Voir la version anglaise de l’article ici: https://www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290
voir l’article connexe (en anglais) ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221020
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs déconseille le dépistage systématique de la dépression durant la grossesse et la période postnatale (jusqu’à 1 an après l’accouchement) au moyen de questionnaires (recommandation conditionnelle, données de très faible certitude).
Le dépistage repose sur l’utilisation d’un instrument, tel qu’un questionnaire, chez toutes les personnes dans un contexte particulier (p. ex., en milieu clinique), qu’elles présentent ou non des symptômes, et sur l’utilisation d’un score prédéfini pour déterminer quels cas nécessitent une évaluation plus approfondie.
Les données recensées par le groupe d’étude étaient très incertaines en ce qui concerne les bienfaits du dépistage par rapport aux soins cliniques habituels.
Cette recommandation présuppose que les soins habituels durant la grossesse et la période postnatale incluent une prise en compte minutieuse de l’état de santé mentale et du bien-être des personnes.
Messages clés pour le public
La dépression durant la grossesse ou la première année postnatale est un important problème de santé pour lequel il existe des traitements efficaces.
Il est très incertain que l’utilisation systématique d’un questionnaire de dépistage de la dépression à toutes les personnes dans un milieu clinique ou dans un autre contexte améliore les issues cliniques.
Dans le cadre des soins habituels, votre professionnel de la santé devrait s’informer de votre bien-être et pourrait aussi vous interroger sur de possibles symptômes de dépression.
Il est important d’aborder avec votre professionnel de la santé tout symptôme tel que tristesse, anhédonie (difficulté à ressentir le plaisir lors d’activités habituellement agréables), sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, fatigue ou manque d’énergie et troubles du sommeil inhabituels.
Si vous recevez un diagnostic de dépression, votre professionnel de la santé peut vous proposer diverses solutions en matière de soutien et au traitement.
La dépression durant la grossesse et la période postnatale peut avoir d’importantes répercussions sur la personne qui est ou a été enceinte et sur le nourrisson, de même que sur les interactions parent–nourrisson et les relations entre conjoints1. Les répercussions sur la personne qui est ou a été enceinte de l’enfant incluent une probabilité accrue de souffrir éventuellement d’anxiété ou de dépression, une baisse de la qualité de vie, une augmentation des comportements à risque (p. ex., tabagisme ou consommation d’alcool) et des idées suicidaires1. Les effets sur le nourrisson peuvent inclure des retards du développement physique et intellectuel, comme le développement cognitif et langagier, et des problèmes de santé infantiles généraux1. Les répercussions sur les interactions parent–nourrisson peuvent inclure une réduction de l’allaitement, et des troubles de l’attachement1,2.
Le diagnostic du trouble dépressif majeur repose sur la présence d’au moins 5 symptômes, dont l’humeur dépressive, l’anhédonie, un sentiment de détresse ou un dysfonctionnement significatif, presque tous les jours pendant au moins 2 semaines3. Les symptômes peuvent aussi inclure d’importants changements de poids ou d’appétit, l’insomnie ou l’hypersomnie, l’agitation ou le ralentissement psychomoteur, la fatigue ou une baisse d’énergie, des sentiments de dévalorisation ou de culpabilité, une diminution de la concentration ou l’indécision, des idées noires ou des pensées suicidaires3.
Une revue systématique de 2005 a estimé que la prévalence ponctuelle de la dépression majeure durant la grossesse et la période postnatale variait de 1 %–6 % à différentes étapes (entre le premier trimestre de grossesse et 1 an après l’accouchement) selon 2–6 études portant sur l’une ou l’autre des périodes évaluées (n = 111–2104 personnes)4. Un sondage national de 2008 mené aux États-Unis sur plus de 14 000 personnes âgées de 18–50 ans a fait état d’une prévalence de la dépression de 8 % sur une période de 12 mois chez les personnes enceintes et de 9 % durant la période post-partum, comparativement à 8 % chez les personnes non enceintes5.
Les soins cliniques habituels durant la grossesse et la période postnatale devraient inclure une discussion sur les antécédents en santé mentale et sur ses symptômes et son bien-être actuels6. En plus des soins cliniques habituels, le dépistage de la dépression repose sur l’utilisation d’un instrument de dépistage (le plus souvent un questionnaire ou une courte série de questions) comportant un score prédéfini chez toutes les personnes enceintes ou en période post-partum dans un contexte particulier, comme un milieu clinique7,8. Les personnes qui présentent un score égal ou supérieur à la valeur prédéfinie sont considérées comme « positives » et subissent alors une évaluation plus approfondie pour vérifier si elles présentent les critères diagnostiques de la dépression, tandis que celles qui ont un score inférieur à la valeur prédéfinie sont considérées comme « négatives » et ne sont pas soumises à une évaluation plus approfondie8,9. L’objectif du dépistage est d’identifier et d’aider les personnes chez qui, sans un protocole de dépistage, la maladie serait identifiée tardivement, ou passerait inaperçue.
Les instruments de dépistage de la dépression couramment utilisés chez les personnes enceintes et en période post-partum sont notamment le Questionnaire sur la santé du patient (PHQ, pour Patient Health Questionnaire) et l’Échelle de dépistage de la dépression postnatale d’Édimbourg (EPDS, pour Edinburgh Postnatal Depression Scale)8,10,11. Les questionnaires sur les symptômes de dépression peuvent aussi servir à d’autres fins que le dépistage, comme une évaluation diagnostique chez les personnes que l’on soupçonne souffrir de dépression, un suivi de traitement, ou la vérification du risque de rechute chez les personnes qui ont des antécédents de dépression7.
Nous faisons une importante distinction entre les questions d’un dépistage systématique et celles qui font partie des soins cliniques habituels selon la façon dont le professionnel entrevoit les étapes suivantes. Lors d’un dépistage systématique, toutes les personnes qui obtiennent le score prédéfini sont considérées comme « positives » et soumises à un examen plus approfondi au moyen d’approches diagnostiques. Par contre, évaluer l’état d’une personne après l’analyse de toutes les données accessibles au médecin fait partie des soins cliniques de routine et non d’un dépistage. Par exemple, si un professionnel de la santé posait à une personne des questions semblables à celles d’un instrument de dépistage, comme le PHQ (p. ex., « au cours des 2 dernières semaines, à quelle fréquence avez-vous ressenti de l’anhédonie, ou vous êtes-vous sentie triste, déprimée ou désespérée? »), puis qu’il utilisait son jugement clinique pour évaluer les réponses de la personne et d’autres données la concernant, cela ne serait pas considéré comme un dépistage. Il s’agit plutôt d’une approche flexible et personnalisée, comparativement à l’approche systématique et structurée du dépistage à l’aide d’un instrument comportant un score prédéfini. À l’inverse, si un médecin appliquait les questions du PHQ à toutes les personnes enceintes et en période post-partum dans sa pratique et qu’il devait appliquer des interventions prédéterminées sur la base des réponses obtenues, cela constituerait un dépistage. Et une fois que les médecins soupçonnent la dépression et commencent à l’évaluer de manière plus approfondie, ils s’engagent dans un processus diagnostique, qu’ils aient ou non utilisé un instrument formel de dépistage.
En 2013, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a déconseillé l’utilisation d’instruments de dépistage de la dépression chez les personnes en période périnatale ou post-partum12. Étant donné que l’utilisation d’un tel dépistage est variable au Canada, une recommandation à jour, fondée sur une revue des bienfaits et des préjudices du dépistage et tenant compte des préférences des personnes clarifiera la question pour les professionnels. Cette ligne directrice remplace la recommandation de 2013 concernant les personnes enceintes et en période post-partum.
Portée
Cette recommandation se veut un guide à l’intention des professionnels de la santé en soins primaires (p. ex., médecins, personnel infirmier, sages-femmes ou autres professionnels susceptibles d’agir comme premiers intervenants durant la grossesse ou la période postnatale), des responsables des orientations politiques et des personnes concernées par le dépistage de la dépression (défini plus haut) chez les personnes durant la grossesse et jusqu’à 1 an après l’accouchement13. La portée de cette recommandation s’étend aussi aux personnes qui pourraient être exposées à un risque élevé de dépression (p. ex., traumatisme durant l’enfance, antécédents familiaux de dépression14). Cette recommandation ne s’applique pas aux personnes qui ont des antécédents personnels ou un diagnostic de dépression ou d’un autre problème de santé mentale, à celles qui sont actuellement évaluées ou traitées pour un problème de santé mentale, à celles qui sont soignées en psychiatrie ou dans un autre contexte en santé mentale, ni à celles qui demandent à être vues pour des symptômes de dépression.
Cette recommandation ne s’applique pas aux soins habituels, dans le cadre desquels le professionnel de la santé pose des questions au sujet de l’état de santé mentale d’une personne et, après discussion, procède selon son jugement clinique; elle ne s’applique pas non plus aux approches diagnostiques dans le cadre desquelles le médecin soupçonne une personne de souffrir de dépression et procède aux tests appropriés. Cette ligne directrice ne concerne pas le traitement de la dépression.
Recommandation
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs déconseille l’utilisation systématique d’instruments de dépistage de la dépression utilisant un score prédéfini pour distinguer les cas « positifs » des cas « négatifs » chez toutes les personnes enceintes et en période post-partum (jusqu’à 1 an après l’accouchement) (recommandation conditionnelle, données de très faible certitude).
Cette recommandation présuppose que les soins habituels durant la grossesse et la période postnatale incluent une attention minutieuse à la santé mentale et au bien-être des personnes.
La classification des recommandations est décrite dans l’encadré 1. Un sommaire de la recommandation est présenté dans l’encadré 2.
Classification des recommandations
Les recommandations sont classifiées selon le système GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation system)15. Qu’une recommandation soit forte ou conditionnelle dépend de facteurs tels que la certitude des effets d’une intervention, y compris leur ampleur, de même que des estimations de la façon dont les patients évaluent et priorisent les résultats, de la variabilité de ces estimations et d’une utilisation judicieuse des ressources.
Fortes recommandations
Les fortes recommandations sont celles à propos desquelles le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs considère que les effets escomptés d’une intervention en surpassent les conséquences indésirables (forte recommandation à l’appui de l’intervention) ou que les conséquences indésirables d’une intervention en surpassent les effets escomptés (forte recommandation à l’encontre de l’intervention). Une forte recommandation suppose que la plupart des individus seront mieux servis par la mesure recommandée.
Les fortes recommandations se fondent normalement sur des données probantes de grande qualité (c.-à-d., grande fiabilité de l’effet estimé d’une intervention). Les fortes recommandations peuvent préconiser une intervention (degré de confiance élevé quant aux bienfaits escomptés) ou la déconseiller (degré de confiance élevé quant à la probabilité de préjudices). Toutefois, il y a des circonstances où les fortes recommandations peuvent être envisagées en fonction de données probantes de faible ou de très faible certitude ou en l’absence de données probantes16.
En l’absence de données appuyant les bénéfices d’une nouvelle intervention préventive ou si pour conclure à ses possibles bénéfices il faut un fort degré de spéculation quant aux liens entre des données incertaines, et en présence d’une certitude élevée quant à des préjudices possibles pour certains patients ou quant à une utilisation indue de ressources précieuses, le groupe d’étude pourrait formuler une forte recommandation à l’encontre du déploiement de ladite intervention17. Cela concorde avec l’approche GRADE, selon laquelle de fortes recommandations sont parfois formulées à partir de données de faible certitude alliées à une certitude élevée concernant les préjudices ou l’utilisation des ressources, et en tenant compte de la valeur que le groupe d’étude accorde à l’utilisation judicieuse des ressources en soins primaires17.
Recommandations conditionnelles
Les recommandations conditionnelles sont celles à propos desquelles les effets escomptés surpassent probablement les effets indésirables (recommandation conditionnelle à l’appui d’une intervention) ou les effets indésirables surpassent probablement les effets escomptés (recommandation conditionnelle à l’encontre d’une intervention), mais une incertitude marquée existe. Les recommandations conditionnelles sont formulées lorsque la fiabilité des données probantes est plus faible, lorsque la frontière entre effets escomptés et effets non escomptés est mince et lorsque le rapport dépend des valeurs et préférences des patients, ou lorsqu’il y a une forte variabilité entre les valeurs et les préférences des patients. Les cas où le rapport coût-bénéfice est ambigu, où les parties prenantes clés ne s’entendent pas sur l’acceptabilité ou la faisabilité de l’intervention, et où l’effet sur l’équité en matière de santé est indéterminé, conduiront probablement à une recommandation conditionnelle.
Dans certains cas où on formule une recommandation conditionnelle concernant une intervention, les médecins sont encouragés à impliquer leurs patients dans un processus de prise de décision partagée, à reconnaître que différents choix seront appropriés selon les patients et à aider chacun d’entre eux à prendre une décision relative à une intervention qui est en accord avec les valeurs et les préférences de celui-ci. Les recommandations conditionnelles fondées sur les valeurs et préférences des patients exigent des médecins qu’ils reconnaissent que différents choix peuvent être appropriés selon les patients et que ces décisions doivent concorder avec les valeurs et préférences de ces derniers. Des outils d’application des connaissances sont disponibles sur le site Web du groupe d’étude (www.canadiantaskforce.ca/?lang=fr) pour promouvoir une prise de décision fondée sur des données probantes et en accord avec les priorités des individus.
Les données probantes sont jugées de fiabilité élevée, modérée, faible ou très faible, selon la probabilité que des recherches plus approfondies modifient le degré de confiance du groupe d’étude à l’endroit de l’effet escompté de l’intervention.
Sommaire de la recommandation pour les médecins et les responsables des orientations politiques
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs déconseille l’utilisation systématique d’instruments de dépistage de la dépression comportant des scores prédéfinis pour distinguer les cas « positifs » des cas « négatifs » chez toutes les personnes enceintes et en période post-partum (jusqu’à 1 an après l’accouchement) (recommandation conditionnelle, données de très faible certitude).
Cette recommandation ne s’applique pas aux personnes enceintes ou en période postnatale qui ont des antécédents personnels de dépression ou qui sont actuellement en évaluation ou sous traitement pour d’autres problèmes de santé mentale.
Cette recommandation fait référence à un processus par lequel les professionnels en soins primaires utilisent un instrument de dépistage, comme un questionnaire, avec chaque personne qui ne mentionne pas de symptômes de dépression et un score prédéfini pour établir les cas « positifs » ou « négatifs ». Lorsqu’ils suivent des personnes enceintes ou en période post-partum, les médecins doivent continuer de s’informer de l’humeur ou d’autres symptômes de dépression, rester à l’affût des signes et symptômes de dépression et procéder aux examens qui s’imposent.
Nous avons trouvé un seul essai randomisé et contrôlé (ERC) sur le dépistage systématique de la dépression chez les personnes en période post-partum (désignées par les termes « mères » ou « femmes » dans l’étude) à Hong Kong (n = 462)18,19. Les participantes ont été affectées aléatoirement à un groupe soumis à un dépistage avec le questionnaire EPDS administré par du personnel infirmier (n = 231) ou à un groupe non soumis au dépistage (n = 231) 2 mois après l’accouchement18. Les 2 groupes ont reçu les soins cliniques habituels, qui comprenaient des questions concernant leur état d’esprit, leur appétit, leur sommeil, les soins à l’enfant et les idées suicidaires18. Toutes les participantes considérées comme potentiellement déprimées (selon un score EPDS ≥ 10 ou une évaluation clinique dans le groupe soumis à l’intervention, ou selon une évaluation clinique seule dans le groupe témoin) se sont fait offrir une thérapie ou une prise en charge par une équipe communautaire en santé mentale18. Les paramètres ont été mesurés 6 mois après l’accouchement (c.-à-d., 4 mois après la randomisation)18.
Au départ (2 mois après l’accouchement), 67 participantes (29,0 %) étaient considérées comme potentiellement déprimées dans le groupe soumis à l’intervention et 14 (6,1 %) dans le groupe témoin18. Toutefois, nous avons observé que l’effet du dépistage 6 mois après l’accouchement était très incertain dans cette étude en ce qui concerne les issues cliniques cruciales et importantes que nous avons sélectionnées pour la présente recommandation (voir la section « Méthodologie »)19.
Les issues cliniques cruciales que nous avons mesurées incluaient le nombre de personnes déprimées selon un score EPDS ≥ 10 (91 de moins par 1000, intervalle de confiance [IC] de 95 % de 24–135 de moins) et les symptômes de dépression selon le score EPDS continu des personnes (0–30, le score étant proportionnel à la gravité; différence moyenne [DM] de 1,36 inférieure, IC de 95 % de 0,63–2,09 inférieure). Les issues cliniques cruciales incluaient aussi les symptômes relatifs à l’état de santé mentale générale, selon le General Health Questionnaire en 12 points (GHQ–12) (0–36, le score étant proportionnel à la gravité; DM de 0,33 inférieure, IC de 95 % de 0,7 inférieure à 0,04 supérieure), la capacité parentale autorapportée ou observée (score total de l’indice de stress parental [ISP] 0–180, le score étant proportionnel à la gravité; DM de 2,78 inférieure, IC de 95 % de 5,74 inférieure à 0,18 supérieure) et la sous-échelle détresse parentale de l’ISP (0–60, le score étant proportionnel à la gravité; DM de 1,21 inférieure, IC de 95 % de 2,48 inférieure à 0,06 supérieure)19.
Dans cette étude, nous avons aussi observé que l’effet du dépistage était très incertain pour ce qui est des issues cliniques importantes qui incluaient le stress parent–enfant (selon les sous-échelles interaction dysfonctionnelle et enfant difficile de l’ISP), le stress conjugal (selon l’échelle Kansas de satisfaction conjugale) et le nombre d’hospitalisations chez les nourrissons19.
Les effets du dépistage sur tous ces issues cliniques (cruciales et importantes) se sont révélés très incertains dans cette étude en raison d’importants enjeux liés au risque de biais (utilisation d’autoquestionnaires et rapports sélectifs des résultats) et au risque d’inexactitude du fait qu’il ne s’agissait que d’une seule petite étude19. Cette très faible certitude signifie que les effets réels du dépistage sont probablement substantiellement différents des conclusions de l’étude15. De plus, dans cette étude, le poids moyen des nourrissons à 6 mois marquait une différence de minime à nulle entre les 2 groupes (dépistage c. absence de dépistage) (données de faible certitude)19. Aucun effet indésirable n’a été noté (données de très faible certitude)18. Nous n’avons recensé aucun essai portant sur d’autres issues cliniques d’intérêt (tels que les idées suicidaires, les cas de faux positifs, le surdiagnostic, le surtraitement ou l’étiquetage social et la stigmatisation) 19. Nous n’avons trouvé aucun essai ayant comparé le dépistage de la dépression au moyen de questionnaires à l’absence de ce dépistage durant la grossesse.
Valeurs et préférences des personnes concernées
Nous avons pris connaissance des valeurs et des préférences des personnes à l’égard du dépistage durant les activités de participation réalisées en vue de cette ligne directrice20,21, comme le décrit la section « Méthodologie ». Les personnes ont dit douter qu’elles reconnaîtraient leurs propres symptômes de dépression ou chercheraient de l’aide auprès de leur professionnel en soins primaires et ont dit préférer subir un dépistage. Toutefois, nous avons noté que « si les personnes semblaient accorder de l’importance au dépistage dans leurs réponses aux questionnaires, lors des discussions de groupes, elles penchaient davantage pour une conversation avec leur professionnel de la santé au sujet de leur état de santé mentale et de leur bien-être plutôt que pour un processus de dépistage formel. Elles ont estimé qu’une discussion sur la dépression avec un professionnel en soins primaires durant la grossesse et la période postnatale était cruciale21 ». Ainsi, la participation des personnes a permis de conclure à l’importance qu’elles accordent aux discussions avec leurs professionnels de la santé au sujet de la dépression.
Utilisation des ressources
Le groupe d’étude n’a pas systématiquement passé en revue l’utilisation des ressources ni le rapport coût-efficacité du dépistage de la dépression. De l’avis du groupe d’étude, les effets d’une recommandation qui déconseille le dépistage sur l’utilisation des ressources sont inconnus. Des économies en ressources (p. ex., temps des professionnels en soins primaires, coût des suivis et des traitements inappropriés ou superflus) pourraient être réalisées dans des contextes des soins primaires où on avait l’habitude d’administrer systématiquement des instruments de dépistage à toutes les personnes enceintes et en période post-partum. Toutefois, les implications peuvent varier selon le contexte de soins et elles restent à préciser.
Faisabilité, acceptabilité et équité
De l’avis du groupe d’étude, la recommandation de déconseiller le dépistage est faisable. Les professionnels en soins primaires sont formés pour reconnaître les signes et symptômes de la dépression durant la grossesse et la période postnatale et ils connaissent les approches pour l’évaluation, le traitement et les demandes de consultation (au besoin) prévues dans le cadre des soins cliniques habituels. On ignore dans quelle mesure les professionnels en soins primaires utilisent les questionnaires de dépistage dans le cadre des soins cliniques habituels au Canada.
En accord avec les valeurs et les préférences des personnes et leur souhait d’avoir des discussions avec leurs professionnels de la santé, la recommandation de déconseiller le dépistage systématique de la dépression au moyen de questionnaires auxquels doivent répondre les personnes enceintes et en période postpartum devrait être acceptable pour la plupart des personnes dans la mesure où les professionnels de la santé continuent de s’informer de leur état de santé mentale et de leur bien-être dans le cadre des soins habituels. De l’avis du groupe d’étude, le fait d’encourager les discussions sur l’état de santé mentale et le bien-être dans le contexte des soins cliniques habituels concorde avec une recommandation à l’encontre du dépistage. Le groupe d’étude croit que cette recommandation serait acceptable pour certains intervenants, comme les professionnels en soins primaires et les responsables des orientations politiques, puisqu’elle rappelle l’absence de données probantes à l’appui du dépistage, mais encourage la pratique clinique qui consiste à s’informer de l’état de santé mentale.
Le groupe d’étude reconnaît qu’une recommandation qui déconseille le dépistage pourrait être en contradiction avec les pratiques ou les politiques actuelles de certaines régions. À cet égard, certains professionnels pourraient être mal à l’aise de cesser le dépistage de crainte que des cas de dépression passent inaperçus dans cette population. Toutefois, étant donné le degré de précision des instruments de dépistage disponibles, les professionnels doivent savoir que certains cas passeraient quand même inaperçus lors d’un dépistage (faux négatifs) et que plusieurs cas jugés positifs pourraient être de faux positifs22.
Les répercussions sur l’équité d’une recommandation à l’encontre du dépistage sont inconnues. Certains individus marginalisés déplorent de ne pas pouvoir divulguer leurs symptômes ou problèmes dépressifs à leurs professionnels de la santé (p. ex., ne savent pas comment aborder le sujet de la dépression, craignent la stigmatisation, sont réticents à prendre des antidépresseurs ou à suivre une psychothérapie)23 auquel cas, la recommandation à l’encontre du dépistage pourrait faire en sorte que la dépression ne soit pas identifiée chez certaines personnes.
Justification
Cette recommandation conditionnelle se fonde sur des données de très faible certitude quant aux effets positifs mesurables du dépistage et sur des données limitées quant à ses effets négatifs. Selon la revue systématique à l’origine de la recommandation, le bienfait additionnel d’un dépistage systématique au moyen d’un questionnaire comportant un score prédéfini comparativement aux soins habituels (y compris des questions sur l’humeur et l’état de santé mentale) durant les consultations en soins primaires serait très incertain19. Même si on n’a observé aucun signe de préjudice associé au dépistage lors de notre revue systématique, les données probantes tirées d’autres sources décrites ci-dessous suggèrent que le temps et l’attention accordés au dépistage pourraient empiéter indûment sur le temps consacré aux autres aspects de la santé durant une consultation périnatale en soins primaires, étant donné que, parfois inutilement, les professionnels évalueraient tous les cas positifs et les orienteraient potentiellement en consultation. Le dépistage pourrait mener à une augmentation des cas de faux positifs et des faux négatifs et des demandes de consultation et d’évaluation diagnostique superflues, et au surdiagnostic chez certaines personnes.
Un cas faux positif survient lorsqu’une personne atteint ou excède le score prédéfini à un questionnaire de dépistage et subit alors une évaluation psychiatrique additionnelle qui conclut qu’en fait, elle ne présente pas les critères diagnostiques de la dépression. Une récente méta-analyse regroupant des données individuelles fournit des informations sur le degré de précision de l’EPDS, l’instrument utilisé lors de l’essai que nous avons identifié22. À partir d’une prévalence de 8 %, le dépistage de la dépression chez 100 personnes au moyen du questionnaire EPDS utilisant un score prédéfini de 13, mettrait au jour 5 cas vrais positifs, 3 faux négatifs, 5 faux positifs et 87 vrais négatifs22,24. Cela signifie que certaines personnes soumises au dépistage subiraient inutilement une évaluation additionnelle.
Le surdiagnostic pourrait survenir chez des personnes ayant de légers symptômes passagers qui obtiendraient le score prédéfini lors du dépistage, entraînant une évaluation plus approfondie et une possible consultation auprès de services spécialisés en santé mentale, mais qui n’en tireraient aucun bénéfice puisque leurs symptômes auraient disparus de toute façon25. Étant donné qu’il est déjà très difficile d’accéder à des services en santé mentale au Canada26,27, le fait d’accaparer ainsi indûment les ressources au détriment d’autres patients atteints de troubles de santé mentale pourrait constituer un préjudice involontaire du dépistage. Lors d’une consultation clinique de 15 minutes, passer 1–2 minutes à revoir les résultats d’un instrument de dépistage formel n’ayant pas une validité éprouvée est exagéré. De l’avis du groupe d’étude, cela empêcherait le médecin d’avoir une discussion significative et empathique avec la personne au sujet de sa santé.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, environ 10 % de toutes les personnes soumises au dépistage au moyen d’un questionnaire comportant un score prédéfini auraient besoin d’une évaluation additionnelle ou d’une demande de consultation et les implications en ce qui a trait aux ressources s’étendent au-delà de la consultation clinique initiale. Le groupe d’étude connaît bien les contraintes de notre système de soins de première ligne en matière de ressources et à ce titre, formule des recommandations à l’encontre d’interventions lorsque leurs implications sur le plan des ressources sont hors de tout doute importantes et que les bienfaits n’en ont pas été démontrés17.
Méthodologie
Le groupe d’étude est un comité indépendant de médecins et de chercheurs qui formule des recommandations sur la prévention primaire et secondaire en médecine de soins primaires (https://canadiantaskforce.ca/?lang=fr). Un groupe de travail composé de 5 membres du groupe d’étude (H.C., E.L., J.C.L., A.M., J.J.R.) a rédigé cette recommandation avec l’appui du personnel de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC).
La recommandation repose sur une revue systématique des bienfaits et des préjudices du dépistage de la dépression durant la grossesse et la période postnatale (voir le cadre analytique du protocole28) et sur des activités de participation des personnes concernées pour des aspects spécifiques de l’élaboration de la ligne directrice.
C’est le Centre de revue et de synthèse des données probantes de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa qui a procédé à la revue systématique, conformément à un protocole publié28. Des stratégies d’interrogation révisée par des pairs ont été appliquées aux bases de données MEDLINE, Embase, PsycINFO, CINAHL et à la Bibliothèque Cochrane, depuis leur création jusqu’à mai 2020, et une interrogation de la littérature grise a aussi été effectuée. L’interrogation a été mise à jour en date du 27 mars 2022 auprès de ces bases de données avant publication, et n’a pas permis de recenser d’autres études. Des études étaient exclues si elles avaient recruté des personnes ayant des antécédents récents de dépression ou un diagnostic de dépression, des personnes traitées pour dépression ou autre trouble de santé mentale ou des personnes qui recevaient des services en raison de symptômes de problèmes de santé mentale, de même que les études dans le cadre desquelles des personnes étaient évaluées en psychiatrie ou en santé mentale. Les bienfaits potentiels du dépistage examinés lors de la revue systématique incluaient symptômes ou diagnostic de dépression, qualité de vie liée à la santé, capacité parentale autorapportée ou observée, idées suicidaires, relations conjugales, interactions entre la personne qui était ou avait été enceinte de l’enfant et l’enfant, santé et développement du nourrisson (p. ex., retard de développement, poids à la naissance) et réactivité du nourrisson. Les préjudices potentiels du dépistage examinés étaient faux positifs, surdiagnostic ou surtraitement, risque d’étiquetage social ou de stigmatisation et préjudices liés au traitement.
Le groupe de travail a classé l’importance des paramètres selon l’approche GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation)15. Les issues cliniques jugées cruciales ou importantes par les participantes aux groupes de discussion (décrits plus bas) et les membres du groupe de travail ont été pris en compte durant l’élaboration de la ligne directrice. Le groupe de travail a aussi utilisé l’approche GRADE pour déterminer la certitude des données et la force de la recommandation (encadré 1). L’annexe 1 (accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290/tab-related-content) décrit le cadre menant des données probantes au libellé de la recommandation utilisé par le groupe d’étude pour formuler sa recommandation. La recommandation a été approuvée à l’unanimité par le groupe d’étude.
Des renseignements supplémentaires sur la méthodologie utilisée par le groupe d’étude sont accessibles sur son site Web (https://canadiantaskforce.ca/methodologie/?lang=fr).
Participation des personnes
Des personnes ont été recrutées pour participer à l’élaboration de la ligne directrice par le biais de sites Web de petites annonces (comme Craigslist et Kijiji); des groupes de discussion en 2 phases ont été organisés par le programme d’application des connaissances de l’Hôpital St. Michael (Toronto). Pendant la phase 1 (données recueillies entre le 7 mai et le 8 juin 2018), au moyen d’un questionnaire en ligne, 15 personnes (6 enceintes et 9 en période post-partum, toutes s’identifiant au sexe féminin) ont classé par ordre d’importance les principales issues cliniques qui leur faisaient choisir le dépistage de la dépression. Cette étape a été suivie de 3 séances de discussion (n = 13) et de 2 entrevues (n = 2) par téléconférence pour que les participantes expliquent leur classification et le poids accordé aux différentes issues cliniques20. Lors de la phase 2, au moyen d’un questionnaire en ligne (données recueillies entre le 14 mai et le 3 juillet 2019), 14 personnes (4 enceintes et 10 en période post-partum, toutes s’identifiant au sexe féminin) ont été invitées à classer les issues cliniques par ordre d’importance après qu’on leur ait présenté la synthèse des bienfaits et des préjudices du dépistage de la dépression. Cette étape a été suivie de 4 séances de discussion (n = 12) et de 2 entrevues (n = 2) par téléconférence pour que les participantes expliquent leur classification et les facteurs ayant influé sur le poids accordé aux différentes issues cliniques21.
Le programme d’application des connaissances de l’Hôpital St. Michael a mis au point des outils d’application des connaissances pour accompagner cette ligne directrice; on les retrouve sur le site Web du groupe d’étude (http://www.canadiantaskforce.ca). Les instruments ont été élaborés à partir des commentaires des médecins et des personnes concernées.
Revue externe et par des experts en contenu
Le protocole28, la revue systématique19 et l’ébauche de la ligne directrice ont été soumis à une revue externe par des pairs-réviseurs du milieu universitaire et des parties prenantes de diverses organisations (voir la section « Remerciements »). Le groupe de travail a aussi mis à contribution des experts cliniques et des experts en contenu qui l’ont aidé à comprendre les enjeux cliniques importants et à régler certains problèmes techniques, qui ont participé aux discussions du groupe d’étude et révisé les principaux documents de référence, y compris la version définitive de la ligne directrice. Les experts cliniques et les experts en contenu n’interviennent pas dans les recommandations du groupe d’étude et ne votent pas sur les recommandations.
Gestion des intérêts concurrents
Le groupe d’étude applique les principes du Guidelines International Network pour la divulgation et la gestion des conflits d’intérêt potentiels29,30. Le comité de supervision du groupe d’étude pour l’évaluation et la gestion des conflits d’intérêt potentiels se compose du président et du vice-président du groupe d’étude et du directeur de la Division des lignes directrices et de la santé mondiale de l’ASPC30. Le financement du groupe d’étude provient de l’ASPC. Les vues de l’organisme subventionnaire n’ont aucunement influé sur le contenu de la recommandation.
Tous les membres du groupe d’étude doivent divulguer leurs intérêts financiers et autres intérêts, dont on peut prendre connaissance sur le site Web du groupe d’étude (https://canadiantaskforce.ca/about/members/). Les experts cliniques et les experts en contenu dévoilent aussi tout intérêt pertinent au début de leur participation et annuellement par la suite. Les renseignements sur les divulgations et les conflits d’intérêts se trouvent à l’annexe 2 (accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290/tab-related-content). Scott Klarenbach, qui faisait partie du groupe d’étude sans être un membre du groupe de travail sur le présent sujet, est le directeur de la Real World Evidence Unit, à l’Université de l’Alberta, et directeur et coprésident du Real World Evidence Consortium (avec l’Université de Calgary et l’Institut de l’économie de la santé). Même si le Dr Klarenbach ne reçoit pas d’honoraires individuels, le groupe dépend en partie d’un financement de l’industrie. Cela n’a pas été considéré comme un conflit d’intérêts lors de la divulgation initiale. Toutefois, entre la soumission initiale de cette ligne directrice au JAMC et la révision consécutive à l’examen par les pairs, le comité de supervision du groupe d’étude a décidé que le Dr Klarenbach ne devait pas voter sur la mise à jour de la ligne directrice. Il n’a voté sur aucun des changements apportés à la ligne directrice à la suite de l’examen par les pairs, il n’a pas approuvé la nouvelle version et à ce titre, ne fait pas partie des auteurs collaborateurs.
Aucun autre intérêt déclaré n’a affecté la participation au processus d’élaboration de la ligne directrice.
Mise en œuvre
Le terme « dépistage » utilisé dans cette recommandation fait référence à une intervention systématique par laquelle les professionnels en soins primaires utilisent un instrument comme un questionnaire avec chaque personne enceinte ou en période de post-partum qui ne fait pas déjà mention de symptômes de dépression, puis utilise un score prédéfini pour déterminer la conduite à tenir chez celles qui obtiennent un score égal ou supérieur à ce score7–9. Le groupe d’étude déconseille l’ajout d’un tel dépistage en raison de l’absence de données probantes pour étayer l’ajout de valeur par rapport à une discussion sur le bien-être, la dépression, l’anxiété et l’humeur en général qui font actuellement partie des soins cliniques périnataux.
Dix provinces et territoires au Canada proposent des lignes directrices (p. ex., recommandations sur les pratiques optimales, parcours de soins, dossiers périnataux) qui suggèrent de s’enquérir de problèmes de dépression, d’anxiété ou de troubles de l’humeur durant la grossesse ou la période postnatale dans le cadre des soins cliniques habituels (annexes 3 et 4, accessibles en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290/tab-related-content). Neuf provinces et territoires proposent des lignes directrices qui suggèrent aux professionnels en soins primaires (p. ex., personnel infirmier de santé publique, médecins de famille, sages-femmes) de procéder à un dépistage au moyen d’instruments, comme le questionnaire EPDS, durant la grossesse et la période postnatale (annexes 3 et 5, accessibles en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220290/tab-related-content). Ces recommandations incluent des scores prédéfinis et préconisent des interventions de suivi dans le cadre du dépistage. Parmi ces 9 provinces et territoires, 7 prévoient également la consignation des scores générés par les instruments de dépistage de la dépression sur des formulaires au dossier médical utilisés durant la grossesse ou la période postnatale (annexes 3 et 5). Les recommandations relatives aux questionnaires à utiliser, au moment de les réaliser et aux scores prédéfinis, varient selon les provinces et les territoires.
Certaines régions au Canada incluent le dépistage dans les soins périnataux standard, sans le désigner comme tel, tandis que nous utilisons le terme « dépistage » pour indiquer un processus complet et systématique, appliqué de manière systématique, qui s’accompagne d’interventions diagnostiques de suivi standardisées pour toutes les personnes dans un groupe déterminé (p. ex., toutes les personnes d’un contexte clinique ayant des caractéristiques spécifiques). Étant donné que les pratiques de dépistage varient au Canada (annexes 3, 4 et 5), les régions pourraient reconsidérer l’utilisation de ces dépistages dans les contextes où ils sont présentement en vigueur.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, la définition du dépistage selon le groupe d’étude dans ce contexte signifie que la recommandation à l’encontre du dépistage rappelle l’importance des bonnes pratiques cliniques: les médecins doivent poser des questions et demeurer à l’affût des changements à la santé physique et mentale des personnes qui les consultent. Compte tenu des implications de la dépression sur la santé durant la grossesse et la période postnatale, il est essentiel que les professionnels interrogent les personnes au sujet de leur santé mentale et de leur bienêtre et qu’ils y restent attentifs. Les professionnels qui ne savent pas trop comment entamer ces discussions avec les personnes qui les consultent, pourraient envisager d’utiliser des questionnaires comme entrée en matière (sans pour autant procéder à un dépistage formel qui reposerait sur un score déterminant la conduite à tenir).
Surveillance et évaluation
La sensibilisation des médecins à cette recommandation à l’encontre du dépistage est une mesure de rendement pour cette ligne directrice. Le groupe d’étude surveillera les données probantes en lien avec cette ligne directrice et mettra la recommandation à jour si de nouvelles données publiées influent sur son orientation ou sa force.
Autres lignes directrices
Le tableau 1 présente les recommandations au sujet du dépistage de la dépression durant la grossesse ou la période postnatale provenant de 6 autres lignes directrices de pratique clinique provinciales et nationales élaborées de manière systématique (distinctes des lignes directrices résumées à l’annexe 3)36. Trois lignes directrices recommandent le dépistage chez toutes les personnes enceintes et en période post-partum10,31,35, et elles ne se fondent pas sur des données probantes directes quant à un bienfait associé au dépistage. Le moment du dépistage, l’utilisation de questionnaires et de scores prédéfinis diffèrent d’une ligne directrice à l’autre.
Le UK National Screening Committee déconseille un programme de dépistage systématique prénatal et postnatal des problèmes de santé mentale32. Les 2 autres lignes directrices recommandent de poser des questions afin de débusquer la dépression dans le cadre d’une discussion générale sur le bien-être mental9 et de s’enquérir des symptômes dépressifs durant la grossesse et la période postnatale33.
Lacunes dans les connaissances
Un seul ERC a comparé les bienfaits et les préjudices du dépistage de la dépression au moyen de questionnaires, à l’absence d’un tel dépistage durant la période postnatale. Aucun n’a évalué ce type de dépistage en cours de grossesse. Il faut effectuer des essais qui comparent le dépistage aux soins cliniques habituels, où les personnes jugées dépressives dans l’un ou l’autre des groupes reçoivent le même niveau de soins, si l’on veut juger de l’efficacité du dépistage isolément en tant qu’ intervent ion. Les paramètres devraient inclure les bienfaits et les préjudices pour la personne qui est ou a été enceinte et pour le nourrisson. Comme la grossesse et la période postnatale se vivent différemment selon différents facteurs tels que la culture, l’ethnicité, le statut socio-économique, le lieu géographique et autres déterminants sociaux de la santé6, il serait également utile de procéder à des études qui refléteraient la diversité de la population canadienne et fourniraient des données sur ces aspects.
Limites de l’étude
Même si nous avons tenu compte des valeurs et des préférences exprimées par les personnes lors de nos activités de participation, les résultats de ces travaux devraient être interprétés et extrapolés avec prudence compte tenu de la petite taille des échantillons. Nous n’avons pas examiné les données probantes révisées par des pairs sur les valeurs et les préférences des personnes concernées.
L’évaluation des pratiques actuelles au Canada (annexes 3, 4 et 5) se fonde sur des documents publics et les pratiques courantes peuvent varier.
Conclusion
Dans l’ensemble, l’effet du dépistage de la dépression durant la grossesse et la période postnatale s’est révélé très incertain, pour toutes les issues cliniques cruciales. De l’avis du groupe d’étude, l’utilisation importante de ressources est associée au dépistage à l’aide d’instruments non validés. Par conséquent, le groupe d’étude formule une recommandation conditionnelle à l’encontre du dépistage de la dépression durant la grossesse et la période postnatale à l’aide de questionnaires comportant des scores prédéfinis chez les personnes qui n’ont pas d’antécédents personnels de dépression ou qui ne sont pas sous traitement ou en évaluation pour d’autres problèmes de santé mentale.
Remerciements
Les auteurs remercient les anciens membres du groupe d’étude, Michael Kidd et Stéphane Groulx, qui étaient présents au début de l’élaboration de la ligne directrice. Ils remercient également le Dr Scott Klarenbach, vice-président du groupe d’étude, qui a participé aux premières étapes de la ligne directrice, ainsi que l’équipe du Centre de revue et de synthèse des données probantes (Andrew Beck, Becky Skidmore, Micere Thuku, Leila Esmaeilisaraji, Ian Colman, Sophie Grigoriadis, Stuart Gordon Nicholls, Beth K. Potter, Kerri Ritchie, Priya Vasa, Beverley J. Shea, Julian Little, Alexandria Bennet, et Adrienne Stevens) pour leur revue des données qui ont appuyé cette ligne directrice; Marc Avey, Eva Graham, Casey Gray, Kate Morissette, Rachel Rodin et Elizabeth Rolland-Harris de la Division des lignes directrices et de la santé mondiale de l’Agence de la santé publique du Canada, qui ont appuyé la conception de la ligne directrice; et le Programme d’application des connaissances de l’Institut du savoir Li-Ka-Shing, Hôpital St. Michael, pour sa contribution à la mobilisation des personnes et à l’application des connaissances en lien avec cette ligne directrice. Les auteurs expriment en outre leur reconnaissance à Bianca Lauria-Horner (Université Dalhousie, Halifax, N.-É.), Scott Patten (Université de Calgary, Calgary, Alb.), Simone Vigod (Hôpital Women’s College et Université de Toronto, Toronto, Ont.) et Brett D. Thombs (Hôpital général juif et Université McGill, Montréal, Qc) pour leur aide en tant qu’experts cliniques et experts en contenu durant la création de cette ligne directrice. Les experts cliniques et les experts en contenu qui ont aidé le groupe d’étude durant le processus d’élaboration de la ligne directrice peuvent être d’accord ou non avec les recommandations du groupe d’étude. De plus, les auteurs remercient les pairs-réviseurs et les parties prenantes de diverses organisations qui ont formulé des commentaires sur l’ébauche du manuscrit, y compris Janice Christianson-Wood, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, Ottawa, Ont.; Lisa Gagnon, Université de Calgary, Calgary, Alta.; Sarah Gower, Société de la médecine rurale du Canada, Shawville, Qc; Mara Grunau, Centre de prévention du suicide, Calgary, Alb.; John Higenbottam, Réadaptation psychosociale Canada, Odessa, Ont.; Michel Joffres, Université Simon Fraser, Burnaby, C.-B.; Catherine Lebel, Université de Calgary, Calgary, Alb.; Nicole Letourneau, Université de Calgary, Calgary, Alb.; Heather McClenaghan, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Ottawa, Ont.; Amy McGee, Association canadienne des sagesfemmes, Montréal, Qc; Justin Mills, Agency for Healthcare Research and Quality, Rockville, Md.; Kathy Offet-Gartner, Association canadienne de counseling et de psychothérapie, Ottawa, Ont.; Alison Shea, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, Ottawa, Ont.; Donna Stewart, Association des psychiatres du Canada, Ottawa Ont.; et Suzanne Tough, Maternal Infant Child and Youth Research Network, Vancouver, C.-B. Cette ligne directrice est dédiée à la Dre Ainsley Moore, décédée alors que les travaux d’élaboration de la ligne directrice étaient encore en cours.
Footnotes
↵* La Dre Ainsley Moore, membre du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, est décédée le 25 juin 2021, durant la préparation du manuscrit destiné à être publié.
Intérêts concurrents: Aucun intérêt concurrent déclaré.
Cet article a été soumis à l’examen des pairs.
Comité de rédaction de la ligne directrice: Eddy Lang (membre du groupe d’étude ayant droit de vote), Heather Colquhoun (membre du groupe d’étude ayant droit de vote), John C. LeBlanc (membre du groupe d’étude ayant droit de vote), John J. Riva (membre du groupe d’étude ayant droit de vote), Ainsley Moore (membre du groupe d’étude ayant droit de vote), Gregory Traversy (membre de l’équipe scientifique n’ayant pas droit de vote), Brenda Wilson (membre du groupe d’étude ayant droit de vote) et Roland Grad (membre du groupe d’étude ayant droit de vote).
Membres collaborateurs du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs: Ahmed M. Abou-Setta, Tina Korownyk, Emily G. McDonald, Navindra Persaud, Donna L. Reynolds, Henry Siu et Guylène Thériault. La liste complète de tous les membres actuels du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs est accessible à l’adresse http://canadiantaskforce.ca/about/members.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux ainsi qu’à l’acquisition, à l’analyse et à l’interprétation des données. Eddy Lang, Heather Colquhoun, John LeBlanc, John Riva, Ainsley Moore, Brenda Wilson et Roland Grad ont rédigé l’ébauche de la recommandation. Eddy Lang, John LeBlanc et Gregory Traversy ont rédigé le libellé de la ligne directrice. Tous les auteurs ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit; ils ont donné leur approbation définitive pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. Tous les membres collaborateurs du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs ont aussi contribué à l’élaboration de la ligne directrice et ont donné leur approbation finale à la version de la ligne directrice soumise pour publication.
Financement: Le financement du groupe d’étude sur les soins de santé préventifs est fourni par l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). Les vues de l’organisme subventionnaire n’ont aucunement influé sur le contenu de la recommandation. Les opinions exprimées aux présentes n’engagent que le groupe d’étude et ne représentent pas nécessairement celles de l’ASPC.
Déclaration d’intérêts: Navindra Persaud est corédacteur pour le JAMC, mais n’a pas participé au processus ayant mené au choix de cet article.
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