L’utilisation des inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2 (SGLT-2) chez les patients de moins de 18 ans est actuellement considérée hors indication au Canada.
L’utilisation des inhibiteurs du SGLT-2 peut entraîner une acidocétose diabétique euglycémique (ACD) chez les patients insulinodépendants qui présentent un épisode de maladie intercurrente.
La sensibilisation du patient à l’autoprise en charge du diabète lors d’épisodes de maladie ou de baisses de l’insulinothérapie est cruciale pour tous les patients atteints de diabète de type 1, surtout s’ils utilisent des inhibiteurs du SGLT-2.
L’arrêt des inhibiteurs du SGLT-2 durant un épisode de maladie intercurrente atténue le risque d’ACD.
Un jeune homme de 17 ans atteint d’un diabète de type 2 (DT2) connu s’est présenté au service des urgences en raison de léthargie, de tachypnée et d’intense douleur abdominale après un épisode de nausées et de vomissements d’une durée de 5 jours.
Son diagnostic de DT2 avait été établi selon les critères de Diabète Canada 3 ans auparavant1. Au moment du diagnostic, il présentait une hyperglycémie intermittente, un résultat élevé à son test d’hyperglycémie provoquée (20,5 [normale < 11,1] mmol/L) et un taux d’anticorps anti-GAD65 négatif (< 3,0 [normal < 5,0] U/mL). Même s’ils ne sont pas des critères diagnostiques, l’indice de masse corporelle (31,9, > 97e percentile), la présence d’acanthosis nigricans et une insulinémie à jeun élevée (277 [normale 35–140] pmol/L), appuyaient le diagnostic de DT2. Le patient a commencé à appliquer des mesures liées à son alimentation et à son hygiène de vie. Son traitement médicamenteux s’est intensifié depuis le diagnostic et repose actuellement sur la metformine et l’insuline en raison d’une maîtrise sous-optimale de sa glycémie. La figure 1 présente la séquence des événements.
Le patient a suivi une formation pour l’autoprise en charge de son diabète incluant des segments sur l’alimentation, l’insuline, l’hypoglycémie, l’hyperglycémie, la prise en charge du diabète lors d’épisodes de maladie intercurrente et la gestion des corps cétoniques (parfois appelés cétones) selon les lignes directrices de pratique clinique standard. Malgré cela, son hémoglobine A1c (HbA1c) moyenne était à 9 %. L’autogestion de son diabète se résumait à une vérification de la glycémie au bout du doigt de 0 à 2 fois par jour, l’omission fréquente de son insuline et la prise irrégulière de sa metformine. Son taux d’anticorps anti-GAD65 est demeuré négatif. Il n’avait encore jamais présenté d’épisodes d’acidocétose diabétique (ACD) ou de grave hypoglycémie.
Deux mois avant la présente consultation, son médecin de famille lui avait prescrit de la canagliflozine (un inhibiteur du sodium-glucose co-transporteur 2 [SGLT-2]) à raison de 100 mg/j graduellement augmenté à 300 mg/j. On lui avait également prescrit de la metformine (1500 mg au coucher), de l’insuline glargine (30 unités au coucher) et de l’insuline lispro (1 unité pour 3 g de glucides avec les repas et les collations).
Lorsqu’il a consulté à l’hôpital, notre patient disait que 5 jours auparavant, au jour 1 de l’épisode actuel, il avait diminué son insuline prandiale de son propre chef parce qu’il trouvait sa glycémie « basse » (à environ 8 mmol/L). Comme il craignait de faire de l’hypoglycémie parce qu’il mangeait moins et qu’il vomissait, il a cessé son insuline et sa metformine; il a continué de prendre la canagliflozine. Il n’a vérifié ni sa glycémie ni ses corps cétoniques durant les 5 jours précédant sa consultation à l’hôpital et n’a pas utilisé le service d’aide téléphonique de son centre de traitement du diabète.
À l’examen initial, ses signes vitaux étaient les suivants: fréquence cardiaque 130 battements/min, tension artérielle 146/92 mm Hg, fréquence respiratoire 32 respirations/min avec dyspnée de Kussmaul, saturation en oxygène 99 % à l’air ambiant, température corporelle 36,7 °C et score de Glasgow 15. Il était pâle, il avait les yeux enfoncés, ses muqueuses étaient sèches et il présentait une douleur abdominale sans signe de péritonite.
La glycémie sérique du patient était à 17,4 (normale 3,3–11,0) mmol/L. L’analyse des gaz veineux allait comme suit: pH 6,93 (plage normale 7,30–7,40), trou anionique 20 (plage normale 4–16) mmol/L, bicarbonate 4,8 (plage normale 20–32) mmol/L et lactate 2,4 (plage normale 0,5–2,2) mmol/L. Son taux de β-hydroxybutyrate était élevé, à 4,3 (normal < 0,4) mmol/L, tout comme l’osmolalité sérique, à 310 (plage normale 280–300) mmol/kg. À l’anamnèse et à l’examen physique, on n’a observé aucun signe de toxicomanie ou d’infection; on n’a demandé ni analyse et culture d’urine, ni hémoculture.
Nous avons posé un diagnostic d’ACD et administré un traitement conforme au protocole standard de notre établissement pour l’ACD chez l’enfant. Nous avons cessé la canagliflozine, considérée comme un facteur contributif non négligeable de l’ACD chez notre patient. Nous avons interrogé le patient sur ses stratégies d’autoprise en charge; nous avons constaté qu’il ignorait les risques d’ACD associés aux inhibiteurs du SGLT-2 et qu’il n’avait aucun protocole prévu en cas de maladie. Il a recommencé à prendre sa metformine et son insuline. Au moment du suivi, 6 semaines plus tard, notre patient s’était entièrement remis, il vérifiait sa glycémie et ses corps cétoniques plus souvent, mais il restait réfractaire aux suggestions relatives à la modification de sa dose d’insuline et à son alimentation.
Ce cas a été signalé au Programme Canada Vigilance. Le lien de causalité ne peut être écarté.
Discussion
Santé Canada n’a pas approuvé les inhibiteurs du SGLT-2 chez les patients de moins de 18 ans. Ces agents ne sont pas recommandés dans les lignes directrices de pratique clinique nationales ou internationales pour la prise en charge du diabète pédiatriques de type 1 ou du DT21–3, même si des essais randomisés et contrôlés (ERC) incluant des cohortes d’enfants sont en cours. Il existe peu d’options médicales pour le traitement du DT2 dans ce groupe d’âge et les inhibiteurs du SGLT-2 se sont révélés efficaces pour maîtriser la glycémie chez les adultes4,5. Ces 2 facteurs pourraient contribuer à leur utilisation hors indication, surtout chez les adolescents plus âgés, comme notre patient. Les inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2 ont été associés à un risque accru d’ACD qui peut être euglycémique6,7.
Diabète de type 2 chez l’enfant
L’incidence annuelle du DT2 chez les enfants au Canada est de 1,54 par 100 000 (de 0,4 à 12,54 selon les provinces)8. Les critères diagnostiques1 sont les mêmes que chez les adultes, à l’exception de l’HbA1c isolée qui n’est pas un critère diagnostique indépendant en pédiatrie1. Les lignes directrices de Diabète Canada pour la prise en charge du DT2 chez les enfants reposent sur des modifications à l’hygiène de vie et un traitement pharmacologique à base de metformine principalement1. L’insulinothérapie est conseillée si la maîtrise glycémique est inadéquate ou s’il y a des signes de décompensation métabolique (HbA1c > 9 %, ACD ou symptômes de grave hyperglycémie, tels que polyurie ou polydipsie) 1. Les doses sont ajustées de manière à obtenir une maîtrise glycémique, avec comme cible une HbA1c de 7,0 % ou moins1. Selon notre expérience, il n’est pas rare que des jeunes atteints de DT2 aient besoin à la fois de metformine et d’insuline à dose croissante au fil du temps. Cela pourrait être dû à l’évolution naturelle du DT2, à la difficulté de modifier leur hygiène de vie ou à une piètre observance thérapeutique.
Les médecins ont peu de traitements médicamenteux à leur disposition pour leurs patients atteints de DT2. Les antihyperglycémiants d’usage courant chez les adultes, tels que les agonistes du récepteur glucagon-like peptide-1 (GLP-1), les inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 et les inhibiteurs du SGLT-2 n’ont pas fait l’objet d’études rigoureuses chez les enfants et sont rarement mentionnés dans les lignes directrices de pratique1–3. Le liraglutide est un agoniste du récepteur GLP-1 qui a été approuvé en 2020 pour le traitement du DT2 chez les enfants de plus de 10 ans aux États-Unis2. Aucun de ces agents n’a été approuvé par Santé Canada pour les enfants.
Physiopathologie de la cétose liée aux inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur 2
Le mécanisme par lequel les inhibiteurs du SGLT-2 accroissent le risque d’ACD est illustré à la figure 2. Les cotransporteurs du sodium-glucose sont responsables de 97 % de la réabsorption du glucose6 et leur inhibition réduit la glycémie en augmentant l’excrétion rénale du glucose4,5. Les inhibiteurs du SGLT-2 accroissent le risque d’ACD6,7, car ils diminuent de 20 % à 45 % la disponibilité quotidienne des glucides9, ce qui ralentit la sécrétion d’insuline endogène et stimule la lipolyse responsable de la cétogenèse6. Les patients qui prennent aussi de l’insuline peuvent en réduire la dose en réponse aux baisses de leur glycémie, ce qui cause un déficit insulinique. Tout autre facteur qui influe à la baisse sur l’apport en glucides (p. ex., maladie, vomissements ou jeûne), réduit les taux ou les doses d’insuline10 (p. ex., doses d’insuline omises) ou augmente la demande en insuline (p. ex., stress ou infection) peut aggraver le risque d’ACD dans un contexte d’inhibition du SGLT-27.
Inhibiteur du sodium-glucose co-transporteur 2 et acidocétose diabétique
Quelques rapports font mention de l’ACD associée aux inhibiteurs du SGLT-2 chez des enfants. Une méta-analyse des ERC sur des adultes atteints de diabète de type 1 a montré que la probabilité d’ACD était plus grande avec les inhibiteurs du SGLT-2 qu’avec le placebo (rapport des cotes 3,38)5. Une revue des données probantes existantes effectuée par un comité d’experts au Canada en 2016 a révélé que dans les essais sur le DT2, l’incidence de l’ACD était estimée à 0,16–0,76 par 1000 années-patients et que les patients pouvaient présenter des glycémies normales7. Selon une série de cas, environ 70 % des patients en état d’ACD étaient euglycémiques7. Dans l’ensemble, les données provenant des essais ont montré que l’ACD associée aux inhibiteurs du SGLT-2 était plus fréquente chez les patients insulino-dépendants7. Les bases de données sur les effets indésirables ont aussi montré que l’ACD est associée à l’emploi des inhibiteurs du SGLT-2; plus de 200 cas d’ACD chez des adultes ont été signalés en lien avec la canagliflozine au Canada11 et 8968 cas d’ACD associés à la canagliflozine, à la dapagliflozine ou à l’empagliflozine l’ont été aux États-Unis12, dont 15 concernaient des patients de moins de 18 ans (3 d’entre eux souffrant de DT2)12. D’autres cas d’ACD associée aux inhibiteurs du SGLT-2 pourraient ne pas avoir été signalés et la recherche sur la population pédiatrique mérite d’être approfondie.
Facteurs de risque d’acidocétose diabétique
Notre patient était exposé à un risque élevé d’ACD en raison de son taux élevé d’HbA1c, de sa piètre observance thérapeutique (médicaments et hygiène de vie) et du fait qu’il n’a vérifié ni sa glycémie ni ses taux de corps cétoniques quand il était malade. Parmi les autres facteurs de risque de notre patient, mentionnons: baisse de l’apport en glucides, réduction des doses d’insuline, possible décompensation métabolique du diabète et augmentation de l’insulinorésistance associée à la maladie intercurrente. Aucun facteur social n’a clairement contribué à sa piètre observance thérapeutique; la prise en charge du diabète pose souvent problème chez les adolescents en raison de composantes intrinsèques (p. ex., manque de motivation, anxiété ou peur de l’hypoglycémie) et extrinsèques (p. ex., contraintes de temps, faible appui familial ou médical)1. Chez notre patient, l’utilisation d’un inhibiteur du SGLT-2 risquait peu d’être la seule cause de son ACD; par contre, les effets hypoglycémiants de cet agent peuvent avoir contribué à atténuer la perception de l’importance de vérifier les corps cétoniques et ont sans doute été un facteur contributif central.
Sensibilisation des patients
Avec la présentation de ce cas, nous avons voulu illustrer que le traitement par inhibiteur du SGLT-2 accroît le risque d’ACD dans un contexte de maladie, avec diminution de l’apport en glucides ou de l’insulinothérapie. Avant de commencer les inhibiteurs du SGLT-2, il faut informer les patients qu’ils doivent éviter les régimes hypoglucidiques et cétogènes. Il faut les mettre au courant du risque accru d’ACD et leur remettre les protocoles recommandés en cas de maladie pour atténuer le risque13. Les patients doivent aussi savoir que la cétose et l’acidose peuvent se manifester même si leur glycémie est normale. Il faut enseigner aux patients à reconnaître les symptômes (p. ex., polyurie, polydipsie, nausées, vomissements et douleur abdominale). Ils doivent cesser leur inhibiteur du SGLT-2 dès l’apparition d’une maladie ou en cas de jeûne et commencer à vérifier leurs taux sanguins de corps cétoniques. Pour atténuer le risque, on encourage aussi la prise de liquides et de glucides. Des ajustements de la dose d’insuline sont recommandés et peuvent être personnalisés selon les besoins insuliniques des patients. Ces ajustements et la vérification des corps cétoniques sont maintenus jusqu’à ce que la cétose soit rentrée dans l’ordre et que le patient se sente bien.
On peut reprendre le traitement par inhibiteur du sodium-glucose co-transporteur 2 une fois les corps cétoniques éliminés, quand le patient recommence à tolérer les aliments et qu’il peut maintenir son hydratation. Les patients doivent être en mesure de comprendre et d’appliquer les étapes du protocole et consulter s’ils ne parviennent pas à maintenir leur hydratation ou à éliminer les corps cétoniques malgré l’ajout d’insuline13. Même si on connaît l’importance des stratégies d’atténuation du risque d’ACD, il reste à en faire une évaluation systématique et à valider les protocoles.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.202627
Intérêts concurrents: Manpreet Doulla a reçu des allocations de déplacement de Novo Nordisk sans lien avec le présent travail. Mary Jetha est l’investigatrice principale locale d’un essai sur le teplizumab commandité par Provention Bio inc., avec un financement de l’Université de l’Alberta, sans lien avec le présent travail. Elle est également l’investigatrice principale locale d’une étude observationnelle sur les jeunes atteints de diabète de type 2 commandité par les Instituts de recherche en santé du Canada, avec un financement à l’Université de l’Alberta, sans lien avec le présent travail. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Les auteures ont obtenu le consentement du patient.
Collaboratrices: Toutes les auteures ont contribué également à la rédaction et à la mise en forme du manuscrit et ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; elles ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
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