Le lectorat du JAMC connaît déjà probablement les 4 centres d’intérêt sur lesquels il se concentre, soit les services de santé, la santé mentale, les populations vulnérables et la septicémie. En 2017, sa rédactrice en chef (par intérim), Diane Kelsall, a invité les rédacteurs médicaux et le comité consultatif de rédaction du JAMC à choisir ces centres d’intérêt en se posant les questions suivantes : « Quelles tendances ou quels enjeux émergents nous préoccupent au chapitre des soins de santé?1 » Au cours des 5 dernières années, le JAMC a fait progresser les connaissances relatives à ces 4 centres d’intérêt. Toutefois, avec une nouvelle direction et un nouveau comité consultatif de rédaction, nous jugeons qu’il est temps de revoir nos centres d’intérêt.
Quels sont les enjeux sanitaires pressants au Canada aujourd’hui? Sur le plan de la santé, le principal problème de la population canadienne persiste depuis déjà fort longtemps : il s’agit de la difficulté d’obtenir rapidement les soins dont elle a besoin. Au fond, l’enjeu le plus pressant, est l’accès.
L’incapacité de trouver un médecin de famille, les attentes interminables aux services d’urgence, la difficulté de consulter en médecine de spécialité, le report des interventions chirurgicales « non urgentes » pour des maladies qui affectent la qualité de vie des gens et l’absence de ressources en santé mentale pour les situations de crise font depuis longtemps partie du paysage de la santé au Canada. À un point tel que certaines personnes responsables des orientations politiques, et même la patientèle, commencent à les percevoir comme de simples désagréments plutôt que comme des échecs et portent aux nues le moindre changement qui rend les systèmes de santé canadiens un peu moins déficients.
Moi, Kirsten, nouvellement arrivée au Canada en 2013, j’ai été sous le choc de constater ma propre incapacité à trouver un médecin de famille et très perplexe face à l’incohérence du système de santé. Après un certain temps, je me suis mise moi aussi à simplement hausser les épaules. Je n’ai pas aimé attendre 6 heures au service des urgences (ensanglantée, frigorifiée et souffrante) avant d’être soignée pour une luxation acromioclaviculaire subie en chutant à vélo sous la pluie. Si j’ai haussé les épaules, c’est que j’en étais venue à accepter que les choses étaient comme ça. Mais je garde toujours un fond d’anxiété à l’idée qu’un de mes enfants ou moi-même puissions nous blesser ou être malades.
Moi, Andreas, je suis déménagé dans le comté de Wellington, dans le sud de l’Ontario, il y a 2 ans et j’ai eu besoin de consulter un médecin de famille. J’ai appelé des cliniques de médecine familiale qui m’ont dit n’accepter de nouveaux patients que par l’entremise du programme Accès Soins, relevant des autorités sanitaires régionales. Ça m’a semblé prometteur, un registre central me paraissait une façon équitable de gérer de maigres ressources. Or, j’ignorais l’état de précarité desdites ressources. Dans une lettre reçue récemment, on m’informait que la liste de la patientèle inscrite pour la région Waterloo–Wellington avait dépassé les 7000 personnes depuis quelques années… et que la plupart des cabinets n’acceptent plus d’inscriptions par le biais d’Accès Soins sur une base régulière ni en volume élevé. On s’attendait donc à ce que je fasse aussi mes propres démarches. J’ai de nouveau appelé quelques cliniques de médecine familiale la semaine dernière; 1 ou 2 m’ont répondu : je pouvais m’y inscrire uniquement par Accès soins, ou ajouter mon nom à une liste d’attente d’environ 5 ans.
Voilà le récit de nos expériences en tant que personnes qui bénéficient de soi-disant grands privilèges et de relations; et nous ne sommes certes pas les plus mal pris.
La pandémie de COVID-19 a gravement frappé et perturbé le fonctionnement de nos systèmes de santé au Canada et ailleurs. Mais le fait est que les systèmes de santé canadiens n’allaient déjà pas très bien avant la pandémie et les failles sont devenues des gouffres. Les problèmes qui existaient avant la pandémie sont à présent aggravés par de sérieuses pénuries de main-d’œuvre, par des politiques gouvernementales contre-productives qui nuisent au maintien en poste du personnel de la santé, par l’épuisement et la fatigue postpandémiques des équipes soignantes et par certains enjeux sociétaux qui, sans relever le moindrement des systèmes de santé, multiplient ou exacerbent les problèmes de santé et restreignent l’accès aux soins2.
Réparer les mailles du filet ne suffit plus. Les efforts pour réduire le nombre d’interventions superflues sont indéniablement louables, mais ne suffiront vraisemblablement jamais à régler les importants problèmes d’accès à nos services de santé3. Des changements importants et radicaux sont nécessaires. Concrètement, quelle forme pourraient prendre ces changements pour être fructueux? Quels types de changements seraient positifs, équitables et abordables pour assurer la santé et le bien-être de la population tout en protégeant le personnel soignant?
L’équipe de rédaction du JAMC a bien quelques idées, mais n’a pas toutes les réponses; et certaines doivent venir de vous. Dans le paysage canadien de la santé, le JAMC a pour rôles d’assurer la communication, de transmettre des renseignements de qualité fondés sur des données probantes, de formuler une opinion experte susceptible d’influer positivement sur la qualité des soins et d’être une vitrine pour présenter des solutions. Nous reconnaissons à quel point il est difficile de modifier en profondeur et radicalement un système aussi lourd et complexe, et à quel point il faut éviter les conséquences négatives que peuvent occasionner un tel changement de cap. Nous comprenons que la santé relève de la sphère politique, ce qui peut freiner l’adoption de changements majeurs, mais il est urgent de proposer des solutions concrètes pour faciliter l’accès aux soins de santé au Canada en 2023, et le JAMC se veut le lieu incontournable de la discussion. C’est pourquoi l’équipe de rédaction du JAMC, sur les conseils du comité consultatif de rédaction actuel et d’autres groupes d’intérêt, a choisi l’accès aux soins de santé comme centre d’intérêt principal du journal pour les 2 prochaines années.
En 2023, l’équipe de rédaction du JAMC commandera des articles et accordera la priorité aux soumissions qui proposeront des solutions audacieuses au problème pressant du manque d’accès aux soins de santé au Canada. Nous resterons ouverts à la soumission d’articles sur d’autres sujets et nous continuerons de privilégier l’équité au moment de choisir les articles publiés. Toutefois, nous avons la ferme intention de créer un espace pour faire progresser les connaissances sur les mesures qui sauront le mieux rendre les systèmes de santé plus accessibles.
Footnotes
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