Voudriez-vous qu’un résident aux facultés affaiblies par l’alcool vous soigne? Évidemment pas. Pourquoi, alors, est-il acceptable que des résidents épuisés examinent des patients, assistent les chirurgiens lors d’interventions chirurgicales ou rédigent des ordonnances lorsque leur capacité fonctionnelle est possiblement atteinte à un niveau comparable à celui de l’intoxication alcoolique 1?
La privation de sommeil a une incidence sur l’apprentissage, la cognition, le rendement au travail, le bien-être physique et psychologique ainsi que la vie personnelle. Les résidents ne sont pas miraculeusement immunisés contre le surmenage et ses conséquences 2. Après avoir travaillé de longues heures, les internes et les résidents sons plus susceptibles d’avoir des accidents de voiture, de se piquer accidentellement avec des aiguilles et de commettre de graves erreurs médicales 3,4,5. En privant les résidents de sommeil, on met non seulement leur santé en danger, mais aussi celle des autres.
Pour donner suite à ces préoccupations, certains ont recommandé la réduction des heures de travail pour les programmes de résidence. D’ici le mois d’août 2009, la directive européenne sur le temps de travail limitera à 48 heures la durée maximale moyenne du temps de travail, avec un maximum de 13 heures consécutives, et exigera un temps de repos minimal. En 2003, l’Accreditation Council for Graduate Medical Education (ACGME) des États-Unis a édicté un règlement qui restreint le temps de travail des résidents à un maximum de 80 heures par semaine, avec un quart de travail d’au plus 30 heures. L’année dernière, l’Institute of Medicine des États-Unis a demandé que des restrictions encore plus sévères soient appliquées.
Comme on pouvait s’y attendre, une évaluation des nouveaux règlements de l’ACGME a révélé que, suite à leur mise en application, la qualité de vie des résidents aux États-Unis s’est améliorée, en particulier dans les spécialités chirurgicales. Toutefois, pour certains résidents, la charge de travail n’a pas changé, même si les heures de travail ont diminué, et le niveau de satisfaction face à la formation a baissé ou est restée le même 6. Les prévisions d’une expérience d’apprentissage appauvrie pour les spécialités axées sur la réalisation d’interventions, comme la chirurgie, ne semblent pas s’être matérialisées 7. Pour contrer la baisse possible du nombre d’interactions avec les patients, on a adopté des méthodes d’enseignement novatrices, telles que celles faisant usage de simulateurs d’interventions chirurgicales.
Dans de nombreux hôpitaux, on a transféré à d’autres le travail excédentaire à l’origine effectué par les internes et les résidents. Pour certains programmes, la charge de travail des professeurs s’est accrue, tout comme leur niveau de stress. D’autres établissements ont délibérément créé des unités de non-enseignement et embauché des fournisseurs «remplaçants», tels que des hospitalistes, des infirmières praticiennes et des adjoints au médecin, pour aider ou remplacer les résidents. Pendant des siècles, les hôpitaux universitaires ont bénéficié d’un personnel à faible rémunération. En conséquence, on estime que même les modestes restrictions de l’ACGME ont coûté plusieurs milliards de dollars US.
Ceux qui croyaient que la sécurité des patients serait grandement améliorée si les résidents étaient bien reposés ont été déçus. Les événements indésirables chez les patients mettent souvent en cause plusieurs facteurs dont l’épuisement des résidents n’en est qu’un seul. En réponse aux préoccupations voulant que la sécurité des patients puisse être compromise par une interruption dans la continuité des soins, bon nombre d’établissements ont adopté des politiques de transfert afin d’assurer cette continuité. Le fait est que les patients semblent se porter aussi bien, sinon mieux, depuis l’application des restrictions de l’ACGME 8.
Alors, où en sommesnous? Nous constatons qu’une réforme modeste, bien que coûteuse, des heures de travail des résidents n’a pas vraiment amélioré la sécurité des patients ou la formation des résidents, mais a offert à ces derniers une meilleure qualité de vie. Est-ce que des résidents plus heureux et en santé justifient ce changement? La réponse est oui. En forçant les résidents à demeurer en service alors qu’ils sont épuisés, nous leur envoyons un message clair: il est acceptable dans la profession médicale de travailler au point de l’incapacité fonctionnelle. Or, il faut encourager l’atteinte d’un juste équilibre entre le travail et la vie personnelle et de saines habitudes de vie durant le programme de résidence, et non en dépit de celui-ci.
Comment traitons-nous nos résidents au Canada? Les accords de travail des résidents sont négociés à l’échelle provinciale. La plupart des provinces n’imposent aucune limite quant au nombre maximal d’heures de travail par semaine, et les résidents peuvent être obligés de travailler 24 heures ou plus d’affilée. Cela n’a aucun sens. Les camionneurs, le personnel de transport ferroviaire et les pilotes comptent parmi les professions qui bénéficient d’une durée maximale de travail réglementée et de périodes de repos obligatoires. Une évaluation approfondie des heures de travail des résidents s’impose en vue de leur bien-être. Toute proposition de réduction ou d’ajustement de ces heures de travail devrait être conjuguée à un sérieux examen de son effet sur la formation, car il faut s’assurer que les résidents acquièrent les compétences et les aptitudes nécessaires à l’exercice de leur profession. Ainsi, les Canadiens seront les bénéficiaires d’un effectif compétent et en santé.
RÉFÉRENCES
Footnotes
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Intérêts concurrents: Voir www.cmaj.ca/misc/edboard.shtml
Traduit par le Service de traduction de l’AMC.
REFERENCES
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- 7.
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