dans l'éducation médicale continue de la même façon que ses investissements dans la recherche. On pourrait imaginer que l'Institut proposé de l'éducation continue en santé aurait un mandat à éléments multiples (Encadré 1).
Dans le contexte de cette stratégie, une partie des bénéfices tirés de chaque nouveau brevet serait versée à une organisation indépendante; les gouvernements et la profession médicale y ajouteraient du financement. L'organisation encadrerait la multitude de fournisseurs actuels d'éducation continue et donnerait une centrale, de la crédibilité et de l'uniformité à une de nos activités les plus importantes.
Le système actuel est inacceptable pour des professionnels de la santé autoréglementés. Le moment est venu de mettre fin à la «gratuité» dictée par l'industrie pharmaceutique et de confier notre système d'éducation médicale continue à des intervenants impartiaux et qualifiés et non à des entreprises qui s'intéressent avant tout à leur profit.
Pour concrétiser cette vision, nous demandons à l'Académie canadienne des sciences de la santé, peut-être avec la participation de l'Institute of Medicine des États-Unis, de lancer le dialogue entre tous les intervenants. Pour réparer un système vraiment lacunaire maintenu par notre culture du droit acquis, il faut commencer par lancer une discussion réfléchie.
Footnotes
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Avec l'équipe de rédaction de l'éditorial (Matthew B. Stanbrook MD PhD, Barbara Sibbald BJ, Ken Flegel MDCM MSc, Noni MacDonald MD MSc et Amir Attaran LLB DPhil)
Intérêts concurrents : Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml.