Plus de 90 % de la capacité de fabrication des vaccins antigrippaux est concentrée en Europe et en Amérique du Nord. Or, il est certain qu’en cas de pandémie, chaque pays exercera d’intenses pressions pour protéger d’abord ses propres citoyens. Si l’un des pays où sont situées les usines de production décide de nationaliser ces dernières ou encore de bloquer les vaccins à la frontière, la chaîne vitale d’approvisionnement en vaccins sera brisée. Bien entendu, les conséquences néfastes d’une telle décision ne toucheront pas seulement les résidents de l’extérieur de la zone protectionniste, mais également ceux de l’intérieur du pays en question.
L’accès équitable à un vaccin contre un virus d’influenza à potentiel pandémique constitue une question d’éthique et de justice pour tous. C’est également une condition préalable au succès de toute stratégie visant à protéger la santé de la population à l’échelle mondiale. Comme l’a révélé la nouvelle éclosion d’influenza A (H1N1), le développement d’un vaccin contre une souche émergente à potentiel pandémique n’est pas une mince tâche. Les capacités de production et de distribution figurent au cœur de ce défi.
Bien qu’en prévision du retour probable de la souche A (H1N1) lors de la prochaine saison grippale, l’Organisation mondiale de la Santé, les Centers for Disease Control and Prevention américains et d’autres se soient employés avec diligence à développer des souches virales candidates pour les fabricants de vaccins, il leur a fallu davantage de temps que prévu. En outre, une fois les lots cliniques d’un vaccin produits, il faut faire des essais, d’une part, pour déterminer la concentration et le nombre de doses nécessaires à l’immunisation et, d’autre part, pour obtenir des données préliminaires sur l’innocuité du vaccin. Ce n’est qu’après cette étape d’essai que les fabricants peuvent lancer la production du vaccin à grande échelle. Tout porte donc à croire qu’un vaccin contre le H1N1 ne sera pas prêt avant novembre.
Or, même suivant le début de cette production, la faible capacité de fabrication mondiale de vaccins antigrippaux entravera les efforts de lutte contre une pandémie, en particulier parce que la production d’un vaccin contre une souche à potentiel pandémique fera concurrence à celle du vaccin antigrippal saisonnier. Notre planète compte plus de sept milliards de personnes, mais selon des estimations prudentes, nous n’avons la capacité de produire que 1,2 milliard de doses de vaccins antigrippaux par année. L’écart entre l’offre et la demande se creuse davantage si chaque personne requiert deux doses de vaccins (une dose initiale et une dose de rappel) pour se protéger contre une nouvelle souche de cette maladie 1.
Qui plus est, même si les fabricants actuels pouvaient augmenter leur capacité de production, la distribution poserait problème. Dans le cadre de leur plan de préparation à une pandémie, de nombreux pays industrialisés, y compris le Canada, ont négocié avec des fabricants de vaccins des contrats d’approvisionnement visant à s’approprier le vaccin dès qu’il aura été produit. Le Plan canadien de lutte contre la pandémie d’influenza établit les priorités de distribution du vaccin, en ayant pour objectif une vaccination complète de la population en quatre mois 1. Glaxo-SmithKline a annoncé qu’elle avait déjà reçu des commandes de la part de plusieurs autres pays industrialisés qui cherchent à se constituer des réserves du vaccin contre le virus H1N1 à titre de précaution 2.
Mais en cas de pandémie, qu’adviendrail des pays en développement qui n’auront pas signé de tels contrats ou qui ne disposeront pas des ressources financières pour se procurer le vaccin? Et comment cette stratégie de lutte contre la pandémie pourra-t-elle être efficace, compte tenu de l’accessibilité et de la rapidité des voyages, à moins que nous ne vaccinions tout le monde aux quatre coins de la planète?
Il faut se rappeler qu’il y a plus d’un siècle, les pompiers ne se rendaient qu’aux propriétés des personnes qui avaient payé leurs services d’avance. Les services des incendies ne sont devenus universels qu’une fois que les gens eurent compris que leur propre protection contre les incendies était inutile si le bâtiment voisin prenait feu et n’était pas couvert. Parallèlement, si des pays ou des régions entières n’ont pas accès au vaccin contre la grippe pandémique, on peut s’attendre à ce que, comme un incendie, celleci continue à se propager et à évoluer. Qui plus est, étant donné que tout nouveau vaccin ne procurera probablement pas une immunité à 100 %, certaines personnes qui auront été vaccinées dans les pays privilégiés seront néanmoins à risque d’infection par les populations non immunisées.
Devant cette menace, nous devons assurer un accès global et équitable à tout vaccin contre la grippe pandémique. À court terme, les nations devraient se joindre à la campagne de l’Organisation mondiale de la Santé qui incite les compagnies pharmaceutiques à faire don d’au moins 10 % de leur production de vaccins antigrippaux pandémiques aux pays en développement ou, à tout le moins, à leur offrir ces vaccins à un prix abordable. Au 20 mai 2009, 6 des 30 principaux fabricants avaient décidé d’adhérer à ce plan, mais cela ne suffit pas. Une plus grande mobilisation est nécessaire. Le Canada peut jouer un rôle de chef de file, non seulement en appuyant cette initiative du secteur privé, mais aussi en destinant 10 % de son futur approvisionnement en vaccins antigrippaux pandémiques aux pays en développement. Or, même ces contributions suggérées ne suffiront pas à vacciner l’ensemble de la population des pays en développement. Actuellement, ces pays n’ont même pas accès aux vaccins antigrippaux saisonniers. Nous ferions donc un grand pas en avant si nous leur donnions un accès, même limité, à un vaccin contre la grippe pandémique. Appelez cela un «intérêt bien entendu»*.
À plus long terme, le Canada doit prendre part à l’élaboration d’une initiative mondiale visant à accroître la capacité internationale de production de vaccins antigrippaux en vue de parvenir à un accord mondial sur la distribution de ces vaccins. C’est là une forme de protection mondiale contre les incendies.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.
*Note du traducteur: C’est Alexis de Toqueville qui a traduit par «intérêt bien entendu» la notion d’enlightened self-interest dans De la Démocratie en Amérique (http://artic.ac-besancon.fr/s_e_s/Fiches%20auteurs/Alexis%20de%20Tocqueville.htm).
RÉFÉRENCES
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