Il y a quelques mois, on m’a donné un nouveau cœur. Plus précisément, on m’a posé une nouvelle valve mitrale, et ça a changé ma vie (figure 1). Pendant l’intervention, une opération à cœur ouvert à effraction minimale, le chirurgien cardiovasculaire a pratiqué une incision de cinq cm entre deux côtes du côté droit du thorax. Puis, il a ouvert mon cœur et a retiré la valve mitrale malade. Elle était marquée de cicatrices et son ouverture était réduite en raison d’une sténose mitrale progressive, causée par du rhumatisme articulaire aigu contracté pendant mon enfance. Le chirurgien et son équipe ont cousu une nouvelle valve toute lisse, en carbone pyrolytique, entre l’oreillette et le ventricule gauches.
Un nouveau cœur.
Photographie de Teresa Hanlon.
Dit comme ça, cette intervention peut paraître simple, mais il s’agit d’un miracle d’expertise médicale, de travail d’équipe et de technologie. En tout et pour tout, l’intervention a duré environ cinq heures et, comme il aurait été difficile de coudre sur un cœur qui bat, le mien est demeuré inactif pendant deux heures.
Quelques semaines avant la chirurgie, un ami m’a demandé si je pouvais lui faire une faveur pendant que mon cœur serait à l’arrêt : lorsque je serais « là-bas », il voulait que je trouve les prochains numéros gagnants du Lotto Max et que je les lui rapporte. Comme mon deuxième prénom est Maximilian, je lui ai dit que je ferais mon possible.
Plusieurs jours plus tard, alors que je reprenais connaissance aux soins intensifs, je me suis souvenu d’avoir donné une série de nombres à ma conjointe et de lui avoir demandé de les envoyer à mon ami par courriel. Deux jours après, j’ai reçu une brève réponse : « Peut-être que ces numéros étaient ceux d’un autre jour. “
Mon incapacité à mettre la main sur la combinaison gagnante préfigurait mon rétablissement ponctué d’épreuves.
Le premier jour postopératoire, mon chirurgien est passé me voir aux soins intensifs pour me dire que tout s’était bien déroulé. Il m’a décrit certaines difficultés techniques qui s’étaient présentées en raison des cicatrices laissées par ma première opération à cœur ouvert 40 ans plus tôt. Il semblait détendu, posé et sincère dans sa description rassurante de l’intervention. Il m’a dit qu’il me reverrait six semaines plus tard. Mon rétablissement, qui devait se faire sans heurt ni effort, n’était qu’à six petites semaines de là.
Durant la conversation téléphonique pour obtenir mon consentement quelques semaines avant l’opération, nous avions discuté des complications possibles : saignements, accident vasculaire cérébral (AVC), formation de caillots dans la nouvelle valve, infection … . Des histoires terrifiantes, mais rares. Nous avons convenu qu’il était temps de remplacer la valve pour arrêter la dégradation progressive de mon fonctionnement cardiaque et pulmonaire (c’est-à-dire l’aggravation de mon hypertension pulmonaire).
Je ne pense pas que nous ayons abordé le travail du rétablissement pendant cet appel, c’est-à-dire le travail permettant de passer du point A — d’un patient inconscient, muni d’une nouvelle valve dans un cœur silencieux et immobile — au point B — à un homme de 70 ans qui se rend de nouveau au Sonder Cafe à vélo, joyeusement et facilement; le travail que j’aurais à faire pour recouvrer la vitalité du corps en action, comme on pourrait le lire dans Wanderlust: a history of walking (L’Art de marcher) de Rebecca Solnit1.
Un dimanche après-midi, trois jours après l’opération, j’étais prêt à recevoir mon congé. La personne qui me suivait en physiothérapie m’a dit de m’attendre à ce que mes capacités physiques s’améliorent de 1 % par jour, ce qui signifiait qu’il me faudrait 100 jours, ou un peu plus de trois mois, avant de pouvoir faire du vélo et nager de nouveau. Toutefois, 11 plaies devaient d’abord guérir. Onze incisions et petits orifices avaient permis l’introduction d’instruments, d’outils et d’appareils dans mon corps : un scalpel pour pratiquer l’incision, des drains thoraciques, un thoracoscope, un cathéter central, un stimulateur cardiaque et une poignée de cathéters plus ou moins longs pour accéder à l’intérieur des veines et des artères, sans compter le soulagement de la douleur. Et un autre fardeau, autant d’ordre psychologique que physique, pesait sur moi : je devais survivre 30 jours si je voulais faire ma demande d’indemnisation à mon assurance contre les maladies graves. Bon moment pour écouter la chanson Stayin’ Alive des Bee Gees.
Ma convalescence a bien commencé mais, au 15e jour, une amaurose fugace, soit une perte temporaire de la vision, m’a fait perdre mes moyens. Pendant quelques minutes, je ne voyais plus rien de l’œil droit, puis ma vision est revenue. J’ai presque fait un AVC de l’œil. Après cet incident, j’ai eu une discussion rapide avec les membres de l’équipe médicale et nous avons convenu d’ajouter une faible dose d’aspirine à l’anticoagulant que je prenais déjà. Bon moment pour écouter la chanson I Can See Clearly Now de Johnny Nash.
Me rapprochant du crucial 30e jour de survie, j’ai passé tout un après-midi en imagerie diagnostique à mon hôpital local, où on a inséré un cathéter dans mon thorax et drainé près de deux litres de liquide (en jargon médical, une thoracocentèse pour évacuer un épanchement pleural complet du côté droit). Je ne recommande pas cette intervention pour perdre du poids. Comme je n’avais plus besoin d’aller uriner plusieurs fois par nuit, mon sommeil s’est amélioré. Le drainage de ce surplus de liquide a aussi diminué les nausées persistantes et augmenté mon appétit, et m’a redonné une certaine joie de vivre (figure 2).
Premiers pas de l’auteur vers son rétablissement complet, potence pour intraveineuse à la main.
Photographie de Sebastian Hanlon.
J’étais soulagé de finalement atteindre le 30e jour mais, un mois plus tard, le chirurgien et moi faisions face à une autre accumulation de liquide résiduel : une masse de la taille d’un œuf dans l’aine droite (une lymphocèle), au point d’accès des conduits de dérivation cardiaque. Après deux tentatives infructueuses pour drainer « l’œuf », mon chirurgien a décidé de l’examiner et d’y remédier. Cette nouvelle plaie a pris plus d’un mois à guérir. Pendant tout ce temps, j’étais incapable de fléchir la hanche sans douleur, ou de me pencher pour enfiler une chaussette ou nouer les lacets de ma chaussure droite. Les escaliers représentaient une épreuve. Je me limitais aux pas absolument nécessaires.
Au bout de trois mois, le café était encore complètement hors de portée, à mon grand dam. L’inactivité prolongée a son prix : ma force, ma flexibilité, ma mobilité, ma coordination et ma confiance ont fondu. Mes activités quotidiennes comme la marche, la nage, le vélo, le ping-pong et les étirements me manquaient terriblement. J’ai commencé mes 12 semaines d’exercice supervisé (ou de réadaptation cardiaque). Deux fois par semaine, je faisais une séance de marche ou de cardiovélo au son de la musique des Variations Goldberg de Bach, que j’écoutais avec mes aides auditives. Je m’étirais, soulevais des poids et enregistrais mon pouls irrégulier et ma saturation en oxygène en l’agréable compagnie d’autres patients et du personnel enthousiaste. Ce n’est pas un parcours solitaire. Ensemble, nous nous investissions tous pour nous rétablir au maximum. La nouvelle valve est un cadeau : elle s’est ouverte et fermée plus de 10 millions de fois depuis le premier jour. La présence encourageante de mes partenaires de réadaptation a été extraordinaire.
Y a-t-il eu un moment décisif dans ce parcours du point A au point B? Quatorze semaines après l’opération, après beaucoup d’impatience, j’ai pu retourner à la piscine. En me donnant une poussée à partir du mur, j’ai tout de suite redécouvert le délice de me retrouver presque en apesanteur. La rapidité avec laquelle mes bras, mes jambes, ma tête, mon tronc et ma respiration se sont remis à travailler de concert m’a surpris. La tête a pris peu de temps à retrouver son rituel de nage en longueur. Je pensais à des amis, à mes petits-enfants et aux membres de l’équipe médicale alors que j’allais et venais tranquillement le long du corridor de nage. Chaque mouvement me propulsait, plein de reconnaissance, les bras tendus vers ma nouvelle vie active.
Footnotes
Cet article a été révisé par des pairs.
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