Un homme de 55 ans souffrant d’insuffisance rénale au stade terminal d’origine diabétique a consulté à l’hôpital après avoir présenté un épisode de confusion et d’anomie pendant une journée. Ses antécédents médicaux incluaient néphropathie diabétique, anémie secondaire à l’insuffisance rénale, goutte, dyslipidémie, hypertension (tension artérielle habituelle 150/90 mm Hg) et dépression. Il était traité par périndopril, amlodipine, carbonate de lanthane, allopurinol, linagliptine, rosuvastatine, citalopram, insuline et érythropoïétine. Il était sous dialyse péritonéale continue avec cycleur depuis 7 mois, sans modification récente.
Trois semaines auparavant, le patient avait présenté des lésions érythémateuses indolores en bouquets au dos et au cuir chevelu, sans distribution dermatomique. Trois jours avant sa consultation à l’hôpital, son médecin de famille lui avait prescrit 1 g de valacyclovir par voie orale 3 fois par jour pour un zona présumé. Il avait déjà pris 4 doses de valacyclovir avant de se présenter à l’hôpital.
Nous avons confirmé que le patient n’avait pas d’antécédents d’atteinte cognitive et qu’il n’avait pas voyagé récemment. À l’examen, le patient était afébrile, sa tension artérielle était à 189/77 mm Hg et sa fréquence cardiaque, à 100 battements/min. En plus de son anomie, il était confus, agité et désorienté et présentait des mouvements myocloniques multifocaux intermittents et un astérixis. Nous n’avons noté aucune raideur de la nuque ni aucun déficit neurologique focal. Le patient présentait de petites papules érythémateuses non vésiculaires croûteuses avec centres hémorragiques au cuir chevelu, au bras droit et à la partie gauche de son dos (figure 1). Les résultats de ses analyses de laboratoire à l’admission sont résumés au tableau 1. La troponine était élevée à 208 ng/L, ce qui concorde avec une insuffisance rénale au stade terminal, en l’absence de symptômes cardiaques. Une tomodensitométrie (TDM) cérébrale n’a montré aucun signe d’infarctus aigu ou d’occlusion d’une branche artérielle intracrânienne proximale. Il a été hospitalisé en néphrologie pour surveillance et examens plus approfondis. Sa tension artérielle restait élevée (154/93 et 168/75 mm Hg).
Papules érythémateuses non vésiculaires avec croûtes et centres hémorragiques sur (A) le cuir chevelu et (B) le dos d’un homme de 55 ans, et absence de distribution dermatomique.
Résultats des analyses de laboratoire habituels (1 mois avant la consultation) et à l’arrivée à l’hôpital
Quel est le diagnostic le plus probable?
Encéphalopathie urémique
Méningite aseptique d’origine médicamenteuse
Neurotoxicité liée au valacyclovir
Encéphalite virale
Encéphalopathie hypertensive
Nous avons d’abord envisagé une neurotoxicité liée au valacyclovir (c). Cette entité a été bien décrite chez les patients souffrant d’insuffisance rénale au stade terminal sous-jacente, particulièrement en l’absence d’un ajustement des doses. Chez les patients sous dialyse péritonéale, la posologie de valacyclovir recommandée est de 500 mg toutes les 24 h1,2. Le moment de l’apparition des symptômes de notre patient concordait avec le commencement récent du valacyclovir à 6 fois la dose recommandée3. Notre deuxième hypothèse était une encéphalite virale (d), étant donné la présence concomitante d’un érythème cutané et d’une altération de l’état mental. L’absence de fièvre et les caractéristiques de l’érythème ont permis toutefois d’écarter ce diagnostic1. L’encéphalopathie urémique (a) est une explication plausible des anomalies cognitives chez tout patient atteint d’insuffisance rénale chronique, mais le taux d’urée de notre patient était semblable à ses valeurs habituelles et ses traitements de dialyse péritonéale continue avec cycleur étaient stables depuis 7 mois, rendant cette hypothèse improbable3. Nous avons aussi envisagé une méningite d’origine médicamenteuse, et la méningite infectieuse était moins probable étant donné l’absence de signes méningés (c.–à-d., raideur de la nuque), de fièvre ou d’autres symptômes (tels que céphalées), malgré la présence de confusion et d’agitation3. L’hypertension est fréquente chez les patients dialysés et les patients qui reçoivent une dialyse depuis quelque temps sont parfois plus résistants au traitement antihypertenseur que les patients en début de dialyse. La TDM de notre patient n’a pas montré d’AVC hémorragique ni de zone œdémateuse pouvant suggérer un syndrome de leucoencéphalopathie réversible postérieure4.
Quelle serait l’étape la plus appropriée à présent?
Commencer de l’acyclovir intraveineux (IV) empirique
Demander une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau
Effectuer une ponction lombaire
Passer à l’hémodialyse
Demander un électroencéphalogramme (ÉEG)
L’étape suivante la plus appropriée pour la prise en charge est une ponction lombaire (c), compte tenu de l’importance de l’encéphalite virale dans notre diagnostic différentiel. L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) a montré une pléocytose lymphocytaire avec glucose normal et protéines légèrement augmentées (tableau 2). Les analyses microbiologiques pour encéphalite bactérienne et virale, VIH, maladie de Lyme et cryptococcose étaient négatives (tableau 2). En plus d’effectuer une ponction lombaire, nous avons cessé le valacyclovir et commencé l’acyclovir à titre empirique (5 mg/kg IV toutes les 24 h [425 mg toutes les 24 h], ajusté pour tenir compte de l’insuffisance rénale au stade terminal) pour une possible encéphalite herpétique. Tout retard dans le traitement de cette maladie est associé à une morbidité et une mortalité élevées et les risques associés au retard de traitement surclassent les risques liés à l’acyclovir administré en doses adaptées à l’insuffisance rénale5. Fait à noter, l’acyclovir a un poids moléculaire plus faible que le valacyclovir et il est éliminé par filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire, ce qui limite le risque global d’accumulation toxique6. L’équipe de néphrologie a porté son schéma de dialyse péritonéale ambulatoire continue à 6 échanges quotidiens avec solution hypertonique (à 4,25 %), plutôt que 4 échanges quotidiens avec solution à 2,5 %.
Résultats d’analyses du LCR et microbiologiques
Nous avons demandé une IRM cérébrale pour vérifier les signes d’encéphalite, comme l’œdème au lobe temporal, propre à l’encéphalite herpétique (figure 2). L’examen a montré un signal subtil aux régions temporales insulaire et mésiale gauches sur les séquences FLAIR (fluid-attenuated inversion recovery) en T2. Nous avons aussi procédé à un ÉEG pour évaluer les anomalies focales ou latéralisantes qui sont plus fréquentes avec l’encéphalite herpétique ou les convulsions1. L’ÉEG a montré un ralentissement diffus seulement.
Imagerie par résonance magnétique du cerveau du patient, y compris séquences FLAIR (fluid-attenuated inversion recovery) axiales en T2 montrant un signal intensifié aux régions temporales (A) insulaire et (B) mésiale gauches. Présence d’artéfacts de mouvement.
Les hémocultures étaient négatives et le débit urinaire résiduel du patient ne permettait pas d’effectuer une culture d’urine, mais la culture du liquide de dialyse péritonéale était négative. L’écouvillonnage nasal moyen pour dépistage du SRAS-CoV-2 était négatif. Après l’obtention de résultats négatifs aux tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) sur le LCR pour le dépistage des virus de l’herpès simplex et du zona, nous avons cessé l’acyclovir, étant donné que le test PCR est hautement sensible pour les infections du système nerveux central secondaires à ces virus7.
L’état clinique du patient s’est amélioré à compter du 4e jour d’hospitalisation, soit le lendemain de l’intensification de sa dialyse péritonéale. Il a continué de mieux se porter et nous lui avons donné son congé après 10 jours d’hospitalisation. Même si son état s’est quelque peu amélioré après la diminution des doses d’acyclovir pour tenir compte de l’insuffisance rénale, une amélioration nette des symptômes est survenue avec l’intensification de la dialyse péritonéale. Cette amélioration, alliée à l’absence de fièvre et aux résultats négatifs des analyses microbiologiques, suggérait davantage un diagnostic de neurotoxicité liée au valacyclovir, avec signes atypiques à la radiographie et à l’analyse du LCR. L’évaluation de la probabilité d’une réaction indésirable au médicament (RIM) en lien avec le valacyclovir, a révélé un score de 5 à l’échelle de Naranjo, donc une RIM probable8. Au moment du suivi, 3 semaines après son congé, notre patient avait retrouvé ses capacités fonctionnelles habituelles et il pouvait continuer sa dialyse péritonéale à domicile de manière autonome. L’érythème avait complètement disparu lorsqu’il a été revu en consultation externe après son congé.
Discussion
Le valacyclovir est un précurseur de l’antiviral acyclovir. Il est converti en acyclovir et en L-valine par métabolisme de premier passage et environ 60 %–90 % de l’acyclovir sont excrétés par voie rénale (filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire)6,9. L’acyclovir a un poids moléculaire de 225 Da, une capacité de liaison aux protéines de 9 %–33 % et un volume de distribution de 0,6 L/kg avec une forte hydrosolubilité, ces caractéristiques lui permettent d’être éliminé par l’hémodialyse6. L’acyclovir et le valacyclovir sont généralement bien tolérés, mais le valacyclovir est souvent préféré pour le traitement de l’herpès et du zona parce qu’il requiert une posologie moins fréquente9,10.
La RIM la plus souvent associée à l’acyclovir est l’insuffisance rénale, causée par la précipitation des cristaux d’acyclovir dans les tubules rénaux qui nuit à son élimination et favorise son accumulation dans le sang3,9. La neurotoxicité est une réaction indésirable peu fréquente liée à l’acyclovir et au valacyclovir et selon les sources documentaires, les manifestations neurologiques et psychiatriques pourraient être secondaires au métabolite 9-carboxyméthoxyméthylguanine (CMMG)9. Les principaux facteurs de risque sont l’âge avancé, l’insuffisance rénale et le cancer1. Dans une revue de 35 cas de neurotoxicité liée à l’acyclovir publiés, les doses d’acyclovir variaient de 600 mg/j à 4000 mg/j1. La neurotoxicité peut survenir même lorsque la posologie est ajustée pour tenir compte de la fonction rénale6. Le valacyclovir a été associé à la néphrotoxicité et à la neurotoxicité6. Lorsque l’élimination de la créatinine est inférieure à 10 mL/min, la posologie recommandée de valacyclovir est de 500 mg toutes les 24 h11.
Manifestations cliniques et épreuves diagnostiques
Les symptômes de la neurotoxicité liée à l’acyclovir et au valacyclovir apparaissent soudainement et généralement dans les 24–72 h suivant le début du traitement, mais 1 rapport de cas a décrit un déclenchement 120 jours après le début1,3. On observe un vaste éventail de manifestations de neuropsychose, notamment hallucinations, confusion et délire. Le mécanisme exact est inconnu, mais on soupçonne qu’il résulte de l’accumulation du métabolite CMMG9. La fièvre et les céphalées sont en général absentes, ce qui permet parfois de faire la distinction entre l’intoxication à l’antiviral et une encéphalite infectieuse1.
Les anomalies du LCR décrites avec la neurotoxicité liée à l’acyclovir et au valacyclovir sont parfois difficiles à interpréter. Dans une revue de 35 cas de neurotoxicité liée à l’acyclovir, le LCR était anormal chez 8 patients sur 15 ayant subi une ponction lombaire1. Toutefois, les auteurs ont évoqué d’autres explications plausibles pour ces anomalies, notamment tumeur concomitante du système nerveux central, antécédents de méningo-encéphalite et médicaments par voie intrathécale1. Dans une autre revue de cas publiée de neurotoxicité liée à l’acyclovir, seulement 1 patient sur 18 a subi une ponction lombaire et présentait une pléocytose (30 leucocytes/μL) et pour cette raison, les auteurs ont estimé que la présence de cellules inflammatoires pourrait aider à distinguer l’intoxication à l’acyclovir de l’encéphalite infectieuse12. D’autres cas de neurotoxicité liée à l’acyclovir avec anomalies du LCR, soit pléocytose (37 leucocytes/μL — 100 % de monocytes) et protéines augmentées (640 mg/L), ont été signalés11. Les résultats de l’IRM cérébrale en présence de neurotoxicité liée à l’acyclovir peuvent varier, de normaux à lésions sous-corticales aux deux hémisphères aux épreuves pondérées en T1, cette dernière occurrence ayant été décrite dans un cas de neurotoxicité liée à l’acyclovir avec convulsions consécutives à une greffe de cellules souches13.
Prise en charge et pronostic
La neurotoxicité liée à l’acyclovir et au valacyclovir s’améliore après l’arrêt ou l’élimination de ces derniers1. Dans certains cas, les patients peuvent avoir besoin d’une hémodialyse si les symptômes persistent6, mais ils retrouvent généralement leurs capacités fonctionnelles habituelles en l’espace d’une semaine 1,12. Généralement, la dialyse péritonéale n’est pas considérée comme une façon efficace d’éliminer l’acyclovir10, mais certains rapports de cas témoignent d’une prise en charge efficace de la neurotoxicité liée à l’acyclovir et au valacyclovir par l’intensification de la dialyse, spécifiquement par l’augmentation du volume d’échange hypertonique, sans passer à l’hémodialyse2,6.
Conclusion
Ce cas met en lumière une rare réaction indésirable au médicament liée à un antiviral d’usage courant. Le déclenchement des symptômes neurologiques peu après l’amorce du traitement chez un patient atteint d’insuffisance rénale au stade terminal, l’absence de fièvre et de céphalées et la résolution rapide des symptômes après l’intensification de la dialyse péritonéale concordent avec une neurotoxicité liée au valacyclovir. Les résultats d’analyses du LCR et de l’IRM en présence d’une neurotoxicité liée à l’acyclovir et au valacyclovir peuvent être variables et ne permettent pas toujours de la distinguer de l’encéphalite virale. Nous voulons sensibiliser les médecins au fait qu’une toxicité liée aux antiviraux peut s’accompagner de signes cliniques, biochimiques et radiographiques évocateurs d’une infection, et le risque augmente chez les insuffisants rénaux.
Le JAMC vous invite à soumettre vos textes pour la rubrique « À vous la décision ». Les détails cliniques (notamment en images) sont présentés, accompagnés d’une question à choix multiples sur le diagnostic. Le tout est suivi de la réponse et d’une brève analyse de la pathologie. La préférence va aux textes traitant de diagnostics par radiographie ou électrocardiographie courants ou importants qui pourraient intéresser un public général. Le consentement des patients doit impérativement être obtenu pour la publication de leur cas. Veuillez soumettre les manuscrits en ligne à l’adresse http://mc.manuscriptcentral.com/cmaj.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr Michael O’Keeffe du Service d’imagerie médicale du Centre des sciences de la santé Sunnybrook pour son expertise lors de l’examen des clichés de l’IRM cérébrale.
Footnotes
Intérêts concurrents: Nisha Andany signale avoir reçu des subventions de recherche des sociétés Gilead Sciences, GlaxoSmithKline et Janssen, et avoir été investigateur d’un site d’essais cliniques sur le VIH (subventions de recherche versées à l’établissement), indépendamment des travaux soumis. Aucun autre intérêt n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit, en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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