C’est avec beaucoup de plaisir et de fierté que je vous présente une série d’articles qui portent sur la santé des personnes noires au Canada et explorent le racisme anti-Noirs dans le domaine des soins de santé au pays.
Cette série est le fruit d’une rencontre tenue à la fin de 2020, entre 2 codirectrices du Black Health Education Collaborative (effort collaboratif pour l’éducation sur la santé des Noirs —BHEC), la Dre Onye Nnorom et la Dre OmiSoore Dryden, le Dr Andreas Laupacis et moi-même, peu de temps après le meurtre de George Floyd. La Dre Nnorom et la Dre Dryden ont alors proposé que le CMAJ fasse preuve de solidarité avec les communautés noires du Canada en publiant un numéro spécial sur le racisme anti-Noirs et ses effets sur la santé des gens au Canada. Nous avons refusé. Les numéros spéciaux représentent beaucoup de travail, et notre personnel était déjà submergé, car les communications soumises avaient plus que doublé au cours de la première année de la pandémie. Nous avons plutôt proposé de créer une collection du CMAJ regroupant les articles portant sur la santé des personnes noires. La Dre Nnorom et la Dre Dryden nous ont expliqué pourquoi ce serait un geste quasi dénudé de sens qui ne ferait rien pour mettre en lumière la façon dont le racisme anti-Noirs affecte la santé des gens au Canada. C’est ainsi qu’a commencé un parcours d’apprentissage pour le Groupe JAMC et moi-même.
Au début de 2021, nous avons décidé d’aller de l’avant avec un numéro spécial (en anglais), dont la gestation ne s’est pas avérée simple ni facile. Nous avons lancé un appel aux spécialistes de la santé des personnes noires pour se joindre à un groupe qui superviserait le travail. En collaboration avec le BHEC, le groupe de travail (composé d’universitaires et de membres de l’équipe de rédaction) a lancé une invitation à présenter des communications. Les courriels d’intention et les manuscrits ont commencé à affluer. Cependant, au début de l’année 2022, le projet a failli s’arrêter parce que des mesures prises par le CMAJ ont miné la confiance du groupe de travail — confiance qui a dû être rétablie1.
Malgré ce parcours parsemé d’embûches, l’invitation à présenter des communications pour un seul numéro spécial a permis de récolter avant la date limite plus de 20 manuscrits venant de partout au Canada. Tous les articles ont été soigneusement examinés par le groupe de travail du numéro spécial, et la plupart des communications ont été soumises à un examen externe par des pairs, conformément aux processus habituels. Au vu de la richesse et de l’excellence des propositions reçues, nous avons décidé de publier 2 numéros spéciaux consécutifs (en anglais). De plus, 1 article qui n’a pas été sélectionné pour le numéro spécial a été publié dans un numéro régulier2, un autre a été publié dans le CMAJ Open3 et un troisième dans les blogues du CMAJ4.
Les articles abordent des sujets très divers, comme l’expérience des étudiants et étudiantes en médecine, des médecins résidents et des infirmières et des infirmiers noirs au Canada, les efforts déployés pour lutter contre le racisme anti-Noirs historique dans les professions de la santé et les soins de santé par le biais de programmes de formation et de programmes de mentorat ciblés, les effets du racisme anti-Noirs sur la santé et les soins ou un modèle novateur d’intégration des principes afrocentriques dans la prestation de soins de santé.
Notre « refus » initial de publier un numéro spécial pourrait être classé sous la rubrique « comment les Blancs réagissent souvent lorsqu’on leur demande de combattre le racisme ». En d’autres termes, nous sommes heureux d’offrir de bons mots et de poser des gestes qui ne causent qu’un minimum d’inconvénients, mais nous acceptons rarement de perturber nos systèmes de manière importante ou de prendre des mesures qui pourraient restreindre nos pouvoirs et nos privilèges de Blancs.
Je me considère comme une féministe. Depuis que je suis rédactrice en chef du JAMC, je me répète souvent le mantra suivant: « Soutenir le patriarcat ne fait pas partie de ma description de travail », une phrase que j’emprunte à l’ingénieure et universitaire Monica Cox5.
L’auteure et militante sociale bell hooks définissait le féminisme comme « une lutte pour éradiquer l’oppression sexiste6 ». Pour elle, le féminisme était au départ un mouvement antiraciste et anti-oppression autant qu’un mouvement pour l’équité entre les genres. Mais à mesure que le mouvement féministe s’est embourgeoisé et a été récupéré par des femmes privilégiées (principalement des femmes blanches) et que les médias ont préféré relayer leurs voix, l’antiracisme et l’antioppression sont passés au second plan. bell hooks reprend l’observation de Mary Barfoot: de nombreuses femmes privilégiées sont devenues des « sœurs du patriarcat » lorsqu’elles ont obtenu un meilleur accès au pouvoir aux côtés des hommes.
En tant que femme blanche privilégiée, je risque d’être une féministe « sœur du patriarcat » — le genre de féministe qui pourrait choisir de « ne pas voir » l’oppression continue des autres, ou du moins de ne pas tenter activement d’y mettre fin. J’ai grandi en Afrique du Sud pendant l’apartheid et, lorsque j’étais étudiante, j’ai fait campagne pour mettre fin à cette oppression. Comme j’étudiais en faculté de médecine pendant les premières années de la crise du VIH, j’ai pu voir de mes propres yeux comment le racisme anti-Noirs empêchait les personnes noires d’être soignées en Afrique, ce qui a eu des conséquences dévastatrices. Cependant, il m’est plus difficile de reconnaître le racisme anti-Noirs lorsqu’il se fait plus discret, par exemple sous la forme d’effets plus généraux du colonialisme ou de façons de perpétuer les problèmes ou de ne pas les attaquer de front.
En réfléchissant aux excellents articles à paraître dans cette série, j’ai hâte de construire sur les bases qu’ils proposent. Cette série est un début, mais le Groupe JAMC et les revues universitaires doivent faire davantage pour s’attaquer au racisme dans les systèmes et les processus. Je crains de décevoir les lecteurs et lectrices du JAMC qui pensent que la revue est devenue tristement adepte du mouvement Woke ces derniers temps et qu’elle devrait cesser de marteler que le racisme est un enjeu de santé.
Je remercie la Dre Nnorom et la Dre OmiSoore Dryden d’avoir lancé l’idée de ce numéro spécial en 2020, avec le soutien du Dr Mark Hanson, et de m’avoir mise au défi de faire de la place pour qu’il puisse voir le jour. Je remercie les membres du groupe de travail: Dre Mojola Omole, Dre Notisha Massaquoi, Mme Camille Orridge, Dre Bukola Salami, Dr Andreas Laupacis et Mme Erin Russell, pour les nombreuses heures consacrées à ce projet. Enfin, je remercie les auteurs et auteures qui ont travaillé fidèlement avec nous pendant des mois pour peaufiner leurs articles en vue de la publication. Puissiez-vous continuer à voir les revues du Groupe JAMC comme un lieu réceptif et sûr pour soumettre vos travaux.
Footnotes
Intérêts concurrents: www.cmaj.ca/staff
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