L'annonce portant sur le séquençage préliminaire du génome humain diffusée en 20011,2 a suscité énormément d'espoir et un grand battage publicitaire. On avait ouvert «le livre de la vie»3 et les secrets non seulement des phénomènes pathologiques, mais aussi du développement normal, étaient à portée de la main. Il est certes excitant de penser que des troubles courants comme les cardiopathies et l'asthme4, voire même des sensibilités à des événements médicamenteux indésirables5, peuvent comporter des composantes génétiques que nous réussirons un jour à identifier et même à modifier.
Avant le Projet du génome humain, si l'une ou l'autre des deux parties avait l'avantage dans le débat sur la nature et la culture, c'était probablement les te-nants de la culture, qui ont entretenu notre compréhension des effets de la socioéconomique, de la nutrition, de l'éducation et du vécu de la petite enfance. La croyance en l'égalité des chances a balayé le déterminisme génétique — ainsi que le mouvement de l'eugénique. Avec la popularité de la génétique moléculaire, l'argument en faveur de la «nature» a toutefois acquis une sophistication et un lustre nouveaux : on commence à croire que ce sont en réalité nos gènes qui nous définissent avec une subtilité exquise. Si le concept est acceptable, c'est seulement parce que nous commençons aussi à croire que nous pourrons un jour maÎtriser notre moi génétique grâce à des diagnostics et des pharmacothérapies personnalisés et aux corrections moléculaires rendues possibles par la génothérapie. Voilà un déterminisme génétique différent.
Vraiment? Avons-nous oublié le spectre de l'eugénique? De nombreux patients qui ont donné du sang afin d'aider à identifier le gène à l'origine de leur maladie affirmeront l'avoir fait en espérant que les résultats de la recherche aideraient à traiter des gens comme eux. Les génothérapies ont toutefois beaucoup de retard habituellement sur le gé nodiagnostic et la détection prénatale, et l'interruption de grossesse est souvent la seule intervention médicale que nous ayons à offrir. Conjuguée à l'absence de protection contre la discrimination génétique6, l'apparition d'une nouvelle technique génétique ne peut que rendre plus insidieuses les pressions économiques et sociales poussant à produire, comme à la belle époque du mouvement de l'eugénique, des «familles en meilleure condition physique».
Les micropuces à ADN et d'autres technologies7 (voir page 253) peuvent peut-être permettre de dépister une foule de lacunes génétiques rapidement et à peu de frais. On peut imaginer le jour où l'on pourra envoyer un échantillon de sang à un service commercial de diagnostic par Internet pour le dépistage de dizaines de problèmes allant de l'hémochromatose héréditaire jusqu'à la ma-ladie d'Alzheimer ou la dépression. Ces tests peuvent vraiment inciter un grand nombre d'entre nous (ainsi que nos compagnies d'assurance, employeurs et gouvernements) à considérer que nous ne sommes pas en bonne santé, sans toutefois être encore malades8 (voir page 275).
Ce sont les médecins de première ligne qui finiront sans doute par défendre la culture contre les incursions de l'autoconscience génétique. Leur plus grand défi consistera peut-être à aider les patients à comprendre qu'il est rare que les gènes révèlent tout. Pour la plupart, ils ne nous condamnent pas à des caractéristiques ou à des maladies autant qu'ils nous y prédisposent. En attendant que la révolution des produits génothérapeutiques rattrape celle du diagnostic, les médecins de première ligne devront peut-être continuer de faire ce qu'ils ont toujours fait, soit aider les patients à modifier les autres facteurs de risque qui agissent en synergie avec les chromosomes dont nous avons hérité. — JAMC
References
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