La Nouvelle-Écosse a récemment instauré le consentement présumé pour les dons d’organes provenant de donneurs décédés, et d’autres provinces canadiennes envisagent de lui emboîter le pas.
L’impact des modèles de consentement présumé utilisés ailleurs dans le monde a été mitigé.
Quel que soit le modèle de consentement adopté, le système dans lequel la population générale et les professionnels de la santé évoluent doit être fiable et transparent.
Une analyse de la réforme législative en Nouvelle-Écosse est en cours et devrait guider les autres provinces qui envisagent des changements similaires.
Lors de discussions sur les politiques de dons d’organes provenant de donneurs décédés, peu de sujets suscitent autant la polémique que le consentement présumé, parfois appelé consentement automatique1,2. Même s’il en existe différentes versions, la définition de base du consentement présumé est qu’on suppose que tous les intervenants compétents concernés ont donné leur accord tacite au don d’organes provenant d’une personne décédée, à moins que d’autres dispositions aient expressément été enregistrées. Le Canada a fait son entrée dans la discussion internationale le 18 janvier 2021, lorsque la Nouvelle-Écosse a mis en application le tout premier modèle de consentement présumé en Amérique du Nord3. D’autres décideurs au Canada se demandent à présent s’ils doivent emboîter le pas; or, selon l’opinion et l’expérience d’experts d’un peu partout dans le monde, les modèles de consentement devraient être modifiés uniquement sur la base d’objectifs clairs et à l’intérieur de systèmes transparents reposant déjà des bases solides. Nous faisons le point sur l’impact des modèles de consentement présumé ailleurs dans le monde, sur les leçons qu’on peut tirer à la suite de leur application et sur la façon dont il convient d’évaluer la nouvelle politique de la Nouvelle-Écosse.
Dans les pays autorisant le consentement présumé, les modèles appliqués ont eu des effets mitigés. Une revue systématique de 2019 a conclu que les pays dotés de modèles de consentement présumé présentaient des taux de dons d’organes de 20 % à 75 % supérieurs à ceux des pays qui utilisent d’autres modèles de consentement4. Toutefois, une seule étude sur les 6 incluses dans cette revue a montré que le modèle de consentement était le facteur qui influait le plus sur le taux de dons. Ce sont plutôt les dépenses nationales en soins de santé et le nombre de donneurs potentiels (étroitement lié à la sécurité routière et à l’incidence d’accident vasculaire cérébral) qui avaient la corrélation la plus étroite avec le taux de dons. À l’inverse, une analyse des bases de données de 35 pays effectuée en 2019 n’a conclu à aucun avantage statistiquement significatif sur le plan des dons ou des greffes associé au consentement présumé5.
Même le choix des mesures appropriées pour évaluer la réussite de ces modèles est sujet à controverse. Les rapports se concentrent souvent sur les taux de dons ou de greffes, alors que ces paramètres sont influencés par des facteurs indépendants du modèle de consentement4,5. Le modèle de consentement appliqué n’affecte aucunement le bassin de donneurs admissibles, ne modifie pas le nombre de personnes ayant besoin d’une greffe et ne facilite pas l’accès aux blocs opératoires. Le degré de réussite des modèles de consentement serait en fait plus facile à mesurer à l’aide de paramètres tels que les taux d’identification et d’orientation des donneurs admissibles, le nombre de prises de contact planifiées et appropriées faisant référence à un don éventuel lors des conversations sur la fin de vie et le taux de consentements des familles approchées. Ces paramètres permettraient aux programmes d’évaluer à quelle fréquence et avec quelle efficacité la possibilité de don d’organes est intégrée aux soins de fin de vie.
Il est important d’établir des objectifs clairs; cependant, il est crucial que le programme de dons et de greffes soit bien établi et fiable avant de planifier une modification du modèle de consentement. Le don d’organes repose sur la confiance du public, qui doit être établie auprès des familles au chevet d’un proche mourant ou récemment décédé. Les familles doivent avoir pleinement confiance que tout a été tenté pour sauver la vie de leur être cher et que les organes de ce dernier seront attribués de façon juste et équitable. Si un système de santé n’a pas acquis cette indispensable confiance, le consentement présumé pourrait être perçu comme une procédure invasive de la part d’un système plus intéressé à transplanter des organes qu’à traiter des patients gravement blessés6. Un exemple souvent cité est celui du Brésil à la fin des années 1990: moins d’un an après qu’on ait tenté d’appliquer une loi sur le consentement présumé, on l’a révoquée en raison d’une grande méfiance à l’endroit du système et d’une baisse du nombre de dons partout au pays6.
Au moment d’appliquer un modèle de consentement, il faut aussi tenir compte de la diversité de la population. Dans certains groupes confessionnels ou d’autres communautés sous-représentées, les priorités pourraient être différentes de celles de la population générale, et il faut prévoir des stratégies qui les prennent en considération. Les programmes et les marches à suivre devraient être adaptés en fonction des enjeux propres aux différentes populations desservies. Par exemple, lorsque le consentement présumé s’est répandu du Pays de Galles vers d’autres régions du Royaume-Uni, les responsables des dons et des greffes ont créé des sites Web pour répondre aux préoccupations des groupes confessionnels après consultation avec leurs dirigeants et leurs fidèles7. Au cours des échanges, les participants ont surtout exprimé des réticences au sujet du don d’organes en général plutôt que du consentement présumé lui-même. Toutefois, si la confiance d’un groupe particulier est fragile, le consentement présumé pourrait donner à ses membres l’impression de ne pas pouvoir choisir la façon dont on disposera de leur dépouille après leur décès. Ces réticences doivent être gérées ouvertement et respectueusement avant que le moindre changement soit apporté aux modèles de consentement aux dons provenant de personnes décédées.
Si on se fie aux meilleures données probantes et à l’expérience d’autres pays, le consentement présumé n’est probablement pas le seul facteur qui détermine le succès d’un programme de greffes d’organes8,9. Il s’agit toutefois d’un sujet qui intéresse vivement la population générale, les médecins et les législateurs qui espèrent améliorer l’efficacité des programmes de dons, et son impact au Canada doit être mesuré. En Nouvelle-Écosse, plusieurs amendements ont été apportés à la loi et seront évalués au cours des prochaines années. L’examen rapide des dossiers de donneurs potentiels permettra de repérer les occasions manquées et de comparer les paramètres importants (p. ex., taux d’identification et de consentement) de différentes provinces. D’autres interventions clés ont été associées à des améliorations, entre autres une formation spécialisée sur la façon d’aborder la question d’un éventuel don d’organes avec les familles et le recrutement de champions des dons dans les hôpitaux pour développer et appliquer une marche à suivre qui faciliterait les dons8. Ces mesures seront également intégrées et évaluées. En terminant, nous avons créé un programme de recherche multidimensionnel pour non seulement comparer les paramètres quantitatifs d’une province à l’autre, mais aussi analyser rigoureusement l’attitude des travailleurs de la santé et du grand public à l’égard de ces changements10. Nous accorderons une attention spéciale aux groupes qui ont longtemps été sous-représentés et qui pourraient avoir des raisons particulières de se méfier du concept de consentement présumé. Personne ne peut prédire avec certitude les effets qu’aura la politique sur le consentement présumé en Nouvelle-Écosse, mais si nous nous donnons la peine de les étudier attentivement, les prochains débats sur les modèles de consentement au Canada reposeront moins sur des suppositions et plus sur des faits.
Remerciements
Les auteurs remercient les panélistes, les Dres Beatriz Domínguez-Gil et Daniela Ferreira Salomão Pontes, Mme Amanda Lucas, M. Phil Walton et le Dr Stephen Beed, qui se sont réunis pour une table ronde le 14 septembre 2020 à l’occasion du congrès virtuel 2020 de la TTS (The Transplantation Society). Les auteurs remercient également Mme Cynthia Isenor pour ses commentaires.
Footnotes
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210621
Intérêts concurrents: Matthew Weiss déclare avoir reçu des honoraires de consultation à titre de directeur médical de Transplant Québec, un organisme provincial à but non lucratif qui s’intéresse à la greffe d’organes. Aucun autre intérêt concurrent déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaborateurs: Les deux auteurs ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Financement: Ces travaux ont été financés par le Programme de contribution pour les politiques en matière de soins de santé de Santé Canada, par l’entremise de la Collaboration en matière de dons et de greffes d’organes et Santé Nouvelle-Écosse. Les opinions exprimées ici ne représentent pas nécessairement celles de Santé Canada.
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