L’Organisation mondiale de la Santé a priorisé la réduction du sodium alimentaire et a inclus une « réduction de 30 % de l’apport en sodium dans la population d’ici 2025 » parmi les 9 cibles mondiales pour la prévention des maladies non transmissibles.
Même si le Canada a connu un certain succès au chapitre de la réduction du sodium, la plupart des Canadiens continuent de consommer plus de sodium qu’il n’est recommandé.
Les décideurs devraient promouvoir une révision de la composition des aliments et améliorer l’étiquetage et la commercialisation des produits alimentaires.
Les professionnels de la santé devraient interroger d’emblée leurs patients au sujet de leur consommation de sodium et les conseiller au besoin pour prendre en charge et prévenir les maladies.
La sensibilisation du public et l’utilisation d’outils d’autovérification de la consommation de sodium aideraient les gens à poser des gestes individuels pour limiter leur apport en sodium.
Un apport alimentaire trop élevé en sodium constitue un important facteur de risque de mortalité et d’invalidité partout dans le monde, en raison de son impact négatif sur la santé cardiovasculaire1. L’Organisation mondiale de la Santé a priorisé la réduction de l’apport alimentaire en sodium parmi les stratégies « les plus judicieuses » pour la santé des populations et a inclus une « réduction de 30 % de l’apport en sodium des populations d’ici 2025 » parmi les 9 cibles mondiales pour la prévention des maladies non transmissibles2. Cet objectif s’appuie sur une récente méta-analyse selon laquelle un rapport linéaire s’établit entre une forte consommation de sodium et la maladie/mortalité cardiovasculaire; on a en effet observé une réduction de 26 % du risque de maladie cardiovasculaire et une réduction de 16 % du risque de mortalité à l’échelle des populations lorsque l’apport moyen en sodium passait de 3646 mg/j à 2690 mg/j3,4.
En 2010, la Stratégie de réduction du sodium a été adoptée par le gouvernement fédéral canadien et a bénéficié d’un appui solide des provinces. L’importance de la réduction du sodium a été réitérée en 2019 lors de la révision du Guide alimentaire canadien (https://guide-alimentaire.canada.ca/fr/). Même si le Canada a réussi jusqu’à un certain point à réduire le sodium, la majorité des Canadiens continuent de consommer plus de sodium qu’il n’est recommandé: 97 % des hommes et 81 % des femmes excèdent l’apport suffisant (1500 mg/j) et 74 % des hommes et 49 % des femmes excèdent le niveau nécessaire pour réduire le risque de maladie chronique (< 2300 mg/j)5. En 2017, la forte consommation alimentaire de sodium a été associée à plus de 150 000 années de vie ajustées en fonction de l’incapacité au Canada2. Nous abordons ici les mesures requises pour aider les Canadiens à réduire leur apport en sodium et pour s’assurer que le Canada atteigne la cible mondiale 2025 en matière de sodium alimentaire.
De solides interventions politiques visant à créer un environnement alimentaire adéquat sont essentielles pour obtenir une réduction du sodium. Au Canada, les gens tirent la majeure partie de leur apport en sodium des aliments préparés et des mets servis par les restaurants (p. ex., produits de boulangerie, viandes transformées, soupes, condiments); le sel ajouté (préparation des aliments ou salière ou sachets de sel à disposition) ne représente qu’environ 11 % de l’apport en sodium6. Réduire le sodium dans les aliments emballés est actuellement laissé à la discrétion de l’industrie alimentaire, guidée par les cibles de Santé Canada pour la réduction du sodium. Mais depuis 2010, la teneur en sodium des aliments emballés au Canada a très peu changé7. En 2020, Santé Canada n’a apporté que quelques révisions mineures à ses objectifs de sodium, sans nouvelle mesure politique pour inciter l’industrie à s’y conformer. Réglementer les taux de sodium maximums dans les principales catégories d’aliments générerait probablement des bienfaits à l’échelle de la population8. Les cibles de sodium appliquées aux aliments servis par les restaurants contribueraient encore à la réduction du sodium. Des politiques gouvernementales exigeant une offre alimentaire adéquate dans tous les lieux publics (p. ex., hôpitaux, écoles) feraient en sorte que l’argent des contribuables soit investi dans des aliments à faible teneur en sodium et, en retour, encourageraient l’industrie alimentaire à apporter les changements nécessaires. L’utilisation accrue de sel à faible teneur en sodium (où le sodium est en partie remplacé par du potassium) est sécuritaire, réduit le risque de maladies cardiovasculaires et de mortalité et devrait être encouragée, sauf chez les personnes sujettes à l’hyperkaliémie9.
Des politiques sur l’étiquetage et la mise en marché des aliments sont nécessaires pour aider les consommateurs à faire des choix plus sains. Il a été proposé d’afficher des mises en garde sur le devant des emballages d’aliments à forte teneur en sodium pour encourager l’industrie à en réviser la composition et promouvoir des choix alimentaires plus sains chez les consommateurs, mais ces mises en garde n’ont pas été approuvées au Canada10. Le projet de loi visant à interdire la publicité sur les aliments malsains (y compris à forte teneur en sodium) aux enfants a été bloqué par le Sénat en 2019 et devrait être déposé à nouveau. Les politiques sur l’étiquetage, le positionnement et la communication des renseignements nutritionnels à l’ère de l’offre numérique (p. ex., épiceries en ligne, applications pour livraison de repas) sont importantes pour une société postpandémique qui a rapidement été attirée par cette façon de s’approvisionner.
La réduction du sodium alimentaire est recommandée pour la prise en charge et la prévention de maladies, de l’hypertension, de l’insuffisance cardiaque et de l’insuffisance rénale. La plupart des médecins croient qu’une alimentation faible en sodium est importante; par contre, ils peuvent éprouver de la difficulté à passer le message s’ils manquent de temps ou de connaissances ou s’ils craignent un manque de réceptivité de la part des patients11. Les professionnels de la santé devraient interroger d’emblée leurs patients au sujet de leur consommation d’aliments à forte teneur en sodium et les conseiller à ce sujet. Une évaluation de routine de l’apport en sodium au moyen de collectes urinaires de 24 heures est peu pratique, mais de nouveaux outils peuvent aider au dépistage et orienter les discussions sur l’alimentation. Par exemple, l’outil Sodium Calculator, conçu au Canada, (www.projectbiglife.ca/sodium/home — en anglais seulement) permet d’estimer les quantités et les sources de sodium consommé par un patient. Lors d’un récent sondage en ligne auprès de professionnels en soins primaires, 25 % ont indiqué croire à l’existence d’une controverse scientifique entourant le sodium alimentaire, malgré le degré élevé de consensus parmi les experts4,11,12. Les programmes de formation médicale gagneraient à augmenter la part du curriculum réservée à la nutrition; les médecins pourraient ainsi en acquérir une connaissance plus approfondie. Il existe des publications et des revues systématiques, comme Science of Salt, qui offrent des synthèses à jour sur les recherches les plus récentes au sujet du sodium13. Un meilleur financement des services diététiques intégrés à la médecine de soins primaires simplifierait l’accès à des conseils nutritionnels de grande qualité pour les patients. Finalement, depuis 2011, de grandes organisations médicales canadiennes ont milité pour l’application de politiques visant une saine alimentation, y compris sur le sodium (https://hypertension.ca/fr/advocacy/). Une plus grande mobilisation des professionnels de la santé s’impose.
Pour encourager l’adoption de nouveaux comportements alimentaires chez les Canadiens, des interventions en marketing social pourraient être plus efficaces que les campagnes classiques dans les médias de masse pour communiquer de l’information. De plus, des mises en garde sur le devant des emballages d’aliments aideraient les consommateurs à faire des choix éclairés. Ils sont nombreux à choisir délibérément de ne pas lire les tableaux de valeurs nutritives; et lorsqu’ils le font, ils ont souvent de la difficulté à en interpréter les données, notamment le pourcentage de la valeur quotidienne14. Un autre défi majeur tient au fait que même si, souvent, les consommateurs savent que l’apport national en sodium est élevé, ils croient que le leur ne l’est pas, peut-être parce qu’ils perçoivent que les sources alimentaires fréquentes de sodium n’en sont pas15. L’utilisation à grande échelle d’outils d’autovérification de la consommation de sodium (p. ex., le Sodium Calculator) sensibiliserait les gens à la problématique du sodium et susciterait une prise de conscience et un appui à la réduction du sodium au Canada, faisant pression sur les gouvernements et sur l’industrie alimentaire pour que des gestes soient posés.
Le Canada tire de l’arrière par rapport aux cibles mondiales d’apport en sodium. Plusieurs mécanismes, y compris des interventions plus musclées et une sensibilisation des décideurs, des professionnels de la santé et des consommateurs, contribueraient à réduire l’apport en sodium et allégeraient significativement le fardeau des maladies cardiovasculaires au Canada.
Footnotes
Intérêts concurrents: Norm Campbell signale avoir reçu des honoraires personnels de Resolve to Save Lives, de l’Organisation panaméricaine de la santé et de la Banque mondiale, indépendamment des travaux soumis; il est membre bénévole de World Action on Salt, Sugar and Health et consultant non rémunéré auprès de diverses organisations gouvernementales et non gouvernementales qui s’intéressent au sodium alimentaire et à l’hypertension. Il a été président de l’International Consortium for Quality Research on Dietary Sodium/Salt, et il est conseiller auprès du CA de la World Hypertension League. Aucun autre intérêt déclaré.
Cet article a été évalué par des pairs.
Collaborateurs: Les deux auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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