En raison de leur taux de réaction hépatique indésirable faible et de leur taux d’achèvement élevé par rapport aux autres schémas, les schémas à base de rifamycine sont de plus en plus fréquents pour prendre en charge les personnes atteintes d’infection tuberculeuse.
Le syndrome pseudogrippal induit par la rifampicine est généralement une maladie bénigne associée aux schémas intermittents (prise hebdomadaire), mais peut aussi survenir avec l’administration quotidienne de doses plus faibles.
Les symptômes pseudogrippaux légers peuvent être traités avec la prise à court terme d’analgésiques sans ordonnance.
En cas d’interruption temporaire du traitement en raison du syndrome pseudogrippal, une réaction plus grave, dont le choc, peut survenir dans de rares cas à la reprise du traitement.
Les personnes malades devraient être encouragées à reprendre le traitement dans un lieu où des soins médicaux sont accessibles en cas d’apparition de symptômes gravissimes.
Une jeune fille de 15 ans, originaire d’un pays au fardeau de la tuberculose élevé, était suivie par une clinique d’infectiologie tertiaire en raison d’une infection tuberculeuse (IT) latente diagnostiquée par un test QuantiFERON-TB Gold Plus. Elle avait des antécédents d’anémie ferriprive (hémoglobine 97–104 g/L [plage normale 112–151]) et de lupus érythémateux disséminé (LÉD) modéré, compte tenu de la présence de polyarthrite non érosive symétrique, d’alopécie non cicatricielle, de photosensibilité, du phénomène de Raynaud, et de résultats positifs pour les anticorps antinucléaires, anti-Smith et antiribonucléoprotéiques. Son traitement médicamenteux comprenait du naproxène (375 mg 2 fois par jour) et de l’hydroxychloroquine (5,5 mg/kg/j); elle n’avait pas pris de corticostéroïdes depuis plusieurs années. Le traitement initial, 600 mg de rifampicine (10 mg/kg/j), a été bien toléré pendant 11 jours. Les 3 jours suivants, la patiente a connu des frissons et une myalgie qui ont duré plusieurs heures, quelques heures après l’ingestion de la rifampicine. Le traitement a été interrompu pendant 3 jours, sans réapparition des symptômes.
Après un examen en personne, aux résultats normaux à l’exception de la présence d’arthrite dans 2 articulations, la reprise de la rifampicine a été conseillée. Moins d’une heure après la prise, une cervicalgie, une myalgie, une arthralgie, un essoufflement et une douleur thoracique intenses et aigus sont apparus. Pendant le trajet en ambulance jusqu’au service d’urgence, la patiente a reçu un bolus liquidien en raison de son hypotension (80/40 mm Hg). À l’examen physique, elle était fébrile (38,3 °C), tachypnéique (28 respirations/min, saturation à 99 %) et tachycardique (123 battements/min), avec une pression artérielle faible, qui est redevenue normale (91/52 mm Hg), et un poids de 60 kg. Elle ne présentait pas d’œdème de Quincke, d’éruption cutanée, de respiration sifflante, ni de symptôme gastro-intestinal. Un soluté intraveineux et un traitement empirique composé de vancomycine et de ceftriaxone ont été administrés. Trois heures après l’apparition des symptômes, l’hypotension (89/36 mm Hg) et la diaphorèse sont revenues, nécessitant une réanimation liquidienne et des perfusions de noradrénaline et d’adrénaline. La patiente a été admise à l’unité des soins intensifs.
L’examen physique n’a pas montré d’éruption cutanée ou d’atteinte des muqueuses. Les analyses sanguines ont révélé une baisse de la numération leucocytaire au moment de l’admission (2,84 × 109/L [plage normale 4,23–9,99 × 109/L]), qui est passée à 17,34 × 109/L 6 heures plus tard, avec une numération basse des éosinophiles (0,00 × 109/L [plage normale 0,02–0,51 × 109/L]) ne s’améliorant pas. Le deuxième jour d’hospitalisation, son taux d’hémoglobine est descendu à 74 g/L après la réanimation liquidienne. Ses taux de bilirubine et d’haptoglobine étaient normaux, le test direct à l’antiglobuline était négatif et son frottis sanguin n’a pas montré de schizocytes.
Les marqueurs d’inflammation étaient élevés, avec un dosage de la protéine C réactive (PCR) de 13,6 mg/L (valeur normale < 1,7 mg/L) à l’admission, qui est monté à 101,8 mg/L environ 24 heures plus tard, tandis que le dosage de l’aspartate aminotransférase est passé de 71 U/L (valeur normale < 31 U/L) à 99 U/L dans la même période. Le taux de complément C3 était légèrement faible (0,76 g/L [plage normale 0,83–1,52 g/L]) et le taux de complément C4 était normal, tout comme le taux de créatinine kinase. Comme une selle turcique partiellement vide avait été observée à l’imagerie par résonance magnétique, le taux de cortisol de la patiente a été analysé; le résultat était élevé : 605 nmol/L (plage normale 30–254 nmol/L pour un prélèvement nocturne).
La cervicalgie, la rigidité de la nuque et le choc intenses ont conduit l’équipe des soins intensifs à soupçonner une sepsie et à demander des examens complémentaires. La tomodensitométrie (TDM) de la tête et l’échocardiogramme étaient normaux; une angiotomodensitométrie du cou n’a pas montré de thrombus infecté ou de tissus mous rétropharyngés œdémateux, mais a révélé une myosite localisée. Une radiographie thoracique a décelé un léger œdème pulmonaire, attribué à la réanimation liquidienne, qui a réagi à la diurèse; un important épaississement septal bilatéral avec des opacités en verre dépoli est apparu à l’imagerie tomodensitométrique des poumons. Le bilan infectieux, composé de cultures de sang, d’expectoration, de spécimens de gorge et de liquide céphalorachidien, et les analyses sérologiques de dépistage du virus d’Epstein–Barr, du cytomégalovirus et des mycoplasmes étaient négatifs, à l’instar du test de dépistage du SRAS-CoV-2 par réaction en chaîne par polymérase.
En raison de la suspicion d’infection, la patiente a reçu, à l’unité des soins intensifs, une dose de rifampicine qui a fait passer sa pression artérielle à 93/39 mm Hg. Sa dose de vasopresseurs a alors été augmentée pendant 6 heures (0,04–0,06 μg/kg/min de noradrénaline). L’administration de rifampicine a été interrompue et les vasopresseurs ont été progressivement arrêtés dans les 30 heures suivant l’admission. Nos équipes sont intervenues après cet épisode. Nous avons attribué la présentation de la patiente à une réaction indésirable à la rifampicine et lui avons prescrit de l’isoniazide pour traiter l’IT. Le traitement, qu’elle a suivi pendant 9 mois, s’est avéré efficace. Nous lui avons conseillé d’éviter les médicaments contenant de la rifamycine à l’avenir.
Discussion
Le syndrome pseudogrippal induit par la rifampicine est une réaction d’hypersensibilité de type III se manifestant généralement 1–4 heures après l’ingestion du médicament, mais des cas de réactions différées jusqu’à 8–12 heures plus tard ont été recensés. Les symptômes durent habituellement 8 heures et comprennent souvent de la fièvre, des frissons, des malaises, des céphalées et des arthralgies. En cas de reprise d’un traitement interrompu en raison d’une réaction indésirable à un médicament, une hypotension et un choc peuvent survenir à de rares occasions, et disparaître en 24 heures dans la plupart des cas1–6. La terminologie employée dans la littérature scientifique varie; nous qualifions ce tableau clinique grave de syndrome pseudogrippal avec choc induit par la rifampicine.
De tels cas ont été rapportés pour tous les médicaments de la famille des rifamycines, dont fait partie la rifampicine1,2,4. La physiopathologie de ce syndrome reste obscure, mais son apparition est associée à la présence d’anticorps anti-rifampicine. Néanmoins, le dosage de ces anticorps n’apporte rien au diagnostic ou à la prise en charge du syndrome, étant donné que des personnes peuvent être symptomatiques en leur absence, tandis qu’ils sont parfois présents chez des personnes tolérant la rifampicine1,3. Le diagnostic peut être établi à partir d’une évaluation clinique des symptômes, d’un examen physique et des résultats d’analyses de laboratoire disponibles, après l’exclusion des autres causes.
Le sexe féminin et l’avancée en âge augmentent le risque de syndrome pseudogrippal induit par la rifampicine7. Le VIH est associé à un risque faible8, tandis que le LÉD et autres maladies auto-immunes ne font pas partie des facteurs de risque d’apparition ou de gravité du syndrome9. Les facteurs de risque iatrogènes comprennent la longue durée du traitement (p. ex., plus de 3 mois), le dosage intermittent (p. ex., 1 fois par semaine) et l’augmentation de la dose (qui n’est toutefois pas clairement définie dans ce contexte); le syndrome peut néanmoins se manifester sans aucun facteur de risque10.
Le tableau clinique de notre patiente était typique d’une réaction indésirable à la rifampicine, sans pour autant éliminer l’obligation de rechercher d’autres diagnostics. Les infections ont été exclues, et la présentation était atypique pour une poussée de LÉD : aucun signe d’embolie pulmonaire n’expliquait l’hypotension, et la hausse des taux de PCR n’était pas accompagnée de sérite ou de syndrome hémophagocytaire, fait inhabituel en cas de poussée. La patiente n’avait pas d’insuffisance surrénalienne, survenant parfois en cas d’hypotension et de choc. Aucun cas de réaction de Jarisch–Herxheimer entraînant un syndrome pseudogrippal n’a été recensé pour une IT latente. L’apparition relativement soudaine de l’hypotension peut suggérer une anaphylaxie, mais une véritable réaction anaphylactique de type I était improbable compte tenu des symptômes associés comme la fièvre et des marqueurs d’inflammation élevés. Enfin, elle n’avait pas de thrombopénie, d’hémolyse ou d’insuffisance rénale aiguë, réactions indésirables aux rifamycines rares1,2.
Les Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse recommandent fortement 2 schémas à base de rifamycine en première intention pour traiter l’infection tuberculeuse, à savoir une dose quotidienne de rifampicine pendant 4 mois ou une dose hebdomadaire de rifapentine (type de rifamycine à action prolongée) et d’isoniazide pendant 3 mois11. Ces schémas ont l’avantage de diminuer les réactions hépatiques indésirables par rapport aux 9 mois de prise quotidienne d’isoniazide et d’être associés à un taux d’achèvement de traitement plus élevé12. Environ 3,5 % des personnes recevant le schéma thérapeutique à base de rifapentine développent une réaction pseudogrippale12 et 0,2 % développent une hypotension nécessitant une perfusion intraveineuse, voire des vasopresseurs. Le taux de syndrome pseudogrippal provoqué par le schéma quotidien à base de rifampicine est inconnu, mais on estime que le symptôme est rare13. Compte tenu de la mise à jour des recommandations thérapeutiques dans les Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse, le recours à la famille des rifamycines pour traiter la tuberculose devrait augmenter au Canada, ce qui entraînera probablement un plus grand nombre absolu de cas de réactions indésirables provoquées par les rifamycines, en particulier de syndrome pseudogrippal. Les lignes directrices de prise en charge de l’infection et de la maladie tuberculeuses devraient être actualisées pour mieux éclairer la reprise des rifamycines et les conseils à donner aux malades sur ce médicament9,13. Nous suggérons aux personnes qui pensent avoir subi une réaction indésirable à un médicament de la famille des rifamycines de parler à leur médecin traitant pour éviter les interruptions de traitement inutiles et, en cas d’arrêt du traitement à la suite d’une telle réaction, envisager quand le reprendre. En cas d’apparition d’un syndrome pseudogrippal léger avec la prise hebdomadaire de rifapentine, un schéma de prise quotidienne de rifampicine peut être toléré1,2,5. Si ce traitement entraîne des symptômes pseudogrippaux, des antipyrétiques et des analgésiques disponibles sans ordonnance peuvent être administrés, mais leur efficacité n’est pas établie. La reprise du traitement à base de rifamycine après une interruption en raison de symptômes pseudogrippaux comporte un risque très faible de survenue d’une réaction plus grave2. Les prestataires de soins de santé doivent donc planifier la reprise en tenant compte de l’accessibilité des soins adéquats (p. ex., perfusion intraveineuse). L’adrénaline intramusculaire devrait être envisagée s’il n’est pas possible d’administrer des vasopresseurs par voie intraveineuse, bien qu’il n’existe pas de données sur son efficacité. Si la nouvelle tentative d’administration du traitement à base de rifamycine est tolérée, les données disponibles suggèrent d’observer la personne pendant 1 heure. Après une réaction grave, la famille des rifamycines doit être évitée. Si aucun autre traitement n’est possible (p. ex., résistance à l’isoniazide), le traitement à base de rifamycine doit être remis en route sous la supervision de prestataires de soins de santé qui se spécialisent dans la prise en charge des graves réactions médicamenteuses. Il n’existe pas de données sur le succès de la désensibilisation pour le syndrome pseudogrippal.
En raison de leur innocuité globale et de leur taux d’achèvement supérieur, les schémas à base de rifamycine sont à présent les traitements de prédilection de l’IT. Il est important que les prestataires de soins de santé identifient les symptômes pseudogrippaux provoqués par les agents à base de rifamycine, conseillent correctement les malades avant le début du traitement et prennent en compte l’accessibilité des soins adéquats en cas de reprise du médicament après son arrêt pour cette raison.
La section Études de cas présente de brefs rapports de cas à partir desquels des leçons claires et pratiques peuvent être tirées. Les rapports portant sur des cas typiques de problèmes importants, mais rares ou sur des cas atypiques importants de problèmes courants sont privilégiés. Chaque article commence par la présentation du cas (500 mots maximum), laquelle est suivie d’une discussion sur l’affection sous-jacente (1000 mots maximum). La soumission d’éléments visuels (p. ex., tableaux des diagnostics différentiels, des caractéristiques cliniques ou de la méthode diagnostique) est encouragée. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Renseignements destinés aux auteurs : www.cmaj.ca
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement de la patiente.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception du travail. Gousia Dhhar et Jeanine McColl ont rédigé le manuscrit. Tous les auteurs ont révisé de façon critique son contenu intellectuel important, ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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