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«Nous rencontrerons bientôt [des hauts fonctionnaires] pour obtenir leur soutien au [projet d'agrandissement du Centre de santé Providence] et nous pouvons déjà prévoir qu'ils nous réserverons un accueil plutôt froid en raison de la publicité négative attribuée au Centre. Il est absolument essentiel qu'on nous donne le feu vert pour le (…) projet, et cela n'est certes pas la façon d'y arriver.» «Un manquement à [notre politique envers les médias] est inacceptable et risque d'entraÎner des sanctions disciplinaires (…)» (Courriel envoyé au personnel de direction par le Dr Jeremy Etherington, vice-président aux Affaires médicales, Centre de santé Providence, le 12 avril 2005.)
S'il est vrai que le financement public des soins de santé en Colombie-Britannique est accordé non en fonction des besoins mais d'une bonne presse, peut-être le Dr Etherington a-t-il eu raison de réprimander le Dr Karen Wanger pour avoir parlé aux journalistes du nombre critique de patients en attente à son hôpital. Peut-être a-t-il bien agi, étant donné que le ministre des Finances Colin Hansen a apparemment imputé au compte de simples «hypothèses» la lecture par le Dr Wanger de la situation à l'hôpital St. Paul's de Vancouver1. Si c'est là la crédibilité que le gouvernement accorde à une professionnelle qui compte 14 ans d'expérience dans l'un des plus grands services d'urgence du pays — souhaitons alors beaucoup de chance aux administrateurs de l'hôpital pour améliorer leur image.
Cet épisode délicat nous a amenés à réfléchir sur la responsabilité et la crédibilité des médecins lorsqu'ils prennent la défense des patients. Que reste-t-il de leur crédibilité lorsque les médecins savent que leur établissement peut leur demander de respecter des directives qui les empêchent d'accorder une entrevue aux médias à moins qu'elle ne soit approuvée par le service des communications, ou qui peut leur interdire de participer à tout documentaire allant à l'encontre du mandat, de la vision et des valeurs de l'organisation2? Nous aimerions en savoir plus sur l'esprit et les objectifs de cette politique.
Nous pouvons seulement présumer que les préoccupations du Dr Etherington au sujet de la sensibilité au sein du ministère des Services de santé à l'égard des médias et des répercussions potentiellement négatives pour le projet Legacy du Centre de santé Providence tout comme le signalement par le Dr Wanger de la situation désespérée des patients dans son service d'urgence étaient motivés par le désir d'améliorer les soins aux patients. Toutefois, étant donné que la situation dont a fait état le Dr Wanger n'est pas particulière à son hôpital, et comme les prestateurs dans un grand éventail de milieux de soins sont aux prises avec des situations qui sollicitent leur responsabilité éthique de prévenir les patients et la population de la présence de sérieux problèmes, il s'impose d'examiner de plus près cette responsabilité, en écartant les cas d'espèce.
Les médecins ont-ils l'obligation de faire passer les mises en garde, les critiques ou les mauvaises nouvelles de tout genre par les filtres des services des communications de leurs établissements? Est-il juste d'imposer une telle exigence à des médecins d'une profession autoréglementée? De tels filtres peuvent avoir des raisons-d'être légitimes, notamment d'assurer la clarté et l'exactitude du message, mais à quel moment l'ajout de nuances se transforme-t-il en modulation de la vérité? Et qui doit décider?
Nous estimons que lorsqu'il s'agit de problèmes qui touchent des établissements publics de soins de santé, la transparence absolue constitue la meilleure façon de préserver la confiance du public et la sécurité des patients et d'appuyer les forces positives du changement. Nous avons été témoins récemment d'une certaine mesure de camouflage de la vérité au sujet de l'incidence de l'infection de Clostridium difficile dans des hôpitaux du Canada par les politiques des services des communications et des porte-parole officiels; plus insidieusement, nous avons vu des médecins se bâillonner eux-mêmes en anticipant la désapprobation de leurs collègues ou supérieurs. Or, si l'on avait sonné l'alarme plus tôt et plus fort, moins de patients seraient entrés à l'hôpital pour une chirurgie élective sans savoir qu'ils s'exposaient peut-être à un risque inhabituellement élevé d'infection à C. difficile3,4.
Les médecins, les infirmières et les autres professionnels de la santé, au moment d'opter pour la franchise ou le silence, doivent soupeser leurs responsabilités envers leur établissement et leur devoir envers les patients et le public découlant de leur serment d'Hippocrate. Sans aucun doute, il y a de bonnes et de mauvaises façons de transmettre une mauvaise nouvelle. Mais tout établissement de santé qui est porté à ne pas tolérer des opinions impopulaires, une dissension de conscience ou une dénonciation ferait bien d'examiner les risques d'une telle intolérance — notamment le risque de perdre sa crédibilité et la confiance du public, de retarder un changement positif et de s'enfermer dans des jeux politiques.
Même si la confiance du public dans les médecins repose principalement sur les compétences et l'expertise professionnelles au niveau de chaque patient, cette confiance va au-delà du patient pour englober la recherche, l'éducation et la prestation des soins de santé. Le public s'attend à ce que les médecins défendent leur mieux-être individuel et collectif. Comme l'écrit William Sullivan, «en tant que profession, la médecine doit protéger et promouvoir cette confiance dans la société en général.5» Parmi les «responsabilités fondamentales» des médecins, le Code de déontologie de l'AMC prévoit «la défense des intérêts de la profession ou du public»6. Même à cela, le rôle de défenseur des médecins n'est qu'un aspect secondaire dans le Code de déontologie. C'est un rôle qui mérite un examen plus approfondi, car il ne peut que devenir plus important et plus exposé à la critique. — JAMC
References
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