Après un récent exposé que j’ai présenté lors d’une conférence nationale de médecins canadiens, j’ai examiné les évaluations transmises par les personnes participantes. Alors que plusieurs parlaient de ce qu’elles avaient appris à l’écoute de ma présentation sur la maladie osseuse métabolique, un commentaire est ressorti du lot, qui n’avait aucun lien avec le contenu de cette dernière. L’un des médecins avait écrit « Retourne en Arabie Saoudite » — un pays avec lequel je n’ai aucun lien. Ce commentaire pouvait uniquement être compris dans le contexte où je porte un hijab (un foulard islamique) et selon cette personne, cela signifiait que je n’étais pas Canadienne. Caché sous le couvert de l’anonymat, ce médecin a montré ses vrais sentiments et sa haine profonde envers les personnes qui me ressemblent.
Je me demande si ce médecin aurait eu le courage de révéler son opinion publiquement si l’évaluation n’avait pas été anonyme. Encore plus préoccupant, je frémis lorsque je pense au type de traitement que je recevrais si j’étais une patiente sous ses soins. Ces commentaires laissent sous-entendre qu’il ou elle ne serait pas en mesure de voir au-delà du foulard qui couvre ma tête. Cette personne ne pouvait concilier son impression négative des femmes musulmanes avec ma présence à la conférence à titre d’experte internationale sur la maladie des glandes parathyroïdes. Elle ne pouvait pas non plus me considérer comme un autre être humain digne du plus fondamental des respects. Par ce commentaire empreint d’ignorance, cette personne cherchait à me déshumaniser, laissant sous-entendre que je n’étais pas à ma place ici — bien que j’ai grandi au Canada, que j’ai reçu ma formation au Canada et que je représente le Canada à l’échelle internationale dans des forums scientifiques et des initiatives de recherche à l’échelle de la planète. Malheureusement, tout au long de ma carrière de médecin musulmane canadienne, j’ai parfois observé que les auteurs de sentiments islamophobes sont d’autres professionnels de la santé.
Une carrière dans le domaine des soins de santé devrait exiger une adhésion aux valeurs de compassion, de justice sociale et d’humilité culturelle alors que nous nous efforçons de pendre soins d’une patientèle issue de différentes origines culturelles et religieuses. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, de nombreux médecins cultivent toujours des préjugés profondément ancrés contre les peuples musulmans, qui se manifestent par des remarques désobligeantes envers des collègues ou des patients musulmans, propageant des stéréotypes mal informés et des idées fausses sur la foi islamique. Souvent, ils expriment un ressentiment envers la présence visible et l’inclusion de collègues portant le hijab. Les médecins musulmans constituent un segment important de nos équipes de soins de santé; on serait bien en peine de trouver un centre hospitalier sans aucun musulman au sein de son corps médical. Et pourtant, dans une enquête nationale réalisée auprès de médecins musulmans américains, 63 % ont mentionné avoir vécu de la discrimination religieuse au cours de leur carrière, 32 % ont démissionné de leur emploi pour cette raison et 33 % ont vu des patients refuser catégoriquement leurs soins1. Bien que la population canadienne puisse se croire plus aimable et polie que ses voisins du Sud, la réalité est que l’islamophobie se manifeste de sa façon la plus brutale au sein de nos frontières.
Il est horrifiant de se rappeler que ce n’est que l’été dernier, en 2021, que la famille Afzaal a été tuée à London, en Ontario, pour la simple et unique raison qu’elle était visiblement musulmane. Il s’agissait d’une famille canadienne de trois générations qui était simplement sortie faire une promenade dans son quartier. Bien que la classe politique ait promptement condamné la violence, peu ont pris le temps de se demander « Qu’allons-nous faire pour cesser la désinformation qui alimente la démonisation de l’Islam et des musulmans dans ce pays? » De tels crimes haineux ne sont pas que des incidents isolés, mais sont liés à des idées fausses de la réalité qui continuent de dénigrer et de déshumaniser les personnes musulmanes. L’érudit Tahir Abbas écrit « La conscience acceptée de l’Islam par l’Occident est manipulée et les populations modestes en sont abreuvés par les médias… Lorsqu’ils interagissent avec des musulmans, les Occidentaux les perçoivent automatiquement comme les stéréotypes formulés par les médias, peu importe comment ces personnes sont dans la réalité »2. Les perpétuelles idées fausses de l’« homme musulman dangereux », de la « femme musulmane opprimée » et de l’« Islam, cette foi violente » sont directement responsables de la méfiance et de l’hostilité envers les musulmans. La violence envers les personnes qui sont musulmanes est perçue comme étant justifiée pour vaincre cette menace. Avant d’entrer dans la mosquée de Québec et de commencer à tirer sur des fidèles pacifiques, Alexandre Bissonnette, âgé de 27 ans, avait l’habitude de consulter des sites Web islamophobes sur une base régulière. Malheureusement, le narratif de la « femme musulmane opprimée » a été perpétué dans une lettre publiée dans le CMAJ (édition anglaise du JAMC); cette lettre fut ultérieurement retirée après un tollé d’importance mené par de nombreuses personnes, dont des médecins musulmanes3. La rhétorique islamophobe est profondément misogyne, elle stigmatise la manière dont les femmes musulmanes choisissent d’exprimer leur foi ou nie tout simplement leur appartenance. Ce n’est donc pas une surprise que les musulmanes soient la cible de crimes haineux de façon disproportionnée4. Et pourtant, malgré ces affrontements avec un sentiment antimusulman, les musulmanes continuent de jouer un rôle essentiel dans notre système de soins de santé, servant la population dans son ensemble.
Toute ma carrière en soins de santé a été et continue d’être inspirée par ma foi islamique, qui personnifie la vertu de soigner les gens, tout comme des valeurs de justice, d’égalité et de compassion. Selon le Coran, quiconque épargne une vie, sera considéré comme s’il avait épargné les vies de toute l’humanité (Coran 5:32) — un enseignement qui trouve un écho chez les professionnels de la santé qui s’épanouissent dans les soins aux malades. Selon une célèbre tradition islamique, on nous apprend que les personnes qui visitent les malades pour les réconforter trouveront la présence de Dieu. La vertu de soigner les malades est ancrée encore plus profondément et il n’est pas surprenant que l’histoire de la médecine soit si riche de contributions et de découvertes réalisées par des médecins musulmans, dont Ibn al-Nafis (décédé en 1288 EC), qui a découvert la circulation pulmonaire; Ibn al-Haytham (décédé en 1040 EC), qui a jeté les fondements de la discipline de l’optique, et Al-Zahrawi (décédé en 1013 EC), qui a contribué aux jalons de la chirurgie5.
Les femmes musulmanes font aussi partie d’une longue tradition de praticiennes médicales et d’enseignantes, commençant dès les premiers pas de l’Islam au 7e siècle. Parmi celles-ci, on compte Al-Shifa’ bint Abdullah6, Bint Shihab al-Deen, la médecin en chef à l’hôpital al-Mansouri du Caire7 et la médecin perse Sati-un-Nissa (décédée en 1647 EC) de Mongolie indienne8. L’illustre Fatima al-Fihri (décédée en 880 EC), une musulmane, fondatrice en 859 EC à Fez de la plus ancienne université au monde ( figure 1), qui comprenait à l’origine une école de médecine, et qui demeure de nos jours un établissement d’enseignement où les hommes et les femmes poursuivent leurs études9. Une tradition partagée et une inspiration commune unissent ces contributions, de contrées aussi distantes que l’Afrique du Nord, l’Arabie et l’Inde, jusqu’au travail de femmes musulmanes dans les soins de santé aujourd’hui, au Canada.
Mon choix de porter le hijab symbolise mon lien avec ce magnifique héritage de foi et de connaissances, de même que mon engagement au Dieu que j’aime en prenant soin de Sa création. C’est un symbole d’appartenance à une communauté et à une tradition commune. Sa signification s’exprime le mieux par les femmes qui choisissent de le porter. Pour moi, ce choix s’est fait lorsque j’étais à l’université à Ottawa. J’étais la seule étudiante à porter un hijab dans certains de mes cours et cela m’a exposée à l’intolérance et aux préjugés. C’était une lutte de confronter la haine sur une base quotidienne et ce fut une décision difficile. Et pourtant, c’est précisément en raison de l’inspiration positive et du sentiment de connexion que je retrouve dans l’expression de ma foi que je choisis ultimement d’endurer l’islamophobie liée au fait d’être visiblement musulmane. Le hijab me rappelle un important enseignement islamique: Dieu ne nous juge pas sur la base de notre apparence, mais par nos cœurs et nos actions. Dans une ère de diversité culturelle, ethnique et religieuse, il s’agit précisément de la leçon que nous devons prendre à cœur afin de poursuivre la lutte contre le racisme et l’islamophobie. C’est dans l’espoir de restaurer une culture qui accueille et accepte la diversité au sein du corps médical que je vous fais part de cette réflexion.
Footnotes
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