La détection des souches à haut risque du virus du papillome humain (VPH) remplacera bientôt le test Pap pour le dépistage primaire du cancer du col de l’utérus au Canada, car il s’agit d’une méthode plus sensible qui s’est révélée à la fois économique et sûre.
Étant donné le succès des programmes de vaccination contre le VPH dans les écoles, la prévalence du cancer du col de l’utérus et de ses précurseurs devrait décliner. C’est pourquoi une méthode de dépistage hautement sensible est préférable pour améliorer les taux de détection, tout en réduisant le nombre de faux positifs.
Il faudra une sensibilisation à grande échelle du public pour surmonter la résistance naturelle au changement et empêcher qu’on perçoive à tort les nouvelles recommandations comme des mesures à visée purement économique.
Certaines souches du virus du papillome humain (VPH) sont des facteurs de risque élevé reconnus pour le cancer du col de l’utérus1. Au Canada, le dépistage systématique du cancer du col de l’utérus reposera bientôt sur la détection de ces souches à haut risque du VPH, plutôt que sur le test de Papanicolaou (test Pap). Contrairement au test Pap, qui s’appuie sur la cytopathologie pour mettre en évidence les cellules cervicales précancéreuses, la recherche des souches à haut risque du VPH dans les spécimens cervicaux se fait au moyen de la technique d’amplification en chaîne par polymérase (PCR, pour polymerase chain reaction). L’Australie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont adopté un modèle de dépistage du cancer du col de l’utérus par recherche du VPH qui a aussi été appuyé par l’American Cancer Society2. L’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé a récemment passé en revue les données probantes disponibles; selon son rapport, le dépistage du VPH par PCR dans les prélèvements du col de l’utérus permet de débusquer les cellules précancéreuses ou cancéreuses plus efficacement que le test Pap et réduirait les coûts globaux du dépistage3. Toutefois, la transition vers cette nouvelle modalité diagnostique ne pourra pas se faire sans une refonte des algorithmes pour ce qui est de l’âge et de l’intervalle des dépistages, une réallocation des ressources, et une sensibilisation des médecins et des patientes. Nous expliquons ici pourquoi et comment le dépistage du cancer du col de l’utérus est appelé à changer au Canada avec l’adoption de cette nouvelle méthode.
Les approches actuelles de dépistage tiennent compte du fait que le test Pap est hautement spécifique (96,8 %)4, mais peu sensible (55,4 %), ce qui signifie concrètement qu’il passe à côté de près de la moitié des anomalies. Les contrôles rapprochés (tous les 2–3 ans, à compter des âges de 21 et de 25 ans, selon les provinces) tendent à réduire le risque, car ils permettent probablement de détecter les anomalies passées inaperçues précédemment dans les populations où la prévalence de la maladie est relativement élevée.
Depuis l’introduction des programmes de dépistage, il y a une cinquantaine d’années, le taux de cancer du col de l’utérus a diminué au Canada. En effet, de 1978 à 2006, l’incidence du cancer du col de l’utérus est passée de 20,05 à 12,66 pour 100 000 personnes5, probablement grâce au dépistage à plus grande échelle (https://s22457.pcdn.co/wp-content/uploads/2019/01/Cervical-Cancer-Screen-Quality-Indicators-Report-2016-FR.pdf). En 2022, le taux d’incidence normalisé selon l’âge projeté pour le cancer du col de l’utérus au Canada est de 7,5 pour 100 000 personnes6. On s’attend à ce que la prévention primaire par la vaccination systématique des enfants d’âge scolaire contre les souches à haut risque du VPH accentue le déclin de la maladie. Selon une modélisation des données récentes du Royaume-Uni, le risque de lésions précancéreuses a diminué dans les cohortes vaccinées et a même été pour ainsi dire éliminé chez celles qui avaient été vaccinées à l’école intermédiaire (middle school)7. Une étude de cohorte suédoise a également établi un lien entre la vaccination contre le VPH et la réduction du risque de cancer du col de l’utérus à l’échelle de la population8. Les taux de lésions précancéreuses et de cancers du col de l’utérus au Canada devraient suivre la même tendance, ce qui contribuera à réduire la valeur prédictive positive du test Pap9. Compte tenu de la baisse de la prévalence de la maladie et des limites connues du test Pap, une nouvelle stratégie s’impose pour maintenir les taux de détection de la maladie.
L’analyse de l’ADN du VPH par PCR est plus sensible que le dépistage par la cytologie (94,6 % c. 55,4 %), mais elle est moins spécifique (94,1 % c. 96,8 %). Cela signifie qu’une plus grande proportion de patientes dont le col de l’utérus est sain sont susceptibles de recevoir un résultat positif10. Toutefois, avec l’adoption croissante du vaccin contre le VPH et la diminution de la prévalence de l’infection par les souches à haut risque, le dépistage du VPH devrait générer moins de faux positifs que le test Pap, tout en maintenant une solide valeur prédictive négative11.
Les programmes actuels de dépistage du cancer du col de l’utérus prévoient une colposcopie pour les patientes qui présentent des résultats anormaux à la cytologie. L’introduction du dépistage primaire du cancer du col de l’utérus au moyen de l’analyse du VPH par PCR changerait les paramètres existants; par exemple, le dépistage commencerait entre les âges de 25 et 30 ans et, chez les patientes qui obtiennent un résultat négatif, l’analyse serait répétée tous les 5 ans. L’Australie et les États-Unis ont intégré ces paramètres, et leurs décisions se fondent à la fois sur les propriétés de l’analyse du VPH, sur l’évolution naturelle de l’infection par le VPH et sur les inconvénients d’un dépistage excessif.
Les avantages et l’innocuité du dépistage primaire du VPH dans le contexte canadien sont décrits dans le rapport de l’étude déterminante For Cervical Cancer (FOCAL) sur le VPH publié en 201812. Réalisée en Colombie-Britannique, l’étude a assigné aléatoirement 19 009 femmes soit au dépistage primaire par détection du VPH, soit à la cytologie systématique proposée dans les lignes directrices provinciales. À la fin de l’étude, toutes les participantes ont subi un dépistage final au moyen des 2 méthodes (analyse du VPH et cytologie); le risque relatif de détection de lésions de haut grade était de 0,42 chez les patientes assignées à l’avance au dépistage du VPH, comparativement au dépistage systématique. Ces résultats laissent entendre que de nombreuses lésions sont passées inaperçues avec l’épreuve cytologique initiale et confirment la supériorité de la recherche du VPH comme méthode de dépistage.
La décision d’espacer les contrôles après l’adoption de la recherche systématique du VPH par PCR pour le dépistage du cancer du col de l’utérus se fonde sur la solide valeur prédictive négative (> 99 %) de l’analyse du VPH3. Les chercheurs qui ont procédé au suivi à long terme d’une cohorte de participantes de l’étude FOCAL (cohorte FOCAL DECADE) ont constaté que la probabilité de découvrir une lésion de haut grade 10 ans après un seul résultat négatif à la recherche du VPH est inférieure à 1 %, car la plupart des lésions apparaissent après 7 ans ou plus13. Un dépistage plus fréquent pourrait avoir des effets négatifs (p. ex., stress psychologique, visites médicales additionnelles ou traitement inutile de lésions susceptibles de régresser spontanément), sans pour cela améliorer la détection.
L’étude FOCAL a également permis de clarifier l’analyse des coûts, qui est parfois difficile à modéliser. Même si le dépistage du VPH par PCR coûte plus cher que la cytologie, cette différence est compensée par sa fréquence moindre, le taux de détection plus élevé et la baisse du nombre de résultats indéterminés14. À partir des données de l’étude, les chercheurs ont calculé que le coût moyen par lésion de haut grade détectée était de près de 800 $ inférieur dans le groupe soumis au dépistage du VPH, comparativement au groupe témoin (7551 $ c. 8325 $).
Malgré les avantages manifestes de la recherche du VPH par PCR comme modalité à privilégier pour les programmes de dépistage du cancer du col de l’utérus, la conception et l’adoption d’un nouveau protocole exigeront une coordination étroite du financement gouvernemental, d’importants changements à l’échelle des laboratoires et des systèmes d’analyses de données, ainsi que son acceptation par les différents intervenants concernés (y compris le public, les professionnels de la santé, le personnel des laboratoires et les décideurs). Sans une campagne de sensibilisation adéquate du public, le report de l’âge du dépistage initial et la réduction de la fréquence des dépistages pourraient être perçus comme des mesures de nature purement économique de la part des gouvernements, sans avantage pour les patientes.
Le déploiement du nouveau programme de dépistage en Australie a été entravé par une méfiance généralisée, tant dans la population que chez les professionnels15. En plus d’une pétition nationale de 70 000 signatures lancée par une patiente dont le médecin exprimait une appréhension face au changement de politique, les médias ont contribué à propager la croyance selon laquelle l’introduction du nouveau test reposait uniquement sur des motifs économiques. L’expérience de l’Australie rappelle l’importance de tenir compte des perceptions de la population.
L’Australie a aussi noté une augmentation des demandes de colposcopie lors de la transition vers le dépistage primaire du VPH par PCR parce que cette méthode détecte d’emblée plus de lésions potentielles. Les demandes de colposcopie devraient initialement augmenter, puis revenir au taux initial, avant de diminuer encore à mesure que la vaccination à grande échelle fera reculer la prévalence des souches oncogènes du VPH. Selon une revue de 2018 de données probantes d’essais cliniques, les femmes de moins de 35 ans seront le plus touchées par la transition vers le dépistage du VPH par PCR, avec un taux de demandes de colposcopie de 2,3 %–13,1 % c. 1,9 %–4,7 % avec le dépistage cytologique11. L’expérience de l’Australie permet toutefois de croire qu’il s’agit là d’une sous-estimation du taux de demandes. Le pays a enregistré un nombre 2 fois plus élevé de demandes de colposcopie en raison de facteurs contributifs imprévus; des professionnels ont, par exemple, effectué des dépistages plus précoces et plus fréquents qu’il n’est recommandé, à la demande de leurs patientes ou de leur propre initiative, en raison peut-être d’une méfiance à l’endroit des nouveaux protocoles.
Au Canada, chaque province ou territoire établira ses propres protocoles de dépistage selon les besoins de sa population. Des recommandations nationales sont prévues pour le milieu ou la fin de 2022. En soutien aux professionnels de la santé et pour contrer les demandes de colposcopie découlant d’un dépistage indu ou de l’incertitude, le déploiement des nouveaux programmes devra se faire en toute transparence et graduellement, ainsi que prévoir suffisamment de temps pour bien renseigner les professionnels de la santé et répondre aux questions et aux craintes de la population. Pour mobiliser et renseigner les professionnels de la santé, il faudra prévoir des forums de discussion afin de répondre à leurs questions, de la documentation écrite (avis électroniques, bulletins, dépliants) pour répondre aux appréhensions les plus courantes, en plus de plateformes ou de wikis accessibles pour les aider à s’y retrouver dans les nouveaux algorithmes, en suivant l’exemple des États-Unis (https://www.asccp.org/mobile-app).
La transition vers la recherche du VPH par PCR pour le dépistage du cancer du col de l’utérus représente une rare occasion d’utiliser une méthode de dépistage plus sensible qui se révèle à la fois plus économique et mieux adaptée aux changements de l’incidence de la maladie qui découlera de l’application efficace des programmes de vaccination contre le VPH. Toutefois, l’expérience à travers le monde rappelle l’importance de lancer rapidement une campagne de sensibilisation à grande échelle pour renseigner le public et les professionnels et assurer le succès d’une transition en douceur.
Footnotes
Intérêts concurrents: Amanda Selk est présidente de la Société canadienne des colposcopistes (SCC; aucun paiement reçu) et elle est co-auteure des prochaines lignes directrices nationales sur la colposcopie publiées par la SCC et la Société de gynéco-oncologie du Canada. Emily Delpero signale avoir reçu des honoraires de Searchlight Pharma pour la présentation d’un conférencier, indépendamment des travaux soumis.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les deux auteures ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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