Depuis le lancement de son initiative sur la diffusion publique des renseignements cliniques (DPRC) en 2019, Santé Canada a publié des données cliniques sur plus de 160 médicaments, produits biologiques, vaccins et instruments médicaux.
Toutes les données à l’appui des produits médicaux soumis, y compris les rapports d’études cliniques, sont accessibles gratuitement dans le portail en ligne de Santé Canada; les renseignements sur des médicaments datant d’avant l’initiative sont accessibles sur demande.
Les données semblent peu utilisées. Leur utilisation accrue, notamment pour l’élaboration de guides de pratique clinique et dans le cadre d’analyses coût-efficacité, pourrait être précieuse et pourrait permettre de faire progresser les connaissances sur les avantages et les risques des produits médicaux.
Par l’intermédiaire de son initiative sur la diffusion publique des renseignements cliniques (DPRC), Santé Canada a rendu public un vaste ensemble de données appuyant la mise en marché de médicaments et d’instruments médicaux1. Ces données sont publiées dans le portail en ligne gratuit et convivial de l’Agence (https://renseignements-cliniques.canada.ca/recherche/ci-rc), où se trouve une liste de produits médicaux — liste qui s’allonge rapidement — pour lesquels des renseignements sont disponibles2. Les données cliniques et les métadonnées présentées dans le portail sont peu susceptibles d’être utiles à la plupart des patients et des professionnels de la santé, mais elles ont une grande valeur potentielle pour la recherche secondaire sur la prise de décisions en matière de réglementation, l’élaboration de guides de pratique clinique et l’évaluation des technologies de la santé. Il reste toutefois à voir si le milieu de la recherche, les médecins et les autres chercheurs sauront en tirer pleinement profit.
Depuis le lancement de l’initiative sur la DPRC en mars 2019, Santé Canada a publié des données provenant de plus de 160 demandes concernant des médicaments, des produits biologiques, des vaccins et des instruments médicaux. L’autorité de réglementation en est actuellement à sa troisième et avant-dernière année de publication proactive de données cliniques issues de demandes relatives à de nouvelles substances actives, à de nouvelles indications cliniques, à des médicaments génériques et à des instruments présentant un risque élevé ayant été approuvés, retirés ou refusés. Les données cliniques d’importance soumises par les promoteurs de l’industrie ayant présenté les demandes, y compris les données récapitulatives (tirées par exemple de survols et de résumés cliniques ainsi que de rapports d’études cliniques) et les métadonnées (venant entre autres de protocoles d’essais cliniques et de plans d’analyses statistiques), sont rendues publiques par Santé Canada, par principe.
La publication proactive des rapports cliniques fait de Santé Canada une exception parmi les autorités de réglementation3. En effet, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a suspendu la publication proactive des rapports cliniques en 2018 en raison de la réduction des effectifs occasionnée par la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (Brexit) et de son déménagement à Amsterdam. La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a mis fin à son programme pilote de résumé des données cliniques en 2020, auquel une seule entreprise avait accepté de participer. À noter que l’EMA et la FDA publient toujours proactivement des « trousses d’action », qui contiennent des analyses médicales et statistiques de même que des documents produits par d’autres autorités de réglementation, mais qui ne présentent aucun des renseignements fournis par les promoteurs, dont les plus essentiels sont les rapports d’études cliniques.
Les données cliniques soumises par les promoteurs pour les médicaments et instruments médicaux approuvés, retirés ou refusés avant mars 2019 sont accessibles sur demande dans le portail de Santé Canada. Le processus pour accéder à ces données est simple: toute personne peut en faire la demande gratuitement, sans égard à l’endroit où elle habite et à sa nationalité. Jusqu’en avril 2021, Santé Canada a publié des données tirées de 70 soumissions de médicaments, de produits biologiques, de vaccins et d’instruments médicaux à la suite de demandes d’information. Le traitement de ces demandes a pris en moyenne 4,5 mois, ce qui est beaucoup plus rapide que celui de demandes comparables faites auprès de l’EMA et de la FDA3. Comme les données soumises par les promoteurs sont généralement semblables à celles soumises par les autorités de réglementation, il est possible que le portail de Santé Canada soit la meilleure source de données cliniques fournies à la FDA, à l’EMA et à d’autres agences.
Les chercheurs et les groupes de recherche qui participent à l’évaluation des données probantes, comme les groupes menant les revues systématiques Cochrane et les centres de pratiques factuelles, peuvent se servir des données pour reproduire et valider des analyses originales, mener des analyses secondaires visant à répondre à de nouvelles questions de recherche et réaliser des revues systématiques et des méta-analyses en synthétisant les résultats de multiples essais4. Comparativement aux autres publications, les rapports d’études cliniques, par exemple, fournissent beaucoup plus de renseignements détaillés sur la conception, la réalisation et les résultats des essais, ce qui facilite l’identification des erreurs et des lacunes dans la littérature scientifique publiée et fait de ces documents la source d’information à privilégier pour les revues systématiques et les méta-analyses5. Des examens critiques et des méta-analyses reposant sur des rapports d’études cliniques ont déjà montré que des interventions courantes, comme l’administration d’oseltamivir (un antiviral) et de réboxétine (un antidépresseur), sont inefficaces ou dangereuses5–7. Or, la plupart des examinateurs systématiques ne se servent pas de ces rapports, plusieurs personnes nommant des contraintes de temps et de ressources comme principaux obstacles à leur utilisation8.
Pour élaborer des guides de pratique clinique fiables et rigoureux, il faut des revues systématiques des données probantes de grande qualité. L’inclusion de données issues d’essais cliniques non publiés à ces revues est essentielle pour réduire le plus possible les biais de déclaration et de publication; ces données peuvent même faire changer les conclusions quant aux bienfaits et aux risques des traitements6,7. Pourtant, moins de la moitié des revues systématiques tiennent compte des données non publiées, malgré les recommandations de l’Institut de médecine (Washington, DC, É.-U.) en la matière9. L’initiative sur la DPRC de Santé Canada pourrait être une ressource importante pour le repérage et l’intégration de données non publiées aux revues systématiques utilisées par les rédacteurs de guides de pratique clinique.
L’examen des données fournies dans le portail de Santé Canada peut également servir à guider les analyses coûtefficacité. Les rapports d’études cliniques sont d’importantes sources d’information pour plusieurs organisations évaluant les technologies de la santé (p. ex., Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé), mais d’autres organisations (p. ex., l’Institut d’examen clinique et économique [ICER], Boston, MA, É.-U.) pourraient les trouver plus utiles dans le cadre d’évaluations de la valeur.
Bien que Santé Canada fournisse des rapports cliniques concernant plus de 160 produits médicaux, son initiative n’est pas sans limites. Les données des patients sont exclues de la publication proactive pour des raisons de confidentialité, ce qui rend impossible la réanalyse complète d’un essai clinique. En outre, l’information clinique non utilisée par le promoteur pour appuyer les conditions d’utilisation du produit n’est également pas diffusée. Cependant, Santé Canada examine si les omissions proposées par les fabricants sont justifiées, et une analyse récente a révélé que la plupart de ces omissions étaient mineures3.
Le principal facteur limitant les retombées de l’initiative sur la DPRC semble être sa sous-utilisation. Nous avons recensé une seule étude publiée se servant des données du portail de Santé Canada10. Il pourrait être nécessaire de promouvoir la connaissance et l’utilisation du portail en augmentant le financement accordé à la recherche secondaire (p. ex., octroi de subventions réservées à la recherche se servant de sources de données partagées) et en améliorant la reconnaissance des études de réitération et des analyses secondaires chez les universitaires et les comités éditoriaux des revues scientifiques.
L’initiative sur la DPRC de Santé Canada a le potentiel de faire progresser les connaissances scientifiques et de renforcer les données servant à la prise de décisions cliniques et de réglementation. Or, tant qu’elle restera peu connue et peu utilisée, ses avantages seront limités.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210877
Intérêts concurrents: Matthew Herder est membre du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (autorité réglementant le prix des médicaments au Canada) et a reçu des honoraires pour avoir rendu des services publics. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Tous les auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Matthew Herder a reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (PJT 156256 et CMS 171741), versées à son établissement. Alexander Egilman a reçu du soutien à la recherche de la Fondation Laura et John Arnold de l’Université Yale (Collaboration pour l’intégrité et la transparence de la recherche). Alexander Egilman et Joseph Ross ont reçu du soutien à la recherche de la Food and Drug Administration des États-Unis pour le programme du Centre d’excellence en science de la réglementation et d’innovation de Yale et de la clinique Mayo (U01FD005938). Joseph Ross a reçu du soutien à la recherche de Johnson & Johnson pour élaborer des méthodes de partage des données d’essais cliniques; du Consortium d’innovation en instrumentation médicale dans le cadre du Système national d’évaluation des technologies de la santé; de l’Agence pour la recherche et la qualité des soins de santé (R01HS022882); de l’Institut national du cœur, des poumons et du sang des Instituts nationaux de la santé (R01HS025164, R01HL144644); et de la Fondation Laura et John Arnold pour mettre sur pied le palmarès Good Pharma de Bioethics International et la Collaboration pour l’intégrité et la transparence de la recherche de Yale, tous des États-Unis.
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