Se préparer à la prochaine pandémie en créant la « Société canadienne de l’immunisation » =================================================================================================== * Kumanan Wilson * Graham Sher * Jane Philpott Points clés * La réponse du Canada à la pandémie de COVID-19 a été entravée par plusieurs difficultés déjà observées lors des crises de santé publique des 2 dernières décennies. * Ces difficultés relèvent pour une bonne part de la façon dont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent ensemble dans un système fédéral où la responsabilité des activités afférentes à la santé publique relève des provinces, des territoires ou des localités, mais où une coordination pancanadienne est cruciale. * Créer la Société canadienne de l’immunisation selon le modèle de la Société canadienne du sang serait une façon d’enfin normaliser et uniformiser les pratiques vaccinales et le partage des données partout au Canada. Le 25 mars 2021, la vérificatrice générale du Canada a publié son premier rapport sur la réponse du Canada à la pandémie de COVID-19. Ce document soulève des lacunes systémiques qui existent depuis des décennies et qui ont été documentées dans 3 rapports précédents faisant état de problèmes dans la façon dont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent ensemble1. Beaucoup d’autres retours sur la pandémie arriveront à la même conclusion, comme ce fut le cas après l’éclosion de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère)2. Il y aura des appels au changement, on réclamera de nouveaux accords entre les différents ordres de gouvernement et on promettra une nouvelle ère de coopération. Malheureusement, après une période d’agitation initiale, il y a fort à parier que la montagne accouchera d’une souris. À l’origine de ce scénario qui ressemble au « Jour de la marmotte », il y a le fait que le Canada est une fédération très décentralisée et qu’une large part de la gestion de la santé publique relève des provinces et des territoires. Le gouvernement fédéral a généralement 2 options pour mettre en œuvre des projets pancanadiens: promulguer une loi ou rendre le financement conditionnel afin de forcer les provinces et les territoires à adopter des positions communes ou à mieux collaborer. Pour les questions de santé publique, le gouvernement fédéral a de tout temps préféré la collaboration à la coercition ou à un recours à la *Loi des mesures d’urgence* (qu’il est réticent à utiliser) pour intervenir en cas de crise sanitaire3. Cette prise de position repose en partie sur la reconnaissance du fait que, sans la coopération des provinces et des territoires, les mandats fédéraux seront des coups d’épée dans l’eau, et qu’en pratique, la gestion des crises sanitaires relève des provinces et des territoires. Ce type de collaboration a toutefois ses limites, comme le démontre l’absence de progrès dans la création d’une approche pancanadienne harmonisée face aux pandémies4. Le gouvernement fédéral pourrait cependant envisager une autre option: une collaboration interprovinciale et interterritoriale formelle5. C’est une approche qui a fait ses preuves lors de l’une des plus importantes crises sanitaires que le pays ait connues: le scandale du sang contaminé. La Société canadienne du sang, créée dans la foulée de la Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada (Commission Krever), est une société sans but lucratif indépendante, financée par les provinces et les territoires participants, qui a pour mandat d’offrir des produits et services intégrés en matière de transfusions et de transplantation. Les ministres de la Santé des provinces et des territoires (à l’exclusion du Québec) sont membres (ou « actionnaires ») de la société et nomment un conseil d’administration indépendant qui voit à sa gouvernance. Le cadre de gouvernance assure l’indépendance opérationnelle de la société. Le Québec fait exception et a créé son propre système de gestion (Héma-Québec), mais il y a une étroite collaboration entre les 2 organisations par l’entremise de la réglementation de Santé Canada et la *Loi sur les aliments et drogues*. À tous points de vue, la réforme du système d’approvisionnement sanguin canadien a été un succès6. Ce modèle pourrait être une solution à la fragmentation des systèmes d’immunisation au Canada7. Même si des efforts de coordination ont été déployés, chaque province et territoire crée son propre calendrier vaccinal et son propre système de suivi des personnes vaccinées. Les bases de données des provinces et des territoires n’utilisent pas toujours la même terminologie, il est donc difficile de coordonner la surveillance et la vaccination de masse à l’échelle de tout le pays — sans oublier les répercussions directes sur les soins aux patients qui changent de région. La création d’une Société canadienne de l’immunisation selon le modèle de la Société canadienne du sang pourrait aplanir certaines de ces difficultés. Le ministre fédéral de la Santé travaillerait avec les provinces et les territoires pour créer un protocole d’entente et définir les rôles et responsabilités de la nouvelle entité. Le gouvernement fédéral pourrait participer à l’entité à titre de partenaire, sur un pied d’égalité, compte tenu de l’importance de la vaccination pour les Canadiens et Canadiennes sous sa compétence. Les gouvernements participants auraient le contrôle de la Société canadienne de l’immunisation et superviseraient l’organisation à titre de membres de la société. Ils financeraient l’entité afin qu’elle offre en leur nom l’approvisionnement de masse pour tous les vaccins. La surveillance des vaccins et la gestion de la chaîne d’approvisionnement seraient simplifiées si une seule entité coordonnait la vaccination au nom des membres participants, à partir de données communes normalisées pour en faciliter le partage entre les provinces et les territoires8. L’entité pourrait asseoir l’expertise pancanadienne, sans être encombrée par les différentes règles d’embauche gouvernementales. Bien sûr, cette solution comporterait sa part de défis. L’entité devrait travailler avec les membres des provinces et des territoires pour déterminer la meilleure façon de distribuer et de gérer l’approvisionnement et l’administration des vaccins, car chaque province et territoire a déjà ses propres marches à suivre. En pleine pandémie, il peut se révéler difficile d’établir la meilleure façon d’assurer la distribution des vaccins en quantité restreinte, et les règles à cet effet pourraient être créées en période interpandémique. Des provinces et des territoires peuvent choisir de s’abstenir, comme le Québec qui a créé son propre système d’approvisionnement sanguin. Toutefois, le gouvernement fédéral pourrait proposer des mesures pour inciter les membres à se joindre à l’entité en leur offrant un soutien à la recherche et au développement. Les réponses doivent être adaptées aux circonstances locales (p. ex., accommodements selon les différentes approches de vaccination des provinces et des territoires). Si elle est mise sur pied, la Société canadienne de l’immunisation pourrait servir de modèle pour d’autres rôles de la santé publique que le contexte fédéral actuel rend plus complexes, comme l’épidémiologie9. L’approche conviendrait probablement le mieux à des activités qui relèvent principalement des provinces et des territoires, mais une harmonisation pancanadienne s’impose. Pour que la santé publique soit mieux préparée à faire face à la prochaine pandémie, c’est maintenant qu’il faut apporter des changements. ## Remerciements Le financement a été rendu possible grâce à une subvention de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada. ## Footnotes * Voir la version anglaise de l’article ici: [www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210670](http://www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.210670) * **Intérêts concurrents:** Kumanan Wilson a agi à titre de consultant pour le rapport de la vérificatrice générale sur la réponse à la pandémie et avait déjà été consultant pour le volet santé du rapport du BVG en 2008. Il a été consultant pour le Règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la Santé et membre du Comité consultatif de recherche-développement et Comité consultatif scientifique de la Société canadienne du sang. Il est membre du Comité consultatif de surveillance de la sécurité des données pour Medicago, et fondateur et PDG de CANImmunize inc. Jane Philpott a été ministre fédérale de la Santé et membre des conseils d’administration de l’Institut de la santé publique et des populations des Instituts de recherche en santé du Canada, de SE Health, d’Elentra et du Centre des sciences de la santé de Kingston. Graham Sher est PDG de la Société canadienne du sang. Aucun autre intérêt concurrent n’est déclaré. * Cet article a été révisé par des pairs. * **Collaborateurs:** Tous les auteurs ont contribué à la conception de l’article, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important. Ils ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail. * **Avis:** Jane Philpott est membre du comité consultatif de rédaction du groupe *JAMC* et n’a pas participé aux décisions éditoriales relatives à cet article. Kumanan Wilson est le conjoint de Kim Barnhardt (stratège principale, communications et partenariats du *JAMC*); il n’a pas participé aux décisions éditoriales relatives à cet article. Il s’agit d’un article en libre accès distribué conformément aux modalités de la licence Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0), qui permet l’utilisation, la diffusion et la reproduction de tout médium à la condition que la publication originale soit adéquatement citée, que l’utilisation se fasse à des fins non commerciales (c.-à-d., recherche ou éducation) et qu’aucune modification ni adaptation n’y soit apportée. Voir: [https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/deed.fr](https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/deed.fr) ## Références 1. Attaran A. A legislative failure of epidemic proportions. CMAJ 2008;179:9–10. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czo3OiIxNzkvMS85IjtzOjQ6ImF0b20iO3M6MjM6Ii9jbWFqLzE5My8zNi9FMTQ0Ni5hdG9tIjt9czo4OiJmcmFnbWVudCI7czowOiIiO30=) 2. Goel V. What do we do with the SARS reports? Healthc Q 2004;7:28–30. [PubMed](http://www.cmaj.ca/lookup/external-ref?access_num=15540398&link_type=MED&atom=%2Fcmaj%2F193%2F36%2FE1446.atom) 3. Attaran A, Wilson K. A legal and epidemiological justification for federal authority in public health emergencies. McGill Law J 2007;52:381–414. 4. Review of Canada’s initial response to the COVID-19 pandemic. Ottawa: Canadian Public Health Association; 2021. Accessible ici: [https://www.cpha.ca/review-canadas-initial-response-covid-19-pandemic](https://www.cpha.ca/review-canadas-initial-response-covid-19-pandemic) (consulté le 7 juin 2021). 5. Courchene T. ACCESS: a convention on the Canadian economic and social systems. In: Assessing ACCESS. Towards a new social union: Proceedings of the Symposium on the Courchene Proposal. Kingston (ON): Institute of Intergovernmental Relations, Queen’s University; 1997. Accessible ici: [https://www.queensu.ca/iigr/sites/webpublish.queensu.ca.iigrwww/files/files/pub/archive/books/AssessingAccess-TowardsaNewSocialUnion.pdf](https://www.queensu.ca/iigr/sites/webpublish.queensu.ca.iigrwww/files/files/pub/archive/books/AssessingAccess-TowardsaNewSocialUnion.pdf) (consulté le 6 avr. 2021). 6. Wilson K. The Krever Commission: 10 years later. CMAJ 2007;177:1387–9. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMToiMTc3LzExLzEzODciO3M6NDoiYXRvbSI7czoyMzoiL2NtYWovMTkzLzM2L0UxNDQ2LmF0b20iO31zOjg6ImZyYWdtZW50IjtzOjA6IiI7fQ==) 7. Eggertson L. Experts call for national immunization registry, coordinated schedules. CMAJ 2011;183:E143–4. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTgzLzMvRTE0MyI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIzOiIvY21hai8xOTMvMzYvRTE0NDYuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9) 8. Canadian Immunization Registry Functional Standards (IRFS) 2020–2024: recommendations from the Canadian Immunization Registry and Coverage Network (CIRC). Ottawa: Public Health Agency of Canada; modified 2021 Jan. 6. Accessible ici: [https://www.canada.ca/en/public-health/services/publications/vaccines-immunization/canadian-immunization-registry-functional-standards-2020-2024.html](https://www.canada.ca/en/public-health/services/publications/vaccines-immunization/canadian-immunization-registry-functional-standards-2020-2024.html) (consulté le 7 juin 2021). 9. Webster P. National electronic disease surveillance: a dream delayed. CMAJ 2013;185:E365–6. [FREE Full Text](http://www.cmaj.ca/lookup/ijlink/YTozOntzOjQ6InBhdGgiO3M6MTQ6Ii9sb29rdXAvaWpsaW5rIjtzOjU6InF1ZXJ5IjthOjQ6e3M6ODoibGlua1R5cGUiO3M6NDoiRlVMTCI7czoxMToiam91cm5hbENvZGUiO3M6NDoiY21haiI7czo1OiJyZXNpZCI7czoxMDoiMTg1LzkvRTM2NSI7czo0OiJhdG9tIjtzOjIzOiIvY21hai8xOTMvMzYvRTE0NDYuYXRvbSI7fXM6ODoiZnJhZ21lbnQiO3M6MDoiIjt9)