L’intérêt d’un modèle d’étude du rapport coût-efficacité des interventions pour traiter le trouble dépressif majeur au Canada ========================================================================================================================================== * Fiona Clement * Julia Kirkham [Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231441](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E1518); [voir l’article connexe (en anglais) ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.221785](http://www.cmaj.ca/lookup/volpage/195/E1499) Points clés * Une étude connexe a montré que l’utilisation de tests pharmacogénomiques pour orienter le traitement des personnes atteintes d’un trouble dépressif majeur (TDM) permettait à la fois de réaliser des économies et d’améliorer les résultats cliniques, ce qui est rare dans le domaine des soins de santé. * Cependant, le rapport coût-efficacité n’est qu’un des facteurs à prendre en compte dans la prise de décision fondée sur des données probantes, l’abordabilité d’un investissement initial représentant un défi majeur dans des systèmes où tous les fonds ont déjà été alloués. * L’accès aux options thérapeutiques pour le TDM et leur remboursement par les régimes publics n’est pas uniforme au Canada, et les évaluations du rapport coût-efficacité des tests pharmacogénomiques devraient prendre en compte toutes les options thérapeutiques disponibles et recommandées par les lignes directrices, et non seulement celles qui sont disponibles localement. * Le modèle solide élaboré dans le cadre de cette étude représente une infrastructure de recherche précieuse et nécessaire qui devrait être utilisée de façon répétée pour appuyer la prise de décision fondée sur des données probantes dans les systèmes de santé. Le trouble dépressif majeur (TDM) est l’une des principales causes d’incapacité au Canada, et sa prévalence est en hausse malgré les progrès considérables accomplis dans les options thérapeutiques offertes et la disponibilité des médicaments anti-dépresseurs1. Pourtant, environ 30 % seulement des personnes atteintes de TDM se rétablissent après s’être fait prescrire une pharmacothérapie de première intention2. Pour la proportion considérable de personnes qui ne se rétablissent pas du premier coup s’ensuit un processus souvent frustrant (tant pour la patientèle que pour les prestataires de soins) d’essais et d’erreurs avant de trouver le bon médicament. Les tests pharmacogénomiques peuvent limiter les tâtonnements en guidant les médecins prescripteurs vers un traitement dont l’efficacité et la tolérance sont optimales. Dans une étude connexe, Ghanbarian et ses collègues3 ont cherché à déterminer si un traitement guidé par la pharmacogénomique était associé à de meilleurs résultats cliniques et représentait un bon rapport qualité-prix en utilisant un modèle économique rigoureux et validé qui simulait une cohorte de 194 149 personnes atteintes de TDM dans le but d’établir le rapport coût-efficacité du recours aux tests pharmacogénomiques dans le système de santé en Colombie-Britannique. Ils ont constaté que le recours aux tests pharmacogénomiques chez la patientèle atteinte d’une forme modérée à sévère de dépression pourrait entraîner des économies totales de 956 millions de dollars et un gain d’années de vie ajustée en fonction de la qualité (AVAQ) sur un horizon temporel de 20 ans. Bien qu’il soit utile de connaître le rapport coût-efficacité des tests pharmacogénomiques pour le TDM, l’étude connexe pourrait nous apporter bien plus encore. Nous souhaitons établir la façon dont le modèle utilisé pourrait contribuer de manière plus générale à faire progresser la prise de décision fondée sur des données probantes dans les soins de santé au Canada. Il est rare de trouver des interventions qui permettent à la fois de réduire les coûts et d’améliorer les résultats cliniques4. L’une des présentations visuelles des analyses coût-efficacité est le graphique du rapport coût-efficacité différentiel (figure 3 dans l’étude connexe)3. Ce graphique, divisé en 4 quadrants et centré sur 0 pour les coûts et les AVAQ, représente les incréments de coût sur l’axe des y et les incréments d’AVAQ sur l’axe des x. Dans le domaine des soins de santé, la plupart des interventions se situent dans le quadrant supérieur droit, ce qui signifie qu’elles sont à la fois plus efficaces et plus coûteuses que l’approche habituelle. Le quadrant inférieur droit est surnommé « le choix évident », car les interventions qui s’y situent coûtent moins cher et sont plus efficaces que la pratique actuelle et, du point de vue du système de santé, leur adoption devrait emporter facilement l’adhésion4. Bien entendu, le rapport coût-efficacité n’est qu’un des facteurs entrant dans la prise de décision fondée sur des données probantes dans le domaine des soins de santé, où les ressources sont limitées. Parmi les autres facteurs à considérer, mentionnons la capacité immédiate de l’intervention à sauver des vies, l’incidence sur la qualité de vie, le nombre de personnes admissibles à l’intervention, l’état de santé initial de la population admissible au traitement, la probabilité de réussite du traitement, et l’incidence de l’intervention sur l’équité5,6. En réalité, l’adoption d’une intervention qui se situe dans le quadrant « choix évident » sur le plan du rapport coût-efficacité différentiel nécessite tout de même un investissement initial supplémentaire. Dans le cas des tests pharmacogénomiques, il s’agirait des 121 millions de dollars nécessaires pour mettre en place l’infrastructure de test. Pour les systèmes dans lesquels tous les fonds sont déjà alloués, l’abordabilité et le coût d’opportunité associé à la recherche d’un financement immédiat dans un budget demeurent un défi. Le rapport coût-efficacité des tests pharmacogénomiques dépendra également de l’accès aux options thérapeutiques recommandées dans les lignes directrices. En particulier dans le contexte des services de santé mentale, où la variation des traitements financés par les fonds publics à travers le Canada est considérable7. Par exemple, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr), une option thérapeutique recommandée dans les lignes directrices pour la patientèle chez qui au moins 1 antidépresseur a échoué8, n’est pas remboursée par les régimes publics en Colombie-Britannique, alors qu’elle l’est ailleurs au Canada9,10. Ghanbarian et ses collègues n’ont pas pris en compte les particularités de la SMTr dans leur modèle économique. Pour être globalement plus pertinents, les tests pharmacogénomiques devraient être évalués en rapport à toutes les autres options thérapeutiques efficaces, plutôt qu’en rapport avec celles qui sont disponibles dans un système donné. Cependant, le modèle détaillé utilisé par Ghanbarian et ses collègues3 représente une infrastructure de recherche précieuse et nécessaire. Le modèle simule soigneusement l’évolution du TDM en faisant passer une cohorte de personnes du diagnostic aux traitements, aux phases d’entretien, aux récurrences et au rétablissement selon un cycle hebdomadaire; il a été exhaustivement validé, ce qui signifie qu’on peut démontrer, chiffres à l’appui, qu’il fonctionne comme il le devrait; et il a été élaboré en collaboration avec la patientèle, ce qui, bien que rare dans les modèles économiques, est nécessaire pour incorporer les décisions et les résultats importants pour elle. Grâce à ce modèle, il est désormais possible d’évaluer rapidement le rapport coût-efficacité de n’importe quel type d’intervention pour les personnes atteintes de TDM. Une personne ayant un pouvoir décisionnel pourrait ainsi obtenir en quelques semaines de l’information provenant de source fiable sur le rapport coût-efficacité d’une approche thérapeutique nouvelle ou émergente telle que la kétamine ou un modèle de soins en collaboration pour le traitement de la dépression dans le cadre des soins primaires11. Ghanbarian et ses collègues ont investi énormément de temps, de ressources humaines et de financement de la recherche dans leur modèle3. Maintenant que cette infrastructure de recherche canadienne a été créée, elle devrait être utilisée, encore et encore, pour éclairer la prise de décision fondée sur des données probantes et axée sur la valeur. ## Footnotes * **Intérêts concurrents:** Aucun déclaré. * Cet article a été commandé et n’a pas été révisé par des pairs. * **Collaborateurs:** Les autrices ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. This is an Open Access article distributed in accordance with the terms of the Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0) licence, which permits use, distribution and reproduction in any medium, provided that the original publication is properly cited, the use is noncommercial (i.e., research or educational use), and no modifications or adaptations are made. See: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/) ## Références 1. Lang JJ, Alam S, Cahill LE, et al. Global Burden of Disease Study trends for Canada from 1990 to 2016. CMAJ 2018;190:E1296–304. [Abstract/FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiQUJTVCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMjoiMTkwLzQ0L0UxMjk2IjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjE6Ii9jbWFqLzE5Ni80L0UxNDQuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 2. 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