Voir la version anglaise de l’article ici www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.211679; pour lire le témoignage d’une personne atteinte, voir l’article connexe ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.220382-f
L’amyotrophie névralgique est une affection méconnue mettant en cause une douleur aiguë pathognomonique au bras, à l’épaule ou aux deux, suivie d’une faiblesse motrice, souvent dans les territoires d’innervation des nerfs long thoracique, suprascapulaire ou intraosseux antérieur.
Son diagnostic est clinique. Le dépistage et l’initiation rapides d’un traitement de fortes doses de corticostéroïdes par voie orale pourraient améliorer les résultats à long terme.
L’incidence des infections par le virus de l’hépatite E est inconnue au Canada, mais les infections contractées localement sont en hausse dans les pays développés et devraient être soupçonnées chez les personnes en contact avec des porcs.
L’infection par le virus de l’hépatite E peut avoir des manifestations neurologiques périphériques, comme l’amyotrophie névralgique et le syndrome de Guillain–Barré, avec ou sans symptômes de l’hépatite.
Un marchand de bétail de 52 ans, droitier et jusque-là en bonne santé, est réveillé en pleine nuit par une douleur aiguë (9/10) à l’épaule et à l’avant-bras droits. La douleur l’empêche de se rendormir malgré la prise d’analgésiques. Le lendemain, l’homme remarque une faiblesse à sa main droite et se rend au service des urgences. On note une douleur intense à l’épaule droite et une perte d’amplitude des mouvements actifs. Aucune faiblesse motrice n’est consignée. Est alors établi un diagnostic présumé d’arthrite inflammatoire. Lors des analyses sanguines, la formule sanguine complète, la créatinine kinase, la vitesse de sédimentation érythrocytaire sont normales, mais les enzymes hépatiques sont élevées : aspartate aminotransférase, 205 U/L (plage normale 16–51 U/L); alanine aminotransférase, 472 U/L (normal < 52 U/L); lacticodéshydrogénase, 861 U/L (plage normale 230–490 U/L); γ-GT, 442 U/L (plage normale 5–38 U/L); et phosphatase alcaline, 186 U/L (plage normale 36–144 U/L). L’élévation enzymatique est jugée sans lien avec le diagnostic de travail. Le patient se voit prescrire 50 mg de prednisone par jour par voie orale et des analgésiques, et doit faire un suivi avec son médecin de famille.
Le lendemain, il retourne dans un service des urgences. La douleur s’est propagée au bras gauche, et la faiblesse à la main droite a progressé, rendant difficile la réalisation des activités quotidiennes. Durant l’examen, le patient est incapable de fléchir le premier et le deuxième doigt de la main droite; aucune autre anomalie neurologique n’est observée. Les radiographies du membre supérieur ne révèlent aucune particularité. On consulte par téléphone le neurologue sur appel, qui associe les symptômes au système nerveux périphérique et recommande une consultation en médecine neuromusculaire.
Nous avons évalué le patient à la clinique de médecine neuromusculaire 6 jours après l’apparition des symptômes. Il avait arrêté la prednisone après 1 dose, n’en percevant pas l’efficacité. Le patient a décrit une douleur profonde, constante et intense (8/10) aux 2 épaules et avant-bras. Il a précisé ne pas avoir de cervicalgie ni de symptômes sensoriels. L’examen a révélé une faiblesse dans de multiples territoires d’innervation (tableau 1), en particulier dans la distribution du nerf interosseux antérieur (NIOA), une branche du nerf médian. Le patient n’arrivait pas à fléchir les articulations interphalangiennes distales des premier et deuxième doigts de la main droite (figure 1) et avait une scapula alata bilatérale (figure 2). Il présentait une perte de sensation dans le territoire du nerf axillaire droit. Les réflexes étaient présents (2+) et symétriques.
Évaluation musculaire manuelle du patient*
Distribution de la faiblesse dans le nerf intraosseux antérieur (NIOA) droit d’un homme de 52 ans. La main gauche est présentée à titre comparatif. A) Le patient tente de former un poing, mais est incapable de fléchir les articulations interphalangiennes distales (IPD) du pouce et de l’index droits. B) Quand on lui demande de former le signe « OK », il n’arrive toujours pas à fléchir ces articulations. Si la faiblesse est moins grande, l’examinateur devrait appliquer une résistance avec ses doigts entre le pouce et l’index du patient. Le syndrome classique au NIOA cause un affaiblissement des fléchisseurs profonds des deuxième et troisième doigts, du long fléchisseur du pouce et du carré pronateur. L’épargne de la flexion du troisième doigt montre une lésion de type fasciculaire.
Décollement médial bilatéral de l’omoplate chez le patient, plus prononcée à droite qu’à gauche. Le bord médial de la scapula ressort du thorax (association potentielle avec un déplacement latéral de la scapula). Le décollement s’explique par l’affaiblissement du dentelé antérieur causé par une lésion au nerf long thoracique et s’observe mieux quand le patient pousse contre un mur.
La douleur aiguë suivie d’une faiblesse impliquant le NIOA, le nerf long thoracique et le nerf suprascapulaire pointait vers une amyotrophie névralgique (AN). Nous avons écarté l’idée d’une radiculopathie cervicale vu la faiblesse dans plusieurs myotomes et l’absence de paresthésie et de cervicalgie. Les résultats des tests de multinévrite liée à une vascularite étaient négatifs pour les anticorps anticytoplasme des neutrophiles et normaux pour la protéine C-réactive. Diverses infections peuvent provoquer une amyotrophie névralgique. Étant donné l’atteinte bilatérale, l’élévation des enzymes hépatiques et le facteur de risque professionnel, nous avons fait un test de dépistage du virus de l’hépatite E (VHE), qui s’est révélé positif aux immunoglobulines M (IgM) et G (IgG). Le patient a commencé un traitement oral de l’AN avec 60 mg de prednisone par jour, plafonné à 5 semaines. La douleur a disparu en 1 semaine.
Lors du suivi à 5 mois, le patient n’a rapporté aucune amélioration de sa force manuelle. L’électromyographie de pronostic n’a montré aucun indice de réinnervation des muscles associés au NIOA.
Discussion
L’amyotrophie névralgique (AN), aussi appelée névrite du plexus brachial ou syndrome de Parsonage–Turner1,2, est un syndrome méconnu qui touche le plexus brachial. Il existe une forme héréditaire, dont la présentation comporte des différences subtiles; la présente revue porte uniquement sur la forme idiopathique de l’affection. L’AN se caractérise par une douleur aiguë intense à l’épaule, au bras ou aux deux1–3, qui se manifeste souvent du jour au lendemain en tirant le patient du sommeil3. Une faiblesse au bras se développe dans les heures ou les jours suivants, mais risque d’être ignorée au départ vu l’intensité de la douleur1–4. Le phénotype de faiblesse typique, observé chez 70 % des patients, met en cause des muscles innervés par au moins 1 des nerfs suprascapulaire, long thoracique ou interosseux antérieur (figure 3)1,2. L’atteinte de ces derniers se traduit par au moins 1 des symptômes suivants : scapula alata, faiblesse lors de l’abduction et de la rotation externe de l’épaule ou faiblesse de la pince des doigts 1—3 et de la pronation du bras. Les symptômes sensoriels sont moins importants, quoiqu’une paresthésie ou une perte de sensation puisse survenir, surtout dans le territoire du nerf radial superficiel ou du nerf axillaire1,2. La gravité de l’amyotrophie névralgique tend à être supérieure s’il y a association avec une infection par le VHE. L’AN risque alors davantage d’être bilatérale (80 % contre 8,6 %)5 et d’impliquer le nerf phrénique, se manifestant par une orthopnée (24,5 % contre 2,5 %)5.
Innervation motrice des muscles touchés par l’amyotrophie névralgique et la radiculopathie cervicale. Les principaux nerfs impliqués dans l’amyotrophie névralgique sont en rouge. Leur inflammation peut être proximale dans le plexus, par une sélection des fascicules qui deviendront ces branches terminales, ou distales dans la terminaison nerveuse. Le nerf interosseux antérieur est une branche du nerf médian qui se sépare dans l’avant-bras. Les principaux muscles touchés par les radiculopathies sont listés. Une radiculopathie au niveau de la C6 peut s’apparenter à une autre au niveau de la C5 ou la C7. Remarque : ADM = abductor digiti minimi, APB = abductor pollicis brevis, ECR = extensor carpi radialis, EIP = extensor indicis proprius, FCR = flexor carpi radialis, FDP = flexor digitorum profundus, FPL = flexor pollicis longus. *Niveaux les plus fréquents pour une radiculopathie cervicale. Image utilisée avec l’autorisation de R. MeiMei Miller.
L’amyotrophie névralgique touche davantage les hommes que les femmes (ratio de 2:1), et l’âge médian à l’apparition des symptômes est de 40 ans1. La prévalence s’évalue en général entre 1 et 3/100 000 patients1,2. Lors d’un essai de 2015 où des médecins de premier recours étaient formés pour évaluer l’AN, l’incidence sur 1 an s’établissait plutôt à 1/10002. Partiellement inconnue, la physiopathologie de l’affection met en cause un processus autoimmun qui s’attaque au plexus brachial. Des facteurs mécaniques sont probablement aussi en cause puisque sportifs et travailleurs manuels présentent un risque accru1. Une infection par le VHE, le parvovirus B19, le cytomégalovirus humain ou le virus de l’herpès simplex, par exemple, peut également provoquer l’affection1,3–5. La première description d’AN associée au VHE date de 20094; d’autres études ont ensuite relié le virus à 10 % des cas1. On a récemment rapporté des AN apparues après une infection par le SRAS-CoV-2 ou après la vaccination contre ce virus6.
L’amyotrophie névralgique est un diagnostic clinique. Sa présentation classique est pathognomonique si l’AN est reconnue, mais il faut envisager d’autres diagnostics chez les patients présentant une douleur et une faiblesse au bras ou à l’épaule. Bien qu’elle puisse prendre diverses formes, la faiblesse due à l’AN est en général multifocale. La faiblesse, la douleur et la perte de sensation, chacune survenant dans différents territoires d’innervation des nerfs périphériques ou racines nerveuses, suggèrent un diagnostic d’AN1. En cas de présentation atypique, les études de conduction nerveuse et l’électromyographie sont utiles. L’IRM n’est pas essentielle au diagnostic, mais pourrait révéler un œdème, un hypersignal T2 ou une accumulation de gadolinium dans le plexus brachial et les nerfs touchés1.
Avec une incidence annuelle de 6/10003, la radiculopathie cervicale est plus fréquente que l’AN, souvent prise à tort pour une radiculopathie lors du diagnostic en raison de leurs caractéristiques communes1,3. Les déficits causés par la radiculopathie surviennent dans un seul dermatome ou myotome au niveau de la lésion, à moins que de multiples racines nerveuses soient touchées (figure 3). L’affaiblissement de plusieurs myotomes rend la radiculopathie moins probable. L’évaluation classique des myotomes (flexion du bras, extension du bras, extension du poignet, force de préhension, abduction des doigts) ne vise pas les principaux déficits de l’AN. La radiculopathie s’accompagne moins souvent d’une scapula alata, qu’on évalue en demandant au patient de pousser contre un mur (figure 2). Pour tester la fonction du nerf interosseux antérieur, on demandera plutôt au patient de former le signe « OK » avec ses doigts (figure 1). Enfin, la sollicitation du muscle infraépineux par une rotation externe de l’épaule avec résistance permet d’évaluer le nerf suprascapulaire.
Comme les muscles des membres supérieurs sont innervés par plusieurs racines nerveuses, une lésion touchant une seule racine cause une faiblesse, mais la paralysie complète d’un muscle reste inhabituelle. La radiculopathie s’accompagne souvent de caractéristiques sensorielles notables, qui la différencient davantage de l’AN.
Les nerfs suprascapulaire, long thoracique et interosseux antérieur ne transmettent pas de sensations cutanées; les lésions qui les affectent n’entraîneront donc pas de déficits sensoriels.
D’autres affections ont des caractéristiques en commun avec l’AN, dont la multinévrite, la rupture de la coiffe des rotateurs et l’arthrite de l’articulation glénohumérale1,3 (tableau 2).
Infection par le virus de l’hépatite E
La majorité (70 %) des patients infectés par le VHE sont asymptomatiques, et les autres présentent une hépatite aiguë et résolutive8. La grossesse et les maladies du foie préexistantes sont des facteurs de risque d’insuffisance hépatique aiguë8. De 16,5 % à 30 % des cas d’hépatite E diagnostiqués ont des manifestations neurologiques comme l’AN et, moins souvent, le syndrome de Guillain–Barré, l’encéphalite ou la myélite transverse8. L’AN associée au VHE découle d’une infection active ou récente par le virus, mais les patients présentent rarement un ictère et leurs symptômes hépatiques sont plus faibles que ceux des patients symptomatiques ayant une hépatite E sans AN5,8. Les tests comprennent la sérologie du VHE pour l’IgM et l’IgG ainsi que du sérum pour l’ARN du VHE. Ce dernier, présent chez de nombreux patients5,8, n’a pas été détecté chez le nôtre.
Répandu dans le monde, le virus de l’hépatite E infecte 20 millions de personnes chaque année8. Dans les régions ayant peu de ressources, il se transmet par de l’eau contaminée, et on le retrouve fréquemment en Asie méridionale, en Afrique, dans des régions rurales en Chine et en Amérique latine8. L’incidence des infections locales est en hausse dans les pays développés5. Parmi les facteurs de risque au Canada, il faut compter le travail auprès des porcs et la consommation de porc contaminé8,9. Le risque lié à la consommation est faible, mais augmente lorsque le foie de porc insuffisamment cuit9.
Le principal danger est le contact avec des porcs âgés de 2–4 mois, qui excrètent un maximum de virus9,10. Chez les fermiers n’ayant pas de contacts avec des porcs de cet âge et les travailleurs de la production porcine, le risque de contracter le VHE diminue, mais dépasse tout de même celui de la population générale9. On ne connaît pas les estimations provinciales, mais les méta-analyses supputent une prévalence du VHE de 61,1 % dans les fermes porcines canadiennes9.
L’incidence dans la population canadienne est inconnue, mais l’hépatite E est probablement sous-diagnostiquée et sousdéclarée9,11. La séroprévalence du VHE chez les donneurs de sang au pays s’élève à 5,8 %, un résultat qui dépasse les attentes fondées sur le nombre de cas recensés11. La séroprévalence chez les personnes travaillant auprès des porcs est plus élevée, atteignant 26,4 % selon les données.
Traitement et pronostic de l’amyotrophie névralgique
Selon des études observationnelles, la prednisone, prescrite pour un minimum de 2 semaines et débutée dans les 2 semaines suivant l’apparition des symptômes, réduit la durée de la douleur. Ce traitement pourrait améliorer le rétablissement moteur11, d’où l’importance d’un diagnostic rapide. La douleur ou la faiblesse persistent chez de nombreux patients1,4. Le nôtre a connu une amélioration rapide de la douleur après l’administration de corticostéroïdes, mais une faiblesse persistante à la main. Une électromyographie montrant une perturbation totale du NIOA rend le rétablissement spontané peu probable; notre patient a donc subi une intervention chirurgicale de transfert de nerfs.
Conclusion
L’amyotrophie névralgique a des caractéristiques cliniques distinctives. L’évaluation clinique permet en général de confirmer le diagnostic et de différencier l’AN des autres causes de douleur ou de faiblesse à l’épaule ou au bras. L’AN peut être associée à une infection par le VHE, et leur combinaison devrait être envisagée comme cause en cas de douleur ou de faiblesse aiguë à l’épaule ou au bras chez les personnes qui reviennent d’un voyage ou qui risquent d’avoir été infectées par le VHE localement.
Remerciements
Les auteurs remercient le patient d’avoir autorisé la publication de ce rapport de cas et l’utilisation de ses clichés. Merci également à R. MeiMei Miller, qui a réalisé la figure 3.
Footnotes
Intérêts concurrents: Aditya Sharma déclare être actionnaire des sociétés ContraFect et Enstasis Therapeutics. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteurs ont obtenu le consentement du patient.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Nicholas Miller a rédigé la première version du manuscrit. Davyd Hooper et Aditya Sharma l’ont révisé de façon critique pour tout contenu intellectuel important. Tous les auteurs ont donné leur approbation finale pour la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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