Selon les données publiques, les taux de surmortalité au Canada en 2020 et en 2021 ont grandement varié d’une province à l’autre.
Les décès attribués à la COVID-19 ont aussi varié d’une province à l’autre, tout comme le pourcentage de décès liés à la COVID-19, par rapport à la surmortalité.
Parmi les explications possibles de ces variations, mentionnons les différences en ce qui a trait à la communication des données et aux réponses à la pandémie d’une province à l’autre, de même que les effets combinés d’autres crises de santé publique.
Afin de répondre efficacement aux crises sanitaires, le système doit reposer sur une communication plus cohérente et exhaustive des données des différents territoires de compétence ainsi que sur une analyse globale des raisons qui expliquent les variations observées.
Au cours de la première année de la pandémie de COVID-19 et jusqu’au début de 2021, les comparaisons à l’échelle de la planète montraient des écarts importants entre les courbes de mortalité nationales1. En effet, alors que, dans certains pays, la mortalité était inchangée, voire moindre que prévu, le taux de mortalité connaissait des hausses marquées dans d’autres pays, par exemple de 19 % en Italie, de 18 % au Royaume-Uni et de 22 % aux États-Unis1. Au Canada, c’est une augmentation de 5 % qui a été signalée au cours de cette période du début de la pandémie1. Un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada a évoqué des taux de mortalité plus élevés chez les adultes âgés dans toutes les provinces canadiennes en 20202. Une analyse des données des quelques premiers mois de la pandémie a montré une variation des taux de surmortalité du simple au double dans certaines régions de l’Angleterre et du Pays de Galles3, la surmortalité correspondant au degré auquel les décès observés excèdent les décès attendus (selon la modélisation de la mortalité spécifique à l’âge des années précédentes)4,5. La surmortalité est un indicateur utile des effets de la pandémie de COVID-19 à l’échelle des populations.
Compte tenu des variations observées d’un pays à l’autre et à l’intérieur même des pays, les différences entre les provinces et les territoires du Canada sont probables. La présente analyse utilise les données publiques pour explorer la surmortalité liée à la COVID-19 dans les provinces canadiennes pendant la période allant du début de la pandémie, en mars 2020, à octobre 2021, afin de mettre en lumière les effets de la COVID-19 à l’échelle de la population, ainsi que les écarts entre les régions.
Que révèlent les données publiques?
Tendances générales
Cette analyse tient compte uniquement des données des provinces, en raison du faible nombre de cas de COVID-19 et de décès liés à la COVID-19 déclarés dans les territoires avant la vague Omicron. Les données hebdomadaires sur les décès totaux (observés) proviennent des rapports fournis à Statistique Canada par les registres provinciaux de statistiques sur l’état civil. Les chiffres sont ajustés par Statistique Canada « […] pour tenir compte de la nature incomplète des dénombrements »4. Le processus d’ajustement tient compte de la façon dont la pandémie en soi a probablement influé sur la communication des données5. Les données sur les décès attendus proviennent aussi de Statistique Canada. Ces estimations sont générées par une modélisation statistique spécifique aux provinces selon les groupes d’âge et de sexe en vue d’estimer le nombre de décès qui seraient survenus en l’absence de la pandémie, en fonction de la croissance et du vieillissement de la population sur une base annuelle5. La surmortalité (fournie par Statistique Canada) est la différence entre le nombre observé et le nombre attendu de décès. Les données sur les décès liés à la COVID-19 proviennent du tableau de bord La santé des Canadiens et la COVID-19, qui recueille les signalements quotidiens de décès attribués à la COVID-19 émis par les agences de santé publique de chaque province6. Ces données ont été agrégées avec les nombres hebdomadaires, en conformité avec les données de Statistique Canada.
La surmortalité a été calculée sous forme de pourcentage de la mortalité totale observée afin de faciliter les comparaisons entre les provinces ayant des populations de taille très différente. De même, les décès liés à la COVID-19 ont été calculés sous forme de pourcentage des décès excédentaires totaux. Les taux de mortalité excédentaire et liée à la COVID-19 ont aussi été calculés pour 100 000 de population par province, globalement et par semaine.
Le tableau 1 montre les décès observés (ajustés), attendus et excédentaires à partir du début de la pandémie, en mars 2020, jusqu’à octobre 2021. En ce qui a trait aux décès excédentaires et liés à la COVID-19, un écart important et évident s’observe d’une province à l’autre. En date du 23 octobre 2021, avant la vague Omicron, les provinces de l’Est avaient signalé le plus faible nombre de décès excédentaires (le pourcentage des décès excédentaires, par rapport aux décès attendus, était négatif dans deux provinces, ce qui signifie que la mortalité a été moindre que prévu), et les 3 provinces les plus à l’ouest avaient déclaré le nombre le plus élevé de décès. Il existait également d’importantes variations, en ce qui a trait aux décès attribués à la COVID-19 en pourcentage du nombre total de décès excédentaires.
Décès observés, attendus, excédentaires et liés à la COVID-19 selon la province, du 14 mars 2020 au 23 octobre 2021*
Courbes hebdomadaires
Les données globales masquent les tendances hebdomadaires des taux de surmortalité et des taux de mortalité liée à la COVID-19. Nous avons calculé les taux de mortalité hebdomadaires et les moyennes mobiles sur 2 semaines pour la mortalité excédentaire et liée à la COVID-19; les courbes globales observées étaient similaires, mais nous nous attardons aux moyennes mobiles parce qu’elles ont aplani certaines courbes des provinces dont les populations sont plus faibles.
La figure 1 montre les taux de mortalité excédentaire et liée à la COVID-19 de 6 provinces (Nouvelle-Écosse, Ontario, Québec, Saskatchewan, Alberta et Colombie-Britannique) qui ont semblé avoir connu des expériences différentes au début de la pandémie, selon le tableau 1. Le Québec et la Nouvelle-Écosse ont connu des périodes au cours desquelles les décès excédentaires étaient plus nombreux que les décès liés à la COVID-19, mais aussi d’importantes périodes durant lesquelles les taux de mortalité ont été moindres que prévu (le nombre de décès « excédentaires » était négatif). L’Ontario et la Saskatchewan ont chacune eu un petit nombre de semaines au cours desquelles les taux de mortalité excédentaire ont été plus bas que prévu, tandis que l’Alberta et la Colombie-Britannique ont observé une hausse constante de leurs taux de surmortalité. L’Ontario a semblé présenter le relevé le plus constant entre les taux de mortalité liée à la COVID-19 et excédentaire, même si certains écarts sont apparus au cours de l’été et de l’automne 2021. En Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan, le début de la pandémie et la fin de la période étudiée ont été associés à des taux de surmortalité beaucoup plus élevés que les taux de mortalité liée à la COVID-19. La Colombie-Britannique, en particulier, a connu un important écart soutenu après le pic de mortalité liée au « dôme de chaleur », en 20217.
Moyenne mobile sur 2 semaines des taux de surmortalité et de mortalité liée à la COVID-19 pour (A) la Colombie-Britannique, (B) l’Alberta, (C) la Saskatchewan, (D) l’Ontario, (E) le Québec et (F) la Nouvelle-Écosse, du 14 mars 2020 au 23 octobre 2021.
La figure 2 montre les décès excédentaires et liés à la COVID-19 pendant la période entière analysée, agrégés pour 100 000 de population. L’Ile-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse ont présenté des taux de mortalité liée à la COVID-19 faibles (voire nuls) et des taux de surmortalité négatifs, tandis qu’au Québec, à Terre-Neuveet-Labrador et au Manitoba (sur une période tronquée), les taux de surmortalité ont été modérés. Le Québec se démarque toutefois parce qu’il a connu le taux de mortalité liée à la COVID-19 le plus élevé. L’Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan se démarquent de leur côté par des taux de surmortalité presque 2 fois supérieurs (ou plus) à ceux des autres provinces.
Taux de surmortalité et de mortalité liée à la COVID-19, du 14 mars 2020 au 23 octobre 2021 (du 14 mars 2020 au 13 février 2021 pour le Manitoba).
Que signifient ces différentes courbes de mortalité entre les provinces?
Ces courbes de mortalité nettement différentes au cours de la pandémie de COVID-19 peuvent s’expliquer de plusieurs façons qui ne sont pas mutuellement exclusives, et leur importance relative risque de varier d’une province à l’autre.
Modes de communication des données sur la COVID-19
L’exactitude de la façon de relever les décès liés à la COVID-19 peut avoir varié d’une région à l’autre. Par exemple, certaines personnes atteintes de COVID-19 n’ont jamais subi de test de dépistage, surtout au début de la pandémie, lorsque les critères de dépistage étaient restreints. En outre, lors des vagues subséquentes, la capacité de dépistage de certains territoires de compétence peut avoir été limitée. Les décès liés à la COVID-19 survenus dans la communauté plutôt qu’à l’hôpital pourraient ne pas avoir été déclarés comme tels. Les pratiques des agences de santé publique provinciales en matière de déclaration ont probablement été influencées par les décisions quant à la classification des décès liés à la COVID-19 des personnes dont la cause principale de décès était la COVID-19 (décédées « de » la COVID-19) et de celles ayant contracté le SRAS-CoV-2, mais dont la principale cause de décès n’était pas la COVID-19 (décédées « atteintes » de la COVID-19). Cette distinction peut être faite lorsque les données de l’état civil sont disponibles, mais l’analyse des causes de décès sous-jacentes prend du temps. Il est important de pouvoir se fier à l’exactitude des données sur les décès liés à la COVID-19 en vue de comprendre en quoi la pandémie a été vécue différemment par les provinces et de savoir si une province a eu un « problème de COVID-19 », un problème de mortalité plus générale, ou les deux. En particulier, il est nécessaire de faire cette distinction en ce qui concerne les provinces de l’Ouest, étant donné que leur surmortalité a été élevée, malgré un taux de mortalité liée à la COVID-19 relativement faible. Il faudrait d’abord écarter les différences en matière de déclaration des cas de COVID-19 comme principale explication des tendances observées avant d’envisager d’autres explications possibles aux écarts entre les provinces ou dans le temps.
Mesures provinciales de lutte contre la COVID-19
Les provinces canadiennes ont adopté des approches complètement différentes pour contenir la pandémie8, par exemple, le moment et la fréquence des fermetures des commerces et des écoles, l’attention portée aux collectivités marginalisées et les modes de déploiement des vaccins9. Ces éléments peuvent avoir influencé certains résultats, notamment les taux de mortalité; une fois que des données plus claires sur les nombres « réels » de cas de COVID-19 seront disponibles, il sera possible de mieux estimer l’incidence du type et du moment de la mise en œuvre des mesures de réponse à la pandémie sur les taux de mortalité globaux des provinces.
Autres problèmes de santé publique
La crise de santé publique en cours concernant l’approvisionnement en drogues de rue contaminées et le problème urgent des surdoses qui en découle s’est amplifiée au Canada en 2020 et en 2021. Ce phénomène pourrait, jusqu’à un certain point, se refléter dans les données de Statistique Canada, en raison de l’approche qui est utilisée pour calculer le nombre de décès attendus (et par conséquent, de décès excédentaires). Certaines provinces, surtout la Colombie-Britannique, ont connu un dôme de chaleur inattendu en juin et juillet 2021 qui a été associé à un pic de mortalité. Human Rights Watch a conclu qu’une réponse inadéquate des pouvoirs publics avait contribué aux décès liés à la chaleur en Colombie-Britannique10 et que ces décès étaient étroitement liés à des difficultés sociales et matérielles7 ayant peut-être été associées à la pandémie de COVID-19. Les politiques et les fermetures de frontières adoptées en raison de la pandémie ont aussi probablement favorisé la mise en circulation de drogues dangereuses, la consommation en solitaire et d’autres facteurs sociaux ayant contribué à l’augmentation des taux de décès par surdose d’opioïdes11.
Répercussions plus vastes de la COVID-19
Les mesures de lutte contre la pandémie ont contribué à une baisse du nombre d’accidents de la route12 et à une importante diminution du nombre de décès liés à la grippe13. L’Institut canadien d’information sur la santé a fait état de 560 000 chirurgies de moins qu’à l’habitude, entre le début de la pandémie et la fin de 202114; cependant, il est difficile de mesurer l’effet qu’ont pu avoir sur la mortalité globale toutes ces annulations ou ces reports ainsi que les rendez-vous médicaux manqués, modifiés ou retardés.
Inexactitudes dans la modélisation des décès attendus
Complexe en temps normal, la modélisation des décès attendus l’est encore plus en temps de pandémie. Par exemple, on peut se demander s’il faut tenir compte des décès évités (p. ex., en raison d’une baisse du nombre d’accidents de la route), puisque ne pas le faire atténue les répercussions évaluées de la COVID-1915. La méthode utilisée par Statistique Canada ne tenait pas compte des décès évités. Selon certains, en raison de ce choix, il est difficile d’en mesurer les répercussions sur certains groupes de population (p. ex., population aisée c. défavorisée). De plus, la modélisation des décès attendus peut générer à tort un taux excédentaire si la courbe de mortalité d’une province a été anormale au cours des années précédant la pandémie. Dans ce cas, la modélisation présenterait un scénario contrefactuel qui ne se serait jamais produit, même en l’absence de la pandémie.
Quelle devrait être la réaction des systèmes de santé au Canada?
D’autres analyses ont souligné la nécessité, pour les systèmes de santé, de porter une attention particulière aux déterminants sociaux de la santé et aux inégalités16, de se soucier des travailleurs de la santé, de veiller aux enjeux de communication et de gouvernance17, à mesure que la pandémie perdurera ou s’estompera. Cette analyse évoque le besoin qu’ont les systèmes de santé de générer des données de meilleure qualité, plus cohérentes, ainsi que de procéder à une analyse spécifique des facteurs contribuant à la mortalité, à l’instar des pistes d’explications résumées ici.
Les provinces et les territoires devraient harmoniser leurs définitions pour recueillir et communiquer leurs données sur les décès, comme nous le mentionnons dans la présente, mais aussi, idéalement, s’intéresser à d’autres paramètres, étant donné que les décès ne sont que l’une des nombreuses répercussions de la COVID-19 sur la population. En plus d’utiliser des définitions harmonisées dans tous les territoires de compétence du Canada afin de dénombrer et de suivre les décès et la morbidité liés à la COVID-19, il faut communiquer des données à jour sur la mortalité globale, procéder rapidement à des analyses sur tout changement qui influe sur la mortalité globale et en rendre publics les résultats. La communication des données en temps opportun est cruciale. Le Canada est reconnu pour sa lenteur à publier ses données concernant la mortalité; selon une analyse internationale, le Canada a toujours 3–4 mois de retard, par rapport aux autres pays comparables18. Il faut également définir le plus rapidement possible et de façon cohérente les répercussions plus larges de la COVID-19, y compris sur la santé mentale, les chirurgies reportées, les diagnostics retardés et la capacité de répondre à ces différents enjeux.
L’analyse spécifique des raisons qui expliquent les différences en matière de surmortalité deviendrait idéalement un projet conjoint des systèmes de santé de toutes les provinces. Cette synthèse globale et l’apprentissage qu’on peut en tirer aideront les autorités à mieux se préparer à un nouveau variant du SRAS-CoV-2, à une catastrophe climatique ou à une autre forme de crise sanitaire encore inconnue. Il faudra les efforts concertés de tous les intervenants, y compris le public, pour se préparer et réagir adéquatement à la prochaine crise. Et c’est maintenant qu’il faut engager le dialogue.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aucun déclaré.
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